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Des nanoboîtes de trente nanomètres de côté pourraient conserver des médicaments et les lâcher dans le corps dès que le besoin s'en ferait sentir. © Ebbe S. Andersen, Aarhus University
Depuis plusieurs années, Jørgen Kjems, Kurt Gothelf et leurs collègues du Centre for DNADNA Nanotechnology (CDNA), à l'université Aarhus, au Danemark, s'amusent à réaliser des structures les plus petites possible à l'aide moléculesmolécules d'ADN. Ces longues molécules s'associent par paires et se prêtent merveilleusement à des opérations d'auto-assemblages. Des brins d'ADN composés de séquences bien choisies de bases (les unités élémentaires de l'ADN) peuvent effectivement, en théorie, s'assembler spontanément selon un schéma prévu à l'avance.
L'équipe danoise n'est pas la seule à s'adonner à cette étrange occupation, baptisée origami moléculaire. Au CalTech, Paul Rothemund s'en est fait une spécialité et déjà son actif une carte du monde, des smileyssmileys et d'autres dessins, tous réalisés avec de l'ADN et mesurant une centaine de nanomètresnanomètres. Les chercheurs danois ne sont pas en reste et, en 2008, l'équipe a réalisé... des dauphins. Constitués de 216 morceaux d'ADN, ces œuvres, que l'on ne peut admirer qu'à l'aide d'un microscope à force atomiquemicroscope à force atomique, n'ont que deux cents nanomètres de côté. Un nanomètre (nm) valant 10-9 mètre, on constate qu'une galerie de tableaux de ce genre pourrait en aligner un million sur un millimètre de largeur.
Pour impressionnantes qu'elle soient, ces réalisations ne sont toutefois pas les plus petites puisque les scientifiques ont depuis longtemps appris à manipuler les atomes eux-mêmes et à s'en servir pour construire de jolies structures bidimensionnelles.
Trois boîtes, observées par tomographie cryo-électronique pour vérifier leur forme cubique et la présence d'un volume intérieur vide. Les deux premières, à gauche, sont fermées. La troisième, au premier plan et à droite, n'a que cinq faces. © Ebbe S. Andersen, Aarhus University
Ces premiers travaux n'ont pas pour objet de miniaturiser les peintures mais de démontrer la faisabilité de ces assemblages et l'intérêt de l'ADN pour les réaliser. Les chercheurs utilisent de l'ADN de virus, pour la simple raison qu'il s'obtient facilement, non pas vraiment dans le commerce mais auprès de laboratoires spécialisés. Les Danois du CDNA utilisent celui du bactériophage M13M13, un ADN simple brin circulaire.
L'équipe a nettement dépassé le stade des petits dessins en réalisant une structure en trois dimensions et, qui plus est, un dispositif articulé. A partir de brins d'ADN viral et de 220 courtes séquences, les chercheurs ont obtenu une boîte cubique. Les petits brins se sont associés comme prévu à l'ADN viral car leur succession de bases a été déterminée précisément, à l'aide d'un ordinateurordinateur, pour qu'ils se fixent aux bons endroits sur le brin viral.
Une nano-gélule à ouverture automatique ?
Le résultat est ce cube à six faces, dont le côté mesure environ 30 nanomètres. Les biochimistesbiochimistes l'ont transformé en une boîte en lui ajoutant une serrure... Celle-ci est constituée de quatre petits brins, fixés par paires à la jonction entre deux faces (voir le schéma) et dépassant légèrement. En conditions normalesconditions normales, ce brins s'apparient entre eux et la boîte est donc fermée, comme si deux paires de liens accrochaient le couvercle. Mais si l'on ajoute dans le milieu des brins complémentaires de ceux constituant cette serrure, ils se lient à chacun de ces derniers. Ces séquences d'ADN se détachent alors l'un de l'autre pour s'apparier avec les brins apportés par le milieu. Les deux attaches du couvercle se délient l'une de l'autre et le couvercle peut s'ouvrir...
La boîte est constituée d'une dizaine de brins d'ADN par face (ici en gris). La serrure est formée par deux paires de brins courts (en orange et en bleu) et complémentaires l'un de l'autre. Comme deux attaches sur une boîte en osier, les brins se lient entre eux et maintiennent le couvercle fermé (à gauche). Si on introduit dans le milieu des brins complémentaires de ces attaches, ils vont se lier avec elles et dissocier les couples. Le couvercle n'est alors plus retenu (à droite). Dans l'expérience, un marqueur fluorescent change de couleur quand le couvercle s'ouvre, signalant ainsi l'état de la boîte. © Ebbe S. Andersen, Aarhus University
Cette réalisation a d'abord un intérêt théorique et montre que l'on peut aller bien plus loin que la création de motifs à deux dimensions. Elle ouvre également des perspectives d'applicationsapplications en nanotechnologiesnanotechnologies. En présentant ce travail, publié dans Nature, Jørgen Kjems indique trois possibilités. Une telle structure creuse pourrait transporter des produits actifs qui resteraient enfermés jusqu'à ce que la boîte s'ouvre. Selon le scientifique, il devrait être possible de lier le déclenchement de cette ouverture à un paramètre biologique, par exemple la présence d'un virus ou une molécule qui signerait la présence d'une tumeur.
Kjems pense également à l'électronique ou du moins à un système informatique. Puisque la boîte se présente sous deux états différents (ouverte et fermée) et que le passage de l'un à l'autre dépend de la présence de deux facteurs (les brins d'ADN complémentaire lâchés dans le milieu), elle se comporte comme une porteporte logique Et. Selon lui, il est tout à fait envisageable de construire des structures de ce genre faisant office de portes Non et Ou. On disposerait alors de l'arsenal pour réaliser un circuit logique...
La troisième gamme d'applications envisagées par Kjems est celles des capteurscapteurs. Si on s'arrange pour que le signal à détecter ouvre ou ferme la boîte, celle-ci deviendrait alors un capteur. Il suffit de déterminer la position du couvercle, ce que les chercheurs savent déjà faire avec un marqueur fluorescent (voir le schéma).
Ces réalisations sont très lointaines et le délai ne peut que se compter en années voire en décennies. Mais le chemin est tracé et les explorateurs du nanomonde continuent de progresser..