Dans ce nouveau chapitre du Cabinet de curiosités, nous partons à la découverte des fantômes médicaux, des entités qui n'ont certes rien de surnaturel mais qui ne manqueront pas de vous donner froid dans le dos. Préparez-vous un thé, baissez les lumières, et commençons.
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On pourrait croire à une version cauchemardesque des masques des Daft Punk. Ou à l'incarnation physiquephysique de certaines peintures de Francis Bacon. En tous les cas, ce qui est certain, c'est que les fantômes dentaires ne laissent pas indifférents. Si les robotsrobots les plus réalistes parviennent encore tout juste à s'extraire de l'uncanny valley, il est troublant de constater à quel point un simple masque de métalmétal doté d'une dentition réaliste peut confondre nos sens et donner naissance à un profond sentiment de malaise. Mais avant de parler d'eux, faisons un tour rapide (et non exhaustif) de l'histoire des cadavres et des fantômes en médecine.
S’affranchir des tabous au profit du progrès ?
Le corps humain est une machine d'une complexité aussi formidable que redoutable, le vaisseau de milliers de processus chimiques, électriques et biologiques dont l'entière subtilité nous échappe encore ; et pour faire face à ses maux et ses dysfonctionnements, la médecine a dû s'affiner et se spécialiser au fil des siècles. C'est une pratique qui se construit sur l'expérience, mais pour laquelle la méthode essai-erreur peut parfois se révéler coûteuse. Essayez un nouveau traitement sur un patient, et vous risquez de le voir périr entre vos mains plutôt qu'aux mains de la maladie qui l'afflige. Sectionnez le mauvais organe, et ce qui ne se voulait qu'une opération bénigne pourrait rapidement se transformer en meurtre involontaire.
C'est pourquoi dès l’Antiquité grecque, on trouve trace des premières dissections sur des cadavres à visée d'apprentissage, suivies par l'introduction de la chirurgie expérimentale, avec le savant arabe Avenzoar, au début du deuxième millénaire. Un progrès non négligeable pour nos sociétés car outre d'éventuelles contraintes techniques, il a dû également surmonter un obstacle bien plus important : le tabou culturel et religieux qui veut que l'on respecte les corps des défunts. La possibilité pour les barbiers chirurgiens, puis les chirurgiens, de pratiquer leur art sur des dépouilles révolutionne la pratique et permet de faire progressivement reculer le charlatanisme au profit d'un corps de savoir-faire toujours plus éprouvés et plus sûrs.
Mener une opération chirurgicale n'est pas une mince affaire. En témoigne le fiasco légendaire dont le docteur Liston fut l'acteur au XIXe siècle. © Futura
Le corps humain : une monnaie rare
Mais à mesure que les universités se multiplient et forment de nouvelles armées de médecins et de chirurgiens, la question de la disponibilité des corps se pose de manière toujours plus pressante. Si la dissection est désormais autorisée, le sentiment sacrilège qui l'accompagne reste vif, et on la réserve généralement aux dépouilles des criminels que l'opinion publique s'est déjà chargée de déshumaniser. Face à ces restrictions et à la putréfaction rapide des chairs de leurs sujets, les chirurgiens sont contraints de faire appel aux services de trafiquants de cadavres, portant le surnom de résurrectionnistes. Des sépulturessépultures sont violées dans l'ombre de la nuit. Le corps humain devient plus que jamais une ressource convoitée, précieuse et controversée.
Le passage de nombreuses lois sur le don de corps et d'organes au milieu du XXe siècle a permis de grandement régulariser cette situation de crise, même si certains événements comme la pandémie de coronavirus peuvent encore aujourd'hui déstabiliser ce système fragile. D'autre part, grâce au développement de nouvelles technologies de réalité virtuelle, fournissant aux étudiants en médecine un retour visuel et haptiquehaptique lors d'opérations simulées, les écoles espèrent progressivement s'affranchir du besoin de recourir à de véritables cadavres. Quant à d'autres domaines requérant l'emploi de corps humains à des fins expérimentales comme l'imagerie, la balistique ou encore la dentisteriedentisterie, ils se sont progressivement vu envahir par des fantômes aux formes exotiquesexotiques...
Des fantômes en médecine
Venons-en au cœur du sujet qui nous intéresse, et commençons par une définition afin de couper court à toute ambiguïté. Un fantôme médical est un objet conçu pour imiter les propriétés d'une partie ou de l'ensemble du corps humain. Des torses hyperréalistes utilisés pour étudier l'impact des armes à feufeu sur les organes internes aux boîtes de plastiqueplastique - ressemblant plutôt à des jouets pour enfants - destinées à aider les techniciens à calibrer leur appareil d'IRM, il en existe de toutes sortes et pour tous les domaines. Médecine généraliste, balistique, imagerie, crash test, premiers soins, vous avez très probablement déjà croisé un fantôme dans votre vie.
Les fantômes dentaires pour leur part semblent avoir été les premiers à faire leur apparition dans le monde médical. C'est Oswald Fergus, un dentiste écossais et poète à ses heures perdues qui crée la première « mâchoire d'entraînement » en 1894 : une simple barre verticale sur laquelle sont montées deux rangées de dents, le tout formant une bouche rudimentaire. L'outil se démocratise rapidement et développe bientôt l'ébauche d'un crâne permettant aux dentistes en devenir de s'entraîner dans des conditions plus fidèles à la réalité. Certains fantômes se parent même d'un torse.
Dans la vallée de l'étrange
En général, l'artisan ne se préoccupe pas particulièrement de l'apparence du visage qu'il appose sur ces têtes. Des années 1920 à 1960 environ, un casque de métal laissant vaguement deviner le contour d'une paire d'yeuxyeux et d'un nez surplombe une mâchoire dénudée. Les fans d'Hellboy y trouveront peut-être une ressemblance avec le terrifiant Karl Ruprect, tandis que d'autres y verront un airair de famille avec le Terminator. Ces crânes cauchemardesques se dotent de joues vers la fin des années 1960 puis acquièrent finalement leur forme actuelle la plus répandue : le bas du visage jusqu'au nez est reproduit avec une peau en caoutchouccaoutchouc entourant la mâchoire, et sa partie supérieure est composée d'une coque en plastique.
Les fantômes continuent de couler de beaux jours dans les milieux académiques et ceux de la recherche, et grâce aux derniers progrès de l'impression 3Dimpression 3D, les chercheurs espèrent parvenir à créer des substituts toujours plus réalistes à partir de véritables cellules ou de cartilage. Notons tout de même que le don de corps et d'organes reste crucial pour sauver des vies, que ce soit dans les labos ou dans les hôpitaux. Alors si vous souhaitez continuer de soutenir la science par-delà votre existence sur Terre, n'hésitez pas à vous renseigner sur le site du Service public et à signaler votre souhait au centre de don de votre choix. En attendant, j'espère que nous nous retrouverons en chair et en os en janvier, pour de futurs Cabinets de curiosités.
Chasseurs de Science
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