Le cancer est une maladie qui effraie les patients et leur famille. Pourtant, aujourd’hui, les malades bénéficient de plus en plus de traitements personnalisés efficaces car adaptés aux caractéristiques moléculaires de leur propre tumeur. La Journée mondiale contre le cancer est l’occasion de revenir sur les avancées thérapeutiques menées ces dernières années, ou à venir. Entretien avec Jocelyne Bérille, directeur scientifique de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer.
au sommaire
La recherche translationnelle permet de faire avancer les thérapies personnalisées contre le cancer. © NIH, domaine public
Consultez notre dossier pour tout savoir sur le cancer et le dépistage
Le cancer reste aujourd'hui la première cause de décès dans le monde. Selon les estimations de l'Organisation mondiale de la santé, 84 millions de personnes pourraient en mourir entre 2005 et 2015. Cette maladie se décline sous une multitude de formes. Si certaines d'entre elles sont aujourd'hui prises en charge efficacement comme le cancer du sein, certains cancers sont malheureusement affublés de chiffres beaucoup moins satisfaisants (cancer du poumon, du pancréas).
Beaucoup de moyens sont aujourd'hui mis en œuvre pour faire évoluer cette situation. La recherche fondamentale, associée aux recherches cliniques, permet d'avancer chaque jour un peu plus vers de nouvelles thérapies, qui deviendront une réalité demain ou dans quelques années. Pour la Journée mondiale contre le cancer, le Dr Jocelyne Bérille, directeur scientifique de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC), a accepté de répondre aux questions de Futura-Sciences.
Futura-Sciences : Quel est le rôle de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer ?
Jocelyne Bérille : Nous assurons la promotion d'études cliniques académiques, c'est-à-dire avec ou sans partenariat de l'industrie pharmaceutique, et surtout avec le soutien de la Ligue contre le cancer. Ces études ont pour but d'améliorer les traitements des tumeurs rares, des populations dites rares (enfants, personnes âgées), ou les stratégies thérapeutiques qui ne sont pas des priorités pour les industriels telles que la chirurgie ou la radiothérapieradiothérapie. Le rôle de mon service est de mettre en place ces études pour améliorer les traitements en cours, dans les 20 centres de lutte contre le cancer mais aussi hors centres. Par exemple, cette année, une de nos études a permis une grande avancée par rapport au traitement standard sur le cancer du pancréascancer du pancréas métastatiquemétastatique grâce à une nouvelle association de chimiothérapie (Folfirinox). Notre étude a démontré une amélioration de la survie d'une population de patients porteurs de ce cancer de cinq mois en moyenne, ce qui représente beaucoup pour des patients ayant généralement une survie inférieure à un an.
Qu’en est-il de la recherche en amont ?
Jocelyne Bérille : Nous sommes très avancés pour les recherches en amont ; c'est ce que l'on appelle la recherche translationnelle. Au cours des études promues par la FNCLCC, nous essayons au maximum de récupérer du tissu tumoraltumoral et des prélèvements sanguins, avec le consentement des patients, pour alimenter notre tumorothèque. Le but est de faire des recherches spécifiques sur ces tumeurs, par exemple pour rechercher des gènesgènes susceptibles d'induire plus de cancers, ou des anomaliesanomalies moléculaires qui entraînent une résistancerésistance au traitement. Nous avons le projet de mettre prochainement cette tumorothèque à disposition des chercheurs menant des projets jugés intéressants par la Fédération.
Estimez-vous avoir suffisamment de financements pour faire de la recherche efficace ?
Jocelyne Bérille : Pour toute recherche académique, quel que soit le pays, nous passons énormément de temps à rechercher des financements. Ces financements ne sont jamais suffisants car la recherche clinique est de plus en plus coûteuse, mais nous arrivons tout de même à réaliser des études intéressantes avec les moyens que nous avons actuellement (financement caritatif de la Ligue contre le cancer, des bourses d'état et des partenariats avec des industriels).
Quel est l’impact du Plan cancer 2009-2013 sur vos recherches ?
Jocelyne Bérille : Il y a un certain nombre de directives du Plan cancer que nous appliquons pour le bien des patients.
Entre autres, une des mesures principales est l'inclusion de 15 % des patients dans les essais thérapeutiquesessais thérapeutiques, ce qui représente un chiffre très élevé ! D'autant plus que la cancérologiecancérologie tend vers la médecine personnalisée, pour des patients dont les tumeurs présentent des anomalies génétiquesgénétiques particulières. Cette approche permet des traitements beaucoup plus appropriés pour les patients, mais impacte également leur recrutement dans les études. Les centres de lutte contre le cancer sont tout de même très bien placés puisqu'en 2009, ils ont atteint un taux d'inclusion de 12,8 %.
De plus, le Plan cancer a l'ambition que tous les protocolesprotocoles de cancérologie (environ 250 par an) soient revus par un comité de patients. Les comités de patients, mis en place par la Ligue contre le cancer en partenariat avec la Fédération, fonctionnent depuis plusieurs années. Ils sont constitués de patients qui relisent nos protocoles de recherche et donnent leur avis de patient ayant souffert de la maladie sur ce protocole. Ils vérifient notamment si les notes d'informations délivrées aux patients, avant toute entrée dans un essai clinique, sont assez claires et pédagogiques. C'est un énorme plus !
Le Plan cancer prévoit aussi l'accès des patients à la médecine de pointe qui leur permet d'avoir cette médecine personnalisée en fonction des caractéristiques spécifiques de leur tumeur, un accès proposé dans tous les centres de lutte contre le cancer.
Selon vous, la recherche avance-t-elle autant que l’on pourrait l’espérer ?
Jocelyne Bérille : On est toujours très négatif, mais je trouve que la recherche a énormément avancé. Quand j'ai commencé il y a un peu plus de vingt ans, le cancer était une maladie dont on ne guérissait pratiquement pas. Actuellement, un des messages essentiels à faire passer, c'est que l'on guérit plus de la moitié des patients. En vingt ans, la progression des découvertes est exceptionnelle, c'est exponentiel. Il y a une vraie volonté actuellement en France d'investir dans la recherche biologique et il faut le reconnaître car cela n'a pas toujours été le cas.
Il faudrait peut-être mieux organiser la recherche pour éviter que nos postdoctorants quittent la France. Ce sont des jeunes diplômés de 30-35 ans, ayant une connaissance absolument magnifique, formés avec des financements publics, dans les universités et les grandes écoles, mais qui sont en CDD et n'arrivent pas à trouver un travail correct pour faire de la recherche de qualité. La question de l'organisation est aussi importante que celle du financement.
Tous les cancers seront-ils guérissables un jour ?
Jocelyne Bérille : Je l'espère, sinon je ne ferais pas ce métier ! Il n'y a pas un cancer mais des cancers. Par exemple, il y a un nombre indescriptible de leucémiesleucémies en fonction de leur profil moléculaire et qui ne se traitent pas du tout de la même façon. Grâce aux tumorothèques et à la recherche translationnelle, nous sommes en train de cibler le dérèglement moléculaire du cancer. Nous avons déjà beaucoup avancé, mais il reste encore un boulevard de choses à découvrir. Le cancer devient une maladie chronique, et d'ailleurs on peut vivre avec un cancer sans être au fond d'un lit et en ayant une vie normale. Il y a des patients qui viennent faire leur chimiothérapiechimiothérapie et qui vont travailler le lendemain. Maintenant c'est une réalité.
En caricaturant, nous pouvons dire que nous transformons peu à peu le cancer en « diabètediabète » ou en « hypertension artériellehypertension artérielle ». Cependant, tous les cancers ne sont pas guéris et il y a encore une marge évidente d'amélioration. Il ne faut pas oublier non plus la préventionprévention.
Peut-on guérir et non pas tuer les cellules cancéreuses ?
Jocelyne Bérille : La radiothérapie est un traitement local et la chimiothérapie est un traitement général qui attaque toutes les cellules qui se divisent vite. Depuis une quinzaine d'années, il existe des traitements qui ciblent une anomalie moléculaire spécifique de la tumeur où le médicament n'agit que sur cette anomalie. La leucémie myéloïde chronique est un exemple flagrant : les patients nécessitaient des greffesgreffes de moelle osseusemoelle osseuse, suivies de plusieurs semaines dans des chambres stériles et certains mourraient. Cette maladie se traite aujourd'hui par deux comprimés par jour (GlivecGlivec) qui visent spécifiquement une anomalie (le « chromosomechromosome Philadelphie »). Nous ne sommes plus aux « chimiothérapies de papa » d'il y a quinze ans. Les choses évoluent vraiment très vite.
Peut-on espérer des traitements en cancérologie à base de thérapie génique ?
Jocelyne Bérille : Il y a des indications médicales, autres que la cancérologie, où la thérapie génique a prouvé son efficacité (bébés-bulles). Il faut savoir que c'est une technique très lourde. En cancérologie, ce n'est pas pour l'instant l'avenir immédiat ; nous essayons plutôt de trouver des anomalies moléculaires (la recherche translationnelle) au niveau tumoral, et de rechercher des médicaments spécifiques à ces anomalies.
Les nanoparticules sont-elles déjà efficaces ?
Jocelyne Bérille : L'idée des nanoparticules est d'enfermer une moléculemolécule de chimiothérapie dans un système protecteur pour qu'elle aille directement dans la cellule tumorale en tant que cheval de Troiecheval de Troie, sans faire de mal pendant le trajet. Un certain nombre de médicaments de la sorte sont déjà sur le marché. D'autres associations sont en train d'être mises en place, où la molécule de chimiothérapie attachée à un anticorpsanticorps, cible spécifiquement la tumeur. Ce sont des moyens de mieux attaquer les tumeurs en évitant les effets secondaires.
Quel est le rôle des industries pharmaceutiques ?
Jocelyne Bérille : En ce moment l'industrie pharmaceutique est mise à mal avec le Médiator, mais il faut quand même reconnaître que nous ne pouvons pas nous passer des industriels, car ils sont les seuls capables de produire la technologie de pointe à grande échelle. La recherche académique définit le concept, mais le passage en productivité de ce type de traitement ne peut se faire que par des industriels. Il faut accorder à chacun ses expertises. C'est quelqu'un issu de la recherche académique qui vous dit ça !