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Aux États-Unis, l'histoire a fait le buzz. Mohamed Bassiouny, dentiste à la Temple University School of Dentistry (Philadelphie), a récemment publié une étude qui remet en cause la consommation de sodas allégés en sucre. Selon lui, les dégâts sur les dents seraient aussi dramatiques et irréversibles que pour les accros au crack ou à la méthamphétamine, deux drogues principalement fumées à l'aide d'une pipe.
À première vue, cette annonce est inquiétante. Faut-il vider toutes ses canettes dans l'évierévier (et en profiter au passage pour déboucher les canalisationscanalisations) ? Pas de panique. Du moins pas trop. Si les sodas light sont accusés de nombreux maux, comme de favoriser le développement du diabète de type 2 ou de maladies cardiovasculaires, il faut modérer l'action qu'ils peuvent avoir dans la bouche. Car l'étude en question, publiée dans la revue General Dentistry, est également loin d'être irréprochable...
Sodas light, crack, méthamphétamine : les dents trinquent
En général, les recherches scientifiques portent sur un nombre plus ou moins important de sujets, à l'exception des maladies très rares qui n'affectent que quelques personnes dans le monde. Dans cette étude, seuls trois cas ont été décrits. Parmi eux, une femme trentenaire buvant environ deux litres de sodas light tous les jours depuis près de cinq ans. Une situation à priori loin d'être exceptionnelle. Et lorsqu'elle s'est présentée au médecin, ses dents étaient tellement détériorées et érodées qu'il a fallu toutes les ôter.
Les sodas light ne sont pas exempts d'acide citrique et d'acide phosphorique, capables de dégrader l'émail des dents et d'affaiblir ainsi toute la dentition. © Bardgabbard, Flickr, cc by 2.0
De la même façon, un homme de 29 ans, addict à la cocaïne sous forme de crack depuis trois ans, a exposé une dentition tout aussi délabrée et souffrant des mêmes maux. Le sort a été le même pour un homme de 51 ans, consommateur habituel de méthamphétamine depuis 18 ans, qui a dû se voir retirer toutes ses dents, dans un état de dégradation tout aussi avancé.
Ces deux drogues assèchent la bouche et donnent soif. Le plus jeune des deux hommes buvait régulièrement des sodas, connus pour leur pH acideacide (3,2). Ainsi, dans leur version sucrée ou light, ces liquidesliquides attaquent l'émail des dents, une couche protectrice. Des chercheurs de l'université du Michigan avaient même montré que la consommation de trois canettes de soda par jour suffisait pour abîmer la dentition.
Une dent contre les sodas light ?
Pour l'auteur, c'est donc la preuve qu'une consommation régulière de ces boissons acides cause les mêmes dommages aux dents que l'absorption régulière d'une des deux drogues. Mais il semble avoir oublié de prendre en compte certains paramètres qui auraient pu biaiser ce travail.
Premièrement, on l'a déjà évoqué, les effectifs sont trop réduits. Ensuite, on cherche encore le groupe contrôle, composé de personnes ne buvant jamais de soda, et optant pour la même hygiène de vie, pour exclure les autres paramètres.
Revenons sur l'hygiène de vie. Bien que la fréquence du brossage de dents des sujets d'étude n'ait pas été précisée, on sait tout de même que la femme adepte des sodas light ne l'était pas autant des dentistes : selon ses propres dires, elle n'était pas entrée dans un cabinet depuis une vingtaine d'années. Ce paramètre à lui seul confirme le manque d'attention accordé à sa denture, ce qu'elle a elle-même reconnu. Cela peut laisser présager que sa consommation de boissons acides n'est pas la seule entorseentorse aux règles de bonne hygiène buccodentaire. Un peu léger pour incriminer les seuls sodas light...
Des conclusions un peu trop prématurées
Bizarrement, les conclusions ne surprennent pas forcément tous les spécialistes outre-Atlantique. Certes, le côté corrosif des sodas n'est plus débattu par personne. Mais l'American Beverage Association trouve les conclusions un peu trop précipitées. Bien que cet organisme soit probablement partial dans son jugement, puisqu'il doit défendre des intérêts, il s'étonne de voir les sodas light figurant seuls sur la liste des coupables.
Une question demeure : comment une revue à priori sérieuse, car éditée par l'Academy of General Dentistry et relue par des pairs, a-t-elle validé ce travail ? Il paraît un peu prématuré de tirer des conclusions sur les effets de certaines substances sur des patients dont on n'a pas suivi l'évolution. Certes, le dentiste a pu constater que les dents souffraient du même mal dans les différents cas, mais l'origine de cette érosion reste spéculative.
Prudence donc : la science ne se montre pas toujours aussi sérieuse qu'elle le prétend. Des erreurs peuvent se glisser même dans les revues les plus reconnues, comme on l'a vu récemment avec l'affaire du clonage thérapeutique, et de nombreux cas de fraudes ont franchi les étapes de relecture et de publication.
Chronique Science décalée
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Pourquoi une rubrique Science décalée ? Cette chronique hebdomadaire a pour ambition de montrer que la science peut aussi être drôle et inattendue, et surtout qu’elle brasse vraiment tous les domaines possibles et imaginables. Ainsi, on peut faire du sérieux avec du farfelu, et de l’humour avec des sujets à priori peu risibles. Chaque semaine donc, nous sélectionnons l’info la plus étrange ou surprenante pour vous la faire partager le dimanche, entre le fromage et le dessert.