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Le plaisir féminin reste encore bien méconnu. Pourtant, au début du XXe siècle, Sigmund Freud a voulu s'attarder sur le problème, mais il a dû abdiquer face à ce qu'il appelait le « continent noir ». Depuis, la connaissance de zones érogènes a permis de mieux cerner les raisons de l'orgasme, mais seul un pan du mystère est tombé... © Kencko Photography, Fotolia
Le plaisir féminin est décidément méconnu des scientifiques. S'il a longtemps été négligé parce qu'autrefois les chercheurs étaient essentiellement des hommes, le ventvent a depuis tourné et les femmes ont petit à petit pris place dans les laboratoires. Pourtant, de nombreux mystères planent encore sur les déclencheurs de ce désir.
Un nouveau pas vient malgré tout d'être franchi avec l'article rédigé par des chercheurs de l'université d’Indiana paru dans un numéro spécial de la revue Sexual and Relationship Therapy. Ce travail est le premier à s'intéresser au lien qui existe entre l'activité physiquephysique et l'orgasme des femmes. Et il démontre que la jouissance féminine n'est pas uniquement sexuelle !
Pour le bien de cette étude, 370 femmes ont été recrutées sur InternetInternet. Parmi elles, 124 avouent avoir connu l'orgasme pendant un exercice sportif (OES), tandis que les 246 restantes reconnaissent seulement y avoir pris du plaisir (PES). Ces sujets, âgés de 18 à 63 ans (âge moyen : 30 ans), étaient pour la plupart en couple, et 69 % d'entre elles se disent hétérosexuelles.
Par l'intermédiaire de questionnaires, on apprend que 40 % des femmes OES et PES ont été confrontées plus de dix fois à ces situations durant leur vie. La plupart du temps, elles parvenaient à se contrôler, malgré l'embarras qui les envahissait, mais environ 20 % de ces volontaires ont reconnu qu'il leur est arrivé de ne plus pouvoir rester maîtresses de leur corps.
Différentes disciplines sportives peuvent favoriser l'orgasme féminin. Les activités physiques faisant travailler les abdominaux, mais aussi des pratiques impliquant une barre verticale (comme c'est le cas sur cette image de pole dance), la montée à la corde ou le cyclisme. © Starrgrrrl, Wikipédia, cc by sa 3.0
Les abdos, source d’orgasmes
Lorsqu'on les interroge sur les activités physiques à l'origine de leur plaisir dans les derniers 90 jours, 51,4 % des femmes OES ont évoqué des exercices abdominaux, tandis que seuls 26,5 % d'entre elles ont connu pareille expérience en soulevant des barres. Le yoga (20 %) complète le podium, le vélo (15,8 %), la course à pied (13,2 %) et la marche (9,6 %) sont quant à eux bien moins fréquents.
La plupart du temps, ces sensations de plaisir sont associées à l'utilisation de muscles du tronc, que les Anglo-Saxons regroupent sous l'appellation de « core ». Ainsi, comme le lien entre orgasme et sport avait déjà été bien relaté dans les blogsblogs et les magazines féminins, Américains et Britanniques parlaient déjà de coregasm.
L'engin de plaisir le plus apprécié par les femmes est ce qu'on appelle outre-Atlantique et outre-Manche la captain's chair (qui se traduit littéralement par « la chaise du capitaine »). Il s'agit d'avoir, pour seul contact avec le monde alentour, les avant-bras posés sur un accoudoir, les pieds étant dans le vide, avec pour objectif de relever les jambes et les amener à l'horizontale.
Le plaisir n’est pas forcément une affaire de désir
Pour éviter un quelconque biais lié au désir, les chercheurs ont également demandé à leurs sujets si lors de ces moments de plaisir, elles fantasmaient ou pensaient à un être aimé. Ce n'était pas le cas de la majorité des participantes. C'est donc bien l'activité physique en elle-même qui a provoqué la sensation de bien-être.
Lors de questions ouvertes, les femmes ont signalé qu'en général, les orgasmes ont tendance à se produire après un enchaînement de plusieurs exercices abdominaux. Elles reconnaissent une implication personnelle forte durant l'effort. Enfin, ce phénomène n'attend pas l'âge de la sexualité pour se manifester puisque beaucoup de femmes attestent avoir vécu telle expérience lorsqu'elles avaient 7 ou 8 ans, et l'une des participantes à l'étude était encore vierge.
Debby Herbenick, de l'université d'Indiana, est l'une des scientifiques impliquées dans ce travail qui s'intéresse pour la première fois au lien entre exercice physique et orgasme féminin. © Indiana University
Un mystère loin d’être résolu
Restent encore de nombreuses questions en suspens. Quelle est la proportion de femmes concernées par ce phénomène ? Si l'on ne peut avancer des chiffres, les auteurs soutiennent l'idée que cela ne doit pas être rare, étant donné que leur recrutement de sujets s'est effectué en seulement 5 semaines. D'autre part, ce lien entre sport et orgasme avait déjà été signalé dans la littérature scientifique, mais n'avait pas fait l'objet d'investigations particulières. Lors de travaux menés entre 1948 et 1953 par Alfred Kinsey pour connaître la sexualité des femmes américaines, 5 % d'entre elles avaient évoqué, sans qu'on leur demande, avoir déjà vécu l'orgasme sans relation sexuelle. Combien sont-elles à ne pas l'avoir évoqué spontanément ?
On ignore également les mécanismes physiologiques sous-jacents. Ce que l'on peut dire ? Le sport, comme l'orgasme, induit une augmentation des rythmes cardiaque et respiratoire ainsi que de la tension artérielle. Encore un peu mince...
Enfin, cela soulève une autre question : celle du rôle de l'orgasme d'un point de vue évolutif. Si effectivement on a pensé qu'il permettait d'améliorer les chances de fécondation, il vient d'être montré qu'il n'est pas uniquement lié à la sexualité. Faut-il y voir une fonction ou simplement une conséquence ?
Pour les auteurs, cela a le mérite de permettre aux femmes d'apprendre à mieux connaître leur corps. À l'heure actuelle, les études montrent qu'en règle générale, les hommes ont plus que les femmes accès à l'orgasme. Voilà là l'occasion de compenser...