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Les Égyptiens possédaient vraisemblablement déjà des prothèses fonctionnelles. © DR
Les prothèses médicales de pointe, bourrées d'électronique, remplacent de plus en plus efficacement les membres manquants et assistent au mieux les personnes amputées, mais l'idée même d'un membre artificiel ne date pas d'hier.
Alors que l'on pensait avoir identifié le tout premier spécimen de prothèse daté de 300 ans avant Jésus-Christ, avec la découverte de la jambe artificielle sur le site romain de Capua ; Jacqueline Finch, chercheur au Centre d'égyptologie biomédicale KNH de l'université de Manchester, est convaincue que des objets, aujourd'hui exposés dans des musées, ont servi de prothèse fonctionnelle à des Égyptiens, déjà plus de 600 ans avant notre ère.
La prothèse en carton est peu flexible mais a tout de même bien résisté au temps. © Jacqueline Finch, The Lancet
Toutankharton
Faite d'une sorte de papier mâché en lin imbibé de colle animale et recouvert de plâtreplâtre teinté, une pièce conservée dans les galeries égyptiennes du British Museum de Londres prend en toute objectivité la forme d'un orteil et de la partie antérieure du pied droit. Cette pièce unique a été découverte à Thèbes, l'actuelle Louxor, et obtenue en 1881 par le révérend Greville Chester, un archéologue passionné d'égyptologie.
Malgré l'usure apparente qui trahit une longue utilisation, la pièce est habilement façonnée et présente ce qui ressemble à un ongle sur sa face supérieure. Des trous à sa surface permettaient probablement d'attacher l'objet directement au pied ou à une sandale. Au début des années 1990, l'égyptologue Nicholas Reeves avait d'ailleurs déjà décrit l'objet comme « l'une des plus anciennes prothèses fonctionnelles qui a été identifiée dans l'ancien monde », sans avoir toutefois pu prouver qu'il avait réellement été utilisé comme tel.
La prothèse en bois et en cuir permet une sorte d'articulation à l'avant du pied. © Jacqueline Finch, The Lancet
L’autre en bois
Un second objet, également retrouvé dans la nécropolenécropole de Thèbes en 2000, ressemble au précédent, mais en plus élaboré. Formé de trois éléments raccordés entre eux (deux en boisbois, le troisième étant probablement en cuir), l'objet présente une certaine flexibilité. Suffisamment pour envisager qu'il puisse reproduire l'articulation métatarsophalangeale (entre les métatarses et les phalangesphalanges), tout en assurant une stabilité de l'orteil grâce au plat de sa face inférieure.
Cette fois-ci, la prothèse avait été retrouvée attachée au pied d'une femme momifiée (datant de 950 à 710 ans avant notre ère), laissant peu de place au doute quant à la fonction de l'objet. La momie avait été identifiée comme étant Tabaketenmut, la fille d'un prêtre qui aurait été atteinte de diabète et aurait perdu son orteil par gangrènegangrène.
Elles permettent de mieux marcher
Alors que les embaumeurs de corps rajoutaient du sablesable, du plâtre ou de la boue pour combler les éventuels membres manquants sur les momies, ces deux prothèses semblent bien trop perfectionnées pour n'avoir eu comme fonction que d'habiller un mort. L'hypothèse selon laquelle elles auraient réellement permis à leur propriétaire de mieux marcher a donc été testée, en prenant en compte les critères de fonctionnalité des prothèses (facilité d'utilisation, résistancerésistance et amélioration du mouvementmouvement).
À la demande de Jacqueline Finch, deux personnes amputées de leur orteil droit ont participé au test grandeur nature de ces prétendues prothèses, en portant des reproductions associées à des sandales égyptiennes. Handicapé par la perte de son gros orteilgros orteil (qui soutient habituellement environ 40 % du poids du corps à chaque pas et permet la propulsion), l'un des deux volontaires a pu marcher « extrêmement bien » avec chacune des deux prothèses. Elles ont également été jugées confortables, en particulier celle en bois. Ces résultats, publiés dans The Lancet, semblent donc confirmer le rôle de ces objets, ce qui ramène à la confection de prothèses il y a presque 3.000 ans !