Jusque-là, les scientifiques n’avaient découvert que des mutations favorisant le développement de la maladie d’Alzheimer. Pour la première fois, une équipe islandaise vient de trouver une mutation rare qui protège ses porteurs de la neurodégénérescence et, plus généralement, du déficit cognitif dû à l’âge, laissant entendre que les deux troubles seraient liés.

au sommaire


    Avec 30 millions de patients dans le monde, la maladie d'Alzheimer est la première neurodégénérescence planétaire. On craint même qu'avec le vieillissement de la population, les chiffres ne se multiplient par quatre d'ici 2050. Aujourd'hui, cette pathologie neurologique est incurable malgré les traitements qui ralentissent sa progression et les mécanismes sous-jacents demeurent encore inconnus, certains suggérant même qu'elle n'est pas ce que l'on croit, l'accusant d'être une maladie à prions.

    Progressivement, la recherche parvient à éclaircir ce grand mystère. Un nouveau pas en ce sens vient d'être franchi par des scientifiques du Decode Genetics de Reykjavic (Islande), qui ont pour la première fois montré dans les colonnes de Nature qu'une mutation génétique protégeait ses porteurs de la maladie d'Alzheimer et des formes plus classiques de sénilité. Des traitements, aussi bien préventifs que thérapeutiques, pourraient à terme découler de cette découverte.

    L’Europe du Nord la mieux préservée

    En décryptant le génome de 1.795 Islandais dont ils avaient le dossier médical, les scientifiques ont remarqué la présence, chez près de 0,5 % des individus, d'une mutation spécifique. Les possesseurs de cet allèle ont 50 % de chance en plus d'atteindre 85 ans, avec en prime une probabilité cinq fois plus élevée de ne pas avoir déclaré la maladie à ce même âge.

    La maladie d'Alzheimer détruit les neurones du cerveau. Des troubles cognitifs, comme des pertes de mémoire, apparaissent et s'amplifient avec le temps. © Heidi Cartwright, Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    La maladie d'Alzheimer détruit les neurones du cerveau. Des troubles cognitifs, comme des pertes de mémoire, apparaissent et s'amplifient avec le temps. © Heidi Cartwright, Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Cette altération de l'ADNADN les protège également contre le déclin mental lié à l'âge, fortement présent dans les populations vieillissantes. Ainsi, les porteurs de la mutation ont 7,5 fois plus de chance de ne pas présenter de déficit cognitif à 85 ans. Ces mêmes individus sont aussi meilleurs aux tests intellectuels qu'ils effectuent annuellement.

    Malheureusement, la mutation est rare. En étendant leur recherche à d'autres pays scandinaves et du nord de l'Europe, les proportions alternent entre 0,2 % et 0,5 % de la population, que ce soit en Norvège, en Suède ou en Finlande. Aux États-Unis, ce variant génétique se fait encore plus rare et concernerait un Américain sur 10.000 (0,01 %). Les auteurs supposent que cette mutation est intervenue récemment dans l'histoire européenne.

    Les bêta-amyloïdes au cœur de la maladie d’Alzheimer

    Cet allèle produit une version modifiée de la protéineprotéine précurseur de l'amyloïde (APP), changeant uniquement un acide aminéacide aminé à la moléculemolécule retrouvée normalement. Petite modification, grandes conséquences. Du fait de sa position, elle diminue l'efficacité d'une enzymeenzyme, la bêtabêta-sécrétase 1, qui clive l'APP et la transforme en bêta-amyloïdebêta-amyloïde.

    Or, les bêta-amyloïdes sont suspectées depuis longtemps d'être à l'origine de la maladie d'Alzheimer. Elles sont fortement retrouvées chez les patients morts de la neurodégénérescence (et dans une moindre mesure chez ceux touchés par la sénilité), formant des plaques. Les scientifiques débattent encore pour savoir si elles sont la cause de la maladie ou simplement la conséquence de changements biochimiques.

    Les dernières études tendent à les placer du côté des coupables plutôt que des victimes collatérales. Cette recherche tire aussi dans ce sens, en montrant qu'en inhibant leur synthèse, on prévient les symptômessymptômes.

    Des petites modifications sur l'ADN peuvent avoir de lourdes conséquences. Parfois, ces mutations peuvent favoriser l'apparition de la maladie d'Alzheimer. Pour la première fois, des scientifiques en ont trouvé une qui protège. © Maurizio De Angelis, Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Des petites modifications sur l'ADN peuvent avoir de lourdes conséquences. Parfois, ces mutations peuvent favoriser l'apparition de la maladie d'Alzheimer. Pour la première fois, des scientifiques en ont trouvé une qui protège. © Maurizio De Angelis, Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Bloquer BASE1, le traitement du futur ?

    Les auteurs montrent ainsi que la maladie d’Alzheimer et le déclin cognitif dû à l'âge sont les symptômes d'une même maladie, exprimés à des degrés divers. Ils insistent également pour le développement de thérapiesthérapies aussi bien préventives que thérapeutiques avec la protéine BASE1 pour cible, de manière à éviter le clivageclivage de l'APP en bêta-amyloïdes. Les laboratoires y travaillent depuis plus de 10 ans et certains médicaments ont atteint les phases cliniques.

    Mais certaines questions restent en suspens. Il faut encore déterminer quel est le meilleur moment de la vie pour agir sur l'APP avant que ses effets toxiques ne se manifestent. Surtout, on peut se demander si les bêta-amyloïdes sont les seuls facteurs à l'origine de la maladie. Si leur rôle semble essentiel, elles disposent peut-être de complices capables de les remplacer...