En mai dernier, The Lancet annonçait une épidémie de myopie en Extrême-Orient, touchant de 80 à 90 % des étudiants sortant de l’école. Mis en cause : le mode de vie de ces jeunes, qui passent trop de temps le nez dans les livres ou devant les écrans et ne sortent pas assez. Peut-on assister au même phénomène en Europe ? Florence Malet, ophtalmologiste au CHU de Bordeaux, répond aux questions de Futura-Sciences.
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Attention les yeux ! C'est un peu ce qu'inspirait l'étude de Ian Morgan, de la National Australian University (Canberra) parue dans The Lancet le 5 mai dernier. Elle y révélait que l'Asie était en proie à une épidémie de myopie grandissante, et que l'Extrême-Orient en était la principale victime : entre 80 et 90 % des jeunes sortant de l'école sont atteints par la pathologie oculaireoculaire qui les empêche de bien voir de loin. Des chiffres tout bonnement hallucinants.
Atteindra-t-on un jour en Europe ces incidences exceptionnelles, qui font que cette maladie devient presque une norme ? Les lentilles de contact ne permettent pas encore de voir l'avenir mais il y a de fortes raisons d'espérer que le Vieux Continent échappera à ces proportions incroyables. Même s'il ne sera pas complètement épargné...
La myopie, une histoire de gènes
Florence Malet, spécialiste de ces questions au CHU de Bordeaux revient pour Futura-Sciences sur ce sujet. « La myopie gagne du terrain dans le monde entier, mais l'Asie a toujours été une zone à part. Entre 60 et 80 % des gens y sont myopes, tandis que la proportion tourne autour des 33 % aux États-Unis, et plutôt de 25 % en Europe. » C'est déjà beaucoup...
Ces différences ethniques s'expliquent certainement par la génétique. « Il existe très probablement des prédispositions très fortes dans les populations asiatiques qu'on ne retrouve pas avec la même incidence chez les Caucasiens » reprend l'ophtalmologiste. Mais dans la plupart des cas, l'ADN à lui seul ne suffit pas. Il lui faut un élément déclencheur dans l'environnement pour s'exprimer. Il en va ainsi avec la myopie.
L'hypothèse des auteurs de cette étude porteporte sur deux points. Le système éducatif des pays de l'Extrême-Orient n'est pas identique au nôtre, et les enfants consacrent énormément de temps aux études théoriques, jusqu'à oublier de mettre le neznez dehors. Ainsi, ils s'enferment et travaillent sur un écran, derrière un livre et tirent beaucoup sur leur vision de près. Dans le même temps, un étudiant américain ou européen en profite pour prendre un peu l'airair. Voilà deux éléments à prendre en compte...
Une thérapie par le soleil
« Des recherches menées en Chine semblent incriminer le rôle du travail de près dans l'apparition de la myopie, reprend Florence Malet. Il n'y a pas encore de preuve définitive, mais elles révèlent une association positive forte : un enfant qui a un parent myope et qui travaille de près connaît de gros risques de développer lui aussi cette pathologie de la vision. »
Quant au deuxième point, le temps d'exposition à la lumière naturelle, les charges semblent plus accablantes encore. « Ces mêmes travaux révèlent que les myopies évoluent moins durant l'été en Chine, poursuit-elle, alors on encourage les enfants à sortir au maximum pour profiter de la lumièrelumière du jour. »
Cette idée vient d'être corroborée par des travaux récents, menés cette fois par des Irlandais de la Cardiff University. Dans la revue Investigate Ophtalmology & Visuel Science, ils expliquent qu'il existe un lien entre le temps passé dehors et la prévalenceprévalence de la myopie. Chaque heure passée en plein air diminue ainsi les risques de développer la pathologie de 2 %. À Singapour, un élève s'expose en moyenne 30 minutes par jour à la lumière extérieure. En Australie, avec un mode de vie à l'occidentale, un enfant du même âge y est confronté pendant 3 heures, soit six fois plus longtemps.
Stimuler la production de dopamine durant la jeunesse
Il pourrait y avoir une explication physiologique à ce phénomène. Il a été montré chez l'animal que la dopamine jouait un rôle dans la croissance du globe oculaireglobe oculaire. Or on touche là au cœur du problème puisque « la myopie se caractérise par un allongement trop important de l'œil. Normalement, il mesure aux alentours de 22-23 mm. Mais parfois il grandit tellement qu'il atteint 26 voire 30 mm et entraîne des myopies sévères, sources de complications rétiniennes » reprend le docteur Malet. La taille définitive est atteinte autour de la 25e année.
La dopaminedopamine stoppe justement cette croissance et il paraît clair que sa concentration augmente en fonction du temps passé à l'extérieur. En revanche, la lumière artificielle ne stimule pas sa synthèse. Rester enfermé dans des bâtiments pourrait favoriser le développement de la myopie. Quelle fraction du rayonnement solaire est-elle utile ? On l'ignore encore...
Mieux vaut prévenir que guérir
Alors, quels sont les risques pour les Européens ? Malgré l'augmentation de l'incidence, la généralisation des cas de myopie ne devrait pas se présenter demain. La population caucasienne semble équipée d'un bagage génétiquegénétique qui la prédispose moins à la myopie. D'autre part, à moins d'un changement radical des pratiques éducatives, les temps d'exposition à la lumière naturelle sont plus importants que dans les pays asiatiques.
« Nous sommes très bien pourvus en ce qui concerne les outils thérapeutiques pour soigner cette pathologie, poursuit l'ophtalmologiste bordelaise. La plupart du temps, ces myopies ne sont pas sévères, et une correction avec des lunettes, des lentilleslentilles ou une chirurgie réfractive fournissent à ces patients une vision de 10/10. En revanche, de nombreux mystères planent encore sur les origines de la maladie. » Quels gènesgènes pour quelles conséquences ? Quel rôle imputable à l'environnement ? « Notre objectif est de limiter l'incidence de personnes myopes à travers le monde maintenant ; des études cliniquesétudes cliniques avec de nouveaux systèmes optiques appliqués aux lentilles et aux verresverres sont en évaluation pour essayer de freiner l'évolution de la myopie chez les enfants » conclut Florence Malet. Car même si l'on dispose des moyens pour guérir, autant prévenir.