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La radioactivité est un phénomène connu depuis 1896 seulement. L'Homme a utilisé ses propriétés pour construire des bombes nucléaires, utilisées à deux reprises à Hiroshima et Nagasaki. On l'utilise aussi pour fournir de l'énergie électrique. Plusieurs accidents majeurs ont révélé ses dangers, dont le dernier en date s'est déroulé à Fukushima. © Cary Bass, Wikipédia, DP
Le Parisien relançait la polémique ce 17 juillet en révélant, à travers les propos de l'expert Florent de Vathaire, l'existence d'un « lien vraisemblable » entre les 210 essais nucléaires français et certains cas de cancer apparus chez des vétérans. Pour le scientifique de l'Institut de cancérologiecancérologie Gustave Roussy, six des quinze personnes étudiées sont probablement tombées malades après une exposition à la radioactivitéradioactivité à la suite de l'explosion des bombes. Le rapport n'a pas été dévoilé car il est établi dans le cadre d'une enquête judiciaire consécutive à une plainte déposée par l'Association des vétérans des essais nucléaires (Aven).
Pour mieux comprendre la difficulté d'un tel problème, Futura-Sciences a interrogé Jean-René Jourdain, adjoint à la direction de la protection de l'Homme à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Pour affirmer une relation de cause à effets, mieux vaut être très bien renseigné...
Jean-René Jourdain a connu un parcours varié, qui l'a mené vers deux doctorats (un en pharmacie, un autre en biologie), plusieurs années dans le milieu hospitalier, une collaboration avec le ministère de la Jeunesse et des Sports, avant d'intégrer l'IRSN en 2000. © IRSN
Futura-Sciences : Quels liens ont déjà pu être établis entre exposition à la radioactivité et cancers ?
Jean-René Jourdain : Il est impossible de considérer le cancer au sens large quand on parle de radioactivité. Un comité des Nations unies a travaillé sur cette question et a regroupé les différentes tumeurs dans trois grandes catégories.
- La première regroupe les cancers qui peuvent, de façon formelle, être induits par la radioactivité. C'est le cas de la leucémie par exemple, ou des cancers de la thyroïde, notamment chez les enfants, comme cela a été observé dans la population japonaise au contact des radiations après les explosions des bombes à Hiroshima ou Nagasaki ou chez les enfants exposés aux retombées de l'accident de Tchernobyl en Biélorussie, Ukraine et Russie.
- Le deuxième groupe concerne les tumeurs pour lesquelles les rayonnements ionisants sont susceptibles de jouer un rôle, comme les cancers de la vessie ou du foie.
- La troisième catégorie comprend, en revanche, les tumeurs qui ne peuvent pas être induites par la radioactivité. Le cancer le plus fréquent chez l'homme, celui de la prostate, est classé ici-même.
D'autre part, les délais nécessaires avant que le cancer ne se déclenche sont longs, de plusieurs années à plusieurs décennies. Une leucémie contractée 2 mois après une exposition à une radioactivité forte ne peut pas être imputée à cet événement malheureux. Toutefois, d'autres pathologies, différentes, apparaissent parfois très rapidement après l'accident.
Quelle est la dose minimale à laquelle il faut être exposé pour déclarer la maladie ?
Jean-René Jourdain : La question fait débat. Il a été clairement établi qu'au-delà de la dose équivalente de 100 mSv (millisieverts), il existe une relation de proportionnalité. Autrement dit, à partir de cette dose, plus l'exposition aux radioéléments est forte et plus les risques de développer un cancer augmentent. En-deçà de cette limite, pour les faibles doses, les conclusions sont beaucoup moins nettes.
Le principe de précautionprincipe de précaution veut que l'on considère toujours cette relation linéaire de proportionnalité, sans seuil, même si aucune étude épidémiologique n'a pu le prouver de façon certaine et irréfutable. Dans cette tranche, il est donc très difficile de faire la part des choses entre la radioactivité et les autres causes pouvant déclencher un cancer.
Tous les cancers ne sont pas égaux devant la radioactivité. La leucémie, dont on voit ici des cellules tumorales, apparaît parfois consécutivement à une exposition trop importante. À l'autre extrême, la prostate paraît insensible... © DR
Comment est-il donc possible d'établir un lien entre une exposition à un instant t et une maladie qui se déclare de longues années après, dont les causes peuvent être multiples ?
Jean-René Jourdain : Il n'y a pas d'autres solutions que de fouiller dans le passé médical du patient. Il faut établir la dose exacte à laquelle il a été exposé, à partir de mesures concrètes ou, si elles ne sont pas disponibles, l'estimer à partir de simulations. A-t-il été soumis à des radiothérapies ? Des chimiothérapies ? Des polluants ?
Dans le cas des essais nucléaires, d'autres données sont importantes. Deux types d'essais ont été pratiqués : dans un premier temps, des essais atmosphériques dont les retombées pouvaient directement impacter la population aux alentours ; ces essais ont ensuite été abandonnés au profit d'essais souterrains permettant de diminuer ainsi le risque d'exposition des populations proches.
Dans ces situations, la distance entre les personnes et le lieu de l'explosion est cruciale. Plus la distance est importante, plus les doses reçues diminuent. Ensuite, la proximité immédiate du lieu de l'explosion n'entraîne pas obligatoirement une exposition conséquente. En effet, la direction des ventsvents et les conditions météorologiques en général peuvent disperser le nuagenuage au loin. Lors de l'accident de Fukushima, ces données ont par exemple été prises en compte.
Ensuite, la mise en place de protection doit être comptabilisée : la présence d'un murmur de bétonbéton ou de plombplomb séparant les militaires du lieu de l'explosion, l'utilisation de masques les empêchant de respirer ou d'avaler les particules radioactives, etc. Selon les témoignages de vétérans, certains précisent ne pas avoir porté de masques, tandis que d'autres racontent en avoir été équipés.
Il faut donc réaliser un travail au cas par cas, en considérant un maximum de critères pour établir le plus précisément possible la cause. Cependant, la maladie ne laisse pas de signature distincte et le doute est toujours permis.
Que penser des études de Florent de Vathaire ?
Jean-René Jourdain : L'IRSN ignore à quels éléments a eu accès le scientifique, donc nous ne savons pas sur quels arguments il fonde ses conclusions. Dans la presse, il y évoque un « lien vraisemblable » pour six des quinze patients examinés. Cela signifie aussi que la relation de cause à effets n'a pas pu être établie pour les neuf autres. Au regard des éléments dont nous ne disposons pas, nous ne pouvons pas nous prononcer sur la pertinence de ce travail, resté inaccessible pour des raisons judiciaires.