Les scanners et les IRM, qui coutent plusieurs millions d’euros pièce, sont souvent inaccessibles aux pays en développement. L’IRCAD, mondialement connu en robotique chirurgicale, planche sur un échographe low cost capable de détecter automatiquement puis de traiter les tumeurs avant qu’elles ne se développent. Un avancée majeure rendue possible grâce à l’extraordinaire essor de l’intelligence artificielle, nous raconte Jacques Marescaux, le président de l’IRCAD.

En 2001, «l'Opération Lindbergh» réalisée par le professeur Jacques Marescaux faisait l'effet d'un coup de tonnerre dans le monde de la chirurgie. Pour la première fois, un patient situé à Strasbourg était opéré à distance depuis New York à l'aide d'une console robotisée. Depuis, les robots chirurgiens se sont beaucoup développés, mais restent encore limités en termes de possibilités. Une autre révolution apparue il y a quelques années dans la santé pourrait bien tout bouleverser : l'intelligence artificielle. Jacques Marescaux, le président de l’IRCAD à Strasbourg, nous raconte comment il se sert de l'IA pour développer une échographie low cost capable de détecter et opérer les tumeurs avant qu'elles ne grossissent. Le projet, nommé Disrumpere, promet une démocratisation sans précédent de l'imagerie médicale.

Pourquoi avoir cherché à développer un échographe à bas coût ?

En 2021, je suis tombé sur un rapport de l'OMS qui indiquait que 5 milliards de personnes n'avaient pas accès à la moindre imagerie médicale. Puis j'ai vu une autre étude montrant que 5,8 milliards de personnes n'avaient pas accès à un geste chirurgical de base. Ici, à l'IRCAD, nous travaillons avec des outils de pointe qui coutent plusieurs millions d'euros. Mais dans de nombreux pays, les hôpitaux n'ont pas les moyens de payer un IRM ou un scanner à plus d'un million d'euros. Par comparaison, l’échographie présente beaucoup d'avantage : elle ne demande pas de source d'énergie et peut se brancher partout. Ces dernières années sont apparues des sondes à faible cout (autour de 400 à 500 euros). Ce sont donc des outils idéaux pour développer une imagerie médicale à bas coût.

L’échographe assisté de l’intelligence artificielle développé par l’Ircad permet de démocratiser l’imagerie médicale. © IRCAD
L’échographe assisté de l’intelligence artificielle développé par l’Ircad permet de démocratiser l’imagerie médicale. © IRCAD

Que permettent de faire précisément ces échographes low cost ?

Bien entendu, l'image avec une telle sonde n'est pas d'aussi bonne qualité qu'avec un échographe à 100.000 euros comme ceux que nous utilisons à l'hôpital. Mais c'est là où entre en jeu l'intelligence artificielle : notre machine, qui s'est entraînée sur des milliers d'échographies, va transformer une image 2D en noir et blanc en une image 3D en couleur beaucoup plus précise. Nous sommes ainsi capables de détecter des tumeurs inférieures à 2 cm de diamètre, c'est-à-dire à un stade où elles peuvent être détruites sans chirurgie lourde. L'IA permet également de dire si l'organe a été entièrement scanné, afin que l'on ne passe pas à côté d'une tumeur.

Comment cette intelligence artificielle est-elle intégrée à la robotique ?

Lorsque la tumeur est encore à un stade précoce, on peut la détruire sans pratiquer une opération complexe, qui comme je l'ai dit n'est pas accessible à tout le monde. On pratique une destruction percutanée, qui consiste à introduire une aiguille au centre de la tumeur par le chaud (radiofréquence) ou par le froid (cryoablation). Le problème, c'est qu'il faut être extrêmement précis pour bien positionner l'aiguille. L'automate guidé par l'intelligence artificielle va placer l'aiguille au bon endroit, dire à quelle profondeur il faut l'enfoncer, et il ne suffit plus qu'à valider la proposition de la machine pour pratiquer le geste. Nous travaillons pour cela avec la startup Axilum Robotics, qui a développé des bras robotiques à bas coût.

Voir aussi

Santé et intelligence artificielle : quelle révolution nous attend ?

Peut-on imaginer demain une opération chirurgicale entièrement automatisée ?

Tout à fait. Demain, nous auront des robots chirurgicaux autonomes au même titre que les voitures autonomes. D'ailleurs, nous pourrions déjà pratiquer automatiquement le geste chirurgical mais il faut des homogations très complexes pour autoriser une machine à percer la peau avec une aiguille ! Aujourd'hui, nous n'en sommes qu'à l'ère de la préhistoire en matière de robotique chirurgicale, qui sert essentiellement à accompagner le geste du chirurgien. Avec l'ajout de l'intelligence artificielle, le robot est capable de reproduire précisément les gestes qu'il a appris sur des milliers d'heures de vidéo d'opération. Le chirurgien va «opérer» virtuellement des clones numériques, puis l'algorithme ça retenir la meilleure procédure possible pour pratiquer un geste parfait. Dans le futur, celui qui va gagner la compétition de la chirurgie robotique, c'est celui qui va mettre le plus d'IA dans son système !

Cette médecine robotisée ne va-t-elle pas être réservée à une élite ?

Au contraire ! Comme le montre l'exemple de notre projet Disrumpere, l'IA peut servir à démocratiser l'accès à la santé dans les pays en développement. Même chez nous, cela pourrait révolutionner le diagnostic des maladies. Aujourd'hui, on fait pratiquer toute une batterie d'examens (IRM, scanners...) qui coutent très cher juste à titre de prévention. Si demain l'IA permet de poser un diagnostic aussi fiable avec des outils 100 fois moins chers, tout le monde est gagnant.