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Le 28 février dernier, l'OMS sortait un rapport préliminaire établissant les risques de développer certains cancers pour les personnes exposées à la radioactivitéradioactivité qui s'est échappéeéchappée de la centrale nucléaire de Fukushima depuis le 11 mars 2011. Bien qu'il soit trop tôt pour faire un bilan complet, ce texte estime qu'une sous-partie de la population, la plus exposée, risque de développer certaines tumeurs particulières.
Chez les enfants, la thyroïde est susceptible d'être frappée. On a constaté à partir de cinq ans après l'accident nucléaire de Tchernobyl (le 26 avril 1986) une augmentation des cancers thyroïdiens chez les enfants, notamment ceux qui étaient âgés de moins de quatre ans au moment de l'accident. Ainsi, cet organe est sensible à la radioactivité, ce qui n'est pas le cas de toutes les parties du corps. D'après les prévisions de l'OMS, les jeunes filles vivant à proximité de la centrale nippone ont environ 70 % de risque en plus de déclarer la maladie. Un nombre impressionnant en première analyse, mais qui, concrètement, signifie qu'une femme a désormais 1,25 % (au lieu de 0,75 %) de probabilité de contracter un tel cancer tout au long de sa vie.
Le Japon n'a pas attendu la publication de ce rapport inquiétant pour prendre des mesures préventives. Tous les enfants de la préfecture de Fukushima ont été invités à passer des échographieséchographies de la thyroïde pour diagnostiquer les anomaliesanomalies susceptibles d'être des tumeurs. Quels sont les chiffres précis et les implications éventuelles ? Jean-René Jourdain, adjoint à la direction de la protection de l'Homme à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) répond aux questions de Futura-Sciences.
Jean-René Jourdain est adjoint à la directrice de la protection de l'Homme à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire depuis janvier 2012. © IRSN
Futura-Sciences : Que savez-vous des anomalies thyroïdiennes constatées chez les enfants de Fukushima ?
Jean-René Jourdain : Entre avril 2011 et septembre 2012, les médecins japonais ont vu passer très précisément 95.954 enfants, à qui ils ont fait subir une échographie thyroïdienne. Dans 60,1 % des cas, ils n'ont rien trouvé. Pour 39,4 % d'entre eux, ils ont noté un nodule de diamètre inférieur à 5 mm ou un kystekyste de moins de 20 mm de diamètre. Ces nodules ou kystes étaient de taille plus importante pour les 501 enfants restant, soit 0,5 % du total.
Voilà pour les chiffres bruts. Maintenant, il faut faire attention à l'interprétation et ne surtout pas considérer que 40 % des enfants déclareront des problèmes thyroïdiens à l'avenir. Si l'on faisait la même étude en France, on trouverait inéluctablement de nombreuses personnes avec des kystes ou des nodules sans pour autant que cela présente un danger. C'est comme pour les grains de beautégrains de beauté : certains sont suspects, mais la plupart sont inoffensifs.
Comment déterminer plus précisément quels enfants sont les plus à risque ? Est-ce juste une histoire de taille ?
Jean-René Jourdain : Une question de taille, mais également d'aspect. Pour l'heure, nous ne disposons que d'informations quantitatives. Or, pour mieux interpréter ces données, il faudrait en savoir davantage sur les aspects qualitatifs. Les contours sont-ils réguliers ou non ? Le kyste ou le nodule est-il vascularisé ou pas ?
L'université de Fukushima a décidé, en fonction de ces critères, de déterminer la régularité du suivi de ces enfants. Les 99,5 % d'enfants dont les nodules ou les kystes sont absents ou de petite taille bénéficieront d'échographies thyroïdiennes tous les deux ans jusqu'à 20 ans, puis tous les cinq ans au-delà de l'âge de 20 ans. Pour les autres, une nouvelle échographie a été diligentée.
D'après les chiffres dont je dispose, les résultats de cette deuxième analyse sont disponibles pour 83 des 501 enfants concernés. Ils révèlent que 60 d'entre eux vont être soumis à un suivi plus étroit, avec une échographie chaque année. Enfin, 36 de ces 60 jeunes ont subi une biopsie, pour déterminer plus précisément la nature du kyste ou du nodule.
Pourquoi ne pas pratiquer une biopsie systématiquement ? Les résultats n’en seraient-ils pas plus précis ?
Jean-René Jourdain : La biopsiebiopsie de la thyroïde est un acte chirurgical très délicat à mettre en œuvre. C'est une toute petite glandeglande, qui ne pèse qu'un gramme à la naissance et qui atteint 20 g à l'âge adulte. Seuls la taille et l'aspect des grosseurs poussent les médecins à déterminer dans quels cas pratiquer une biopsie. Lorsqu'elle n'est pas jugée nécessaire, un suivi régulier est préconisé.
Cette carte représente les débits de doses radioactives sur zone entre le 30 mars et le 3 avril 2011, soit quelques semaines après la catastrophe nucléaire de Fukushima. Les couleurs les plus chaudes signalent les radiations les plus intenses. Jusqu'à 50 kilomètres du lieu du drame, on trouve des régions encore très radioactives. © Roulex_45, Wikipédia, cc by sa 3.0
Les résultats des rapports japonais précisent qu’il y a déjà quelques cas de cancer de la thyroïde…
Jean-René Jourdain : Effectivement, trois cancers ont été diagnostiqués et des analyses sont approfondies chez sept autres enfants. Mais à quel type de cancers avons-nous affaire ? Je l'ignore. Car il existe plusieurs cancers thyroïdiens, et la radioactivité ne peut induire que l'un d'entre eux. Et encore, il est impossible d'affirmer à 100 % que les radiations en sont responsables. Tant qu'on n'en connaîtra pas davantage sur l'histologiehistologie de ces tumeurs, on ne pourra pas tirer de conclusions.
Il semble pourtant probable que l'accident nucléaire de Fukushima engendrera une hausse de l'incidenceincidence de ces cancers.
Jean-René Jourdain : Ce n'est pas impossible, en effet, même s'il faut se montrer extrêmement prudent. Cependant, les études menées à Tchernobyl ont montré qu'il fallait environ cinq ans avant que l'incidence des cancers thyroïdiens augmente, preuve que la maladie demande du temps avant de se déclarer. Ces chiffres proviennent des registres du cancer des pays directement touchés par la catastrophe, comme l'Ukraine, la Biélorussie ou la Russie. Ainsi, il paraît bien prématuré de relier les trois cas de cancers japonais aux émanations radioactives de la centrale nucléairecentrale nucléaire de Fukushima, d'autant qu'un délai de 18 mois est trop court pour expliquer l'apparition d'un cancer de la thyroïdecancer de la thyroïde attribuable à une exposition à la radioactivité. Peut-être est-ce tout simplement la campagne de dépistagedépistage qui a permis de les révéler. Il y a fort à parier qu'en menant une telle étude en France, on trouverait aussi des personnes atteintes d'un cancer de la thyroïde bien qu'il n'y ait pas eu de catastrophe nucléaire.
Les chiffres émanant des rapports de l'université de Fukushima servent plus à établir un niveau de base après le terrible accident. C'est ensuite l'évolution des statistiques qui permettra de déterminer si l'incidence de ces tumeurs a réellement augmenté chez les enfants vivant près de Fukushima.