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Actuellement, moins d'un candidat médicament sur dix entrant en phase d'essais cliniques est finalement commercialisé. Pour les candidats contre certaines pathologies du système nerveux central, ce taux est encore plus faible. Ce phénomène entraîne des délais de mise sur le marché de plus en plus longs et conduit notamment à une augmentation des coûts de développement. Cependant, la tendance pourrait être inversée grâce à l'identification précoce des candidats médicaments présentant la meilleure efficacité et une toxicité minimale en évaluant leur comportement in vivo (chez l'animal mais aussi chez l'Homme) dès les toutes premières phases de conception.
Pour cela, il faut « coller » sur ces moléculesmolécules, sans les dénaturer, une étiquette qui permettra de les détecter de manière sensible dans l'organisme. Une technique consiste à substituer certains atomesatomes (H, C, F...) de la molécule par leurs isotopesisotopes (stables ou radioactifs). On obtient alors une molécule dite marquée. Ainsi l'hydrogènehydrogène (H), présent dans toutes les molécules organiques utilisées en santé humaine peut être remplacé par le deutérium (stable) ou le tritiumtritium (radioactif). La synthèse de molécules marquées, rapide, peu coûteuse et utilisant des techniques respectueuses de l'environnement, est aujourd'hui un grand défi en chimie isotopique. En effet, l'introduction de deutérium ou de tritium sur une position définie d'une molécule d'intérêt pharmacologique nécessite généralement le recours à des précurseurs chimiques et à une constructionconstruction en plusieurs étapes.
Une équipe du Commissariat à l'énergieénergie atomique et aux énergies renouvelablesénergies renouvelables (CEA), en collaboration avec le laboratoire de PhysiquePhysique et chimiechimie de nano-objets (CNRS/INSA Toulouse/université Paul Sabatier) et le laboratoire de Chimie et coordination (CNRS), tous deux basés à Toulouse, a mis au point une nouvelle méthode de marquage par « activation C-H ». Le principe de ce procédé connu consiste à substituer un atome d'hydrogène lié à un atome de carbonecarbone par d'autres atomes. Cependant, le processus requiert des réactifsréactifs souvent complexes, coûteux et des conditions réactionnelles drastiques qui peuvent altérer la structure des molécules et donc leurs propriétés chimiques et biologiques. La méthode mise au point par ces chercheurs est réalisable en conditions douces et peut donc être appliquée à des molécules complexes et fragiles. Elle utilise des nanoparticules de ruthéniumruthénium dont la surface est imprégnée de deutérium. Ces résultats viennent d'être publiés dans la revue Angewandte Chemie et sont présentés dans un communiqué du CNRS.
Échange isotopique entre le carbone chiral de la molécule (à gauche) et la nanoparticule de ruthénium (au milieu), dont la surface est imprégnée en deutérium. Ici, un atome de deutérium (en jaune sur le dessin de droite) vient remplacer un atome d'hydrogène. Ce marquage de la molécule s'effectue sans modifier sa structure tridimensionnelle initiale, donc en lui conservant toutes ses propriétés. © Romuald Poteau (CNRS) et Grégory Pieters (CEA)
Un marquage utilisable dans d'autres domaines de la chimie
Les chercheurs ont travaillé sur l'échange isotopique d'une liaison C-H, dans le cas où l'atome de carbone est chiral, c'est-à-dire qu'il porteporte quatre groupements différents. Un carbone chiral n'est pas superposable à son image dans un miroirmiroir -- il en est de même pour nos deux mains. La très grande majorité des médicaments et des molécules d'intérêt comporte ce type de carbone. Les chercheurs ont réussi à démontrer l'exceptionnel potentiel des nanoparticulesnanoparticules de ruthénium, dont la surface est imprégnée de deutérium, à réaliser un échange isotopique sur un carbone chiral sans modifier la structure tridimensionnelle initiale de la molécule.
Les équipes toulousaines ont ensuite mené une étude de chimie computationnelle qui a permis de dévoiler le mécanisme réactionnel tout à fait original de ce procédé. Ce dernier ouvre de nouvelles perspectives tant chimiques que biologiques et permet d'imaginer de nouveaux développements en matièrematière de marquage, applicables aussi bien à la recherche fondamentale qu'à la chimie des médicaments ou des matériaux.
Dans un futur proche, de nouvelles nanoparticules seront développées dans le but de réaliser le marquage isotopique de divers composés fragiles, en particulier les protéines et les acides nucléiques. À partir d'avril 2016 débutera le projet Isotopics, financé par la Commission européenne, avec le but de développer de nouvelles méthodes de marquage pour renforcer l'innovation thérapeutique. Il combinera les efforts de cinq institutions de recherche (CEA, CNRS, université d'Oxford, Karolinska Institute (Suède) et université de Liège) et de trois compagnies pharmaceutiques (UCBPharma, AstraZenecaAstraZeneca et Sanofi) dans cinq pays européens (Allemagne, Belgique, France, Royaume-Uni et Suède). Ce projet devrait notamment permettre de valoriser les découvertes concernant les nanoparticules de ruthénium en les appliquant au développement de nouveaux médicaments plus efficaces, plus sûrs et plus accessibles.