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Photographie au microscope électronique du virus de la grippe espagnole rétrospectivement reconstitué par génie génétique à partir d'échantillons de restes humains de 1918. Source : PD-USGov-HHS-CDC
De tous les risques de pandémie guettant l'humanité, celui de la grippe est l'un des plus présents. Rien n'indique que nous soyons aujourd'hui à l'abri d'une attaque virale de type grippe espagnole de 1918, ayant fait 30 millions de morts selon les estimations d'époque ou 100 millions selon des calculs plus récents tenant compte du manque relatif de communication à l'issue de la Première guerre mondiale (laquelle a fait beaucoup moins de victimes...). Un évènement futur que bon nombre de scientifiques considèrent non comme probable, mais inéluctable.
Pour mieux comprendre cette maladie, il faut se rappeler que les sous-types du virus grippal sont caractérisés par deux protéines fixées à leur surface, l'hémagglutininehémagglutinine (H) et la neuraminidaseneuraminidase (N). Le premier virus ainsi caractérisé fut justement celui de la grippe espagnole, et de ce fait, a été classé dans la nomenclature sous le nom H1N1. La présence de ces protéines, perçues comme des antigènesantigènes par le système immunitairesystème immunitaire et donc susceptibles de déclencher la production d'anticorpsanticorps spécifiques qui s'accrocheraient au virus, permet de mettre au point une vaccinationvaccination.
Mais la diversification de ces protéines empêche de concevoir un vaccin universel car il existe actuellement 16 variétés d'hémagglutinine et 9 de neuraminidase. Pour cette raison aussi, la conception du vaccinvaccin change chaque année, les scientifiques et laboratoires pharmaceutiques devant tenir compte des souches virales en cause. De même, si la maladie provoque bien l'apparition d'anticorps, ceux-ci ne protègent que contre la souche virale d'origine, et ne garantissent pas l'immunitéimmunité pour les années suivantes.
Jianhua Sui (Department of CancerCancer Immunology & AIDS, Dana-Farber Cancer Institute, Department of Medicine, Harvard Medical School à Boston) et son équipe ont isolé des anticorps issus d'échantillons de sérumsérum prélevés à différentes périodes sur des personnes infectées par le virus grippal et ont déterminé leur capacité à contrer diverses souches virales, c'est-à-dire de reconnaître un antigène viral spécifique et de s'y lier. L'équipe publie ses résultats dans la revue Nature Structural and Molecular Biology.
Selon cette étude, dix étaient actifs contre les quatre souches majeures du virus H5N1virus H5N1. In vitroIn vitro, trois d'entre eux étaient également actifs contre d'autres virus de la grippevirus de la grippe. Mais surtout, ils ont identifié un anticorps capable de se fixer sur une zone de l'hémagglutinine non connue pour être antigénique. Or, une zone de ce type sert au virus pour fusionner sa propre enveloppe avec celle de la cellule, s'y introduire et s'y répliquer.
Un anticorps utilisable curativement
Testé sur des souris, cet anticorps s'est révélé pleinement efficace contre tous les virus grippaux du groupe neuraminidase 1 (N1), y compris le H1N1 (grippe espagnole) et le H5N1 (grippe aviaire).
Le professeur Anthony Fauci, directeur de l'Institut américain pour les maladies allergiques et infections, déclare avec enthousiasme que « cette recherche est riche en promesses considérables ». Il ajoute que « en cas d'épidémiesépidémies, des anticorps humains monoclonaux pourraient constituer un complément important aux antivirauxantiviraux pour connaître la pandémie, en attendant qu'un vaccin soit disponible ».
L'existence d'un anticorps à large spectrespectre de ce type avait déjà été suspectée en 2008, lorsqu'une autre étude en avait démontré la présence chez des patients ayant été atteints de la grippe. Le défi était alors de les isoler, ce que semble avoir réalisé l'équipe américaine. Le professeur Bruno Lina, directeur du Centre national de référence sur la grippe pour la zone Sud (Lyon, France), estime que cette découverte « ouvre un large champ de recherches. L'anticorps découvert bloque l'entrée du virus dans la cellule sans empêcher la mise en route de la réponse immunitaire de l'organisme ».
Les spécialistes veulent cependant rester prudents, et le professeur Lina insiste sur le fait que les tests effectués sur la souris ne sont pas nécessairement confirmés sur l'Homme. Il signale aussi que selon le rapport, l'anticorps n'a pas présenté de réactivité sur le groupe viral H3, souvent à la source d'épidémies meurtrières, comme en 1962. De plus, cet anticorps est curatifcuratif et non préventif. Il ne s'agit pas d'un vaccin. On parle dans ce cas d'immunisation passive. Les anticorps injectés, non produits par le patient, ne protègent de la maladie que pendant une courte duréedurée.
Les chercheurs ont maintenant l'intention de poursuivre cette étude sur des furets, animal beaucoup plus proche de l'Homme en ce qui concerne l'infection grippale, avant de développer une version clinique de l'anticorps, ce qui devrait prendre plusieurs années.