L'escrime exige concentration et prise de décision rapide. Gérer efficacement la fatigue mentale, notamment lors des compétitions comme les Jeux olympiques, peut augmenter les chances de remporter des médailles. Le projet TrainYourBrain, soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), adopte une approche psycho-physiologique pour optimiser l'entraînement mental des athlètes.


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    The Conversation

    Si vous avez déjà eu l'occasion d'assister à une compétition d'escrime, alors vous savez combien l'atmosphèreatmosphère qui règne sur la piste est électrique. Les déplacements fins et explosifs des athlètes ne font qu'accroître l'intensité du match où tout peut basculer d'une touche à l'autre. En plus d'être un véritable combat physiquephysique, l'escrime est aussi un défi mental permanent.

    Les escrimeurs et escrimeuses doivent en effet maintenir une concentration élevée, prendre des décisions rapides malgré les distractions, réguler l'intensité de leurs émotions et réagir dans un temps très court pour toucher l'adversaire sans être touchés. Les exigences de l'escrime se traduisent donc par des contraintes physiques et mentales particulièrement élevées, se répétant sur cinq à six matchs lors de journées de compétition pouvant durer jusqu'à 11 heures.

    Dans la phase de constructionconstruction du projet de recherche TrainYourBrain, qui a pour but d'optimiser l'entraînement mental des athlètes, les meilleurs maîtres d'armes français nous ont fait part de l'importance des capacités cognitives pour la performance en escrime. Une étude plus rigoureuse menée auprès de 31 entraîneurs a confirmé ce constat. En effet, la majorité des entraîneurs interrogés considérait que la dimension cognitive (concentration et traitement de l'information, prise de décision, gestion tactique...)) est un déterminant central pour accéder au plus haut niveau de performance. Ils ont aussi mis en avant que la fatigue pouvait altérer significativement les capacités cognitives de leurs athlètes et avoir des effets délétères.

    Néanmoins, les entraîneurs ont peu de connaissances précises à leur disposition pour les aider à développer des méthodes d'entraînement répondant à cette problématique. Ces observations ont ainsi constitué le point de départpoint de départ d'un des axes de recherche du projet. Les objectifs visés étaient doubles. D'une part, mieux comprendre et caractériser la fatigue mentale des escrimeurs et ses effets sur la performance de haut niveau. D'autre part, développer des méthodes d'entraînement mental innovantes visant à améliorer l'endurance mentale des athlètes vis-à-vis de la fatigue.

    L'escrime est un sport qui demande concentration et prise de décision rapide. © fovivafoto, Adobe Stock
    L'escrime est un sport qui demande concentration et prise de décision rapide. © fovivafoto, Adobe Stock

    Dans l’escrime, de la fatigue physique et mentale

    Concrètement, la fatigue mentale se manifeste par une diminution de la capacité de concentration, une altération de la qualité de la prise de décision, une baisse des capacités de mémoire et une sensation de surmenage. La nature, la duréedurée et l'intensité de l'activité sont des facteurs susceptibles d'induire de la fatigue mentale. Elle peut également être causée par des tâches mentalement exigeantes, un stress élevé, des émotions intenses et/ou une charge cognitive excessive.

    Pour identifier et mieux comprendre le phénomène de fatigue (physique et mentale) en escrime, nous avons organisé une compétition à l'entraînement avec les athlètes de l'équipe de France (épée, fleuret et sabre) à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP). Ce protocoleprotocole visait à reproduire un format de compétition type Jeux olympiques, comprenant cinq matchs en 15 touches séparés de temps de récupération similaires à ceux d'une compétition officielle.

    La fatigue physique

    Concernant la fatigue physique, les résultats de cette étude ont montré qu'aucune altération significative de la force maximale et de l'explosivité des athlètes n'était observée après un seul match. Même à la fin de la compétition, les altérations constatées n'étaient que modérées, ce qui prouve la capacité des athlètes à répondre efficacement aux exigences physiques de la compétition de haut niveau en escrime. La préparation physique proposée aux escrimeurs élites paraît donc efficace pour gérer les exigences physiques des matchs et maintenir un engagement physique élevé tout au long d'une journée de compétition.

    La fatigue physique a été évaluée au travers de tests de force maximale volontaire des membres inférieurs et de sauts verticaux, réalisés par les athlètes avant et après leurs matchs 1, 3 et 5. © Projet <em>TrainYourBrain</em>, fourni par l'auteur
    La fatigue physique a été évaluée au travers de tests de force maximale volontaire des membres inférieurs et de sauts verticaux, réalisés par les athlètes avant et après leurs matchs 1, 3 et 5. © Projet TrainYourBrain, fourni par l'auteur

    La fatigue mentale

    En revanche, les perceptions de fatigue mentale ont augmenté au cours des cinq matchs et étaient très élevées à la fin de la compétition. Celle-ci génère une fatigue mentale de plus en plus importante au cours d'une journée de compétition pouvant considérablement affecter la performance.

    Il apparaît donc crucial de mieux prendre en compte la fatigue mentale et ses effets dans le cadre de l'entraînement des athlètes de haut niveau. Cela pourrait notamment permettre de mieux gérer la charge et la fatigue mentale induite par des compétitions telles que les Jeux olympiques, et ainsi augmenter les chances de remporter des médailles. En effet, la capacité à disposer pleinement de ses capacités cognitives tout au long de la compétition (et surtout en fin de compétition !) peut faire la différence entre la victoire et la défaite.

    La fatigue mentale a été mesurée via des questionnaires courts visant à recueillir les perceptions des athlètes quant à leur niveau de fatigue, d’effort et de charge de travail, avant, pendant et après chaque match. © Projet <em>TrainYourBrain</em>, fourni par l'auteur
    La fatigue mentale a été mesurée via des questionnaires courts visant à recueillir les perceptions des athlètes quant à leur niveau de fatigue, d’effort et de charge de travail, avant, pendant et après chaque match. © Projet TrainYourBrain, fourni par l'auteur

    Méthode d'entraînement pour mieux résister

    Pour limiter l'impact négatif de la fatigue mentale sur la performance en escrime, nous avons envisagé une méthode d'entraînement visant à améliorer la résistancerésistance à la fatigue. Cette méthode d'entraînement mental a été fortement inspirée par l'entraînement d’endurance mentale BET (Brain Endurance Training). Cet entraînement se caractérise par l'ajout de tâches cognitives induisant de la fatigue mentale à un entraînement standard physique ou technique.

    La combinaison d'un entraînement cognitif et physique est censée augmenter la charge cognitive globale de l'entraînement et augmenter l'effort perçu durant celui-ci. Autrement dit, l'entraînement semble plus difficile à effectuer lorsqu'il est couplé à une surcharge cognitive, comme lorsque vous faites une séance de sport après une longue journée de travail. La perception de l'effort qu'à l'athlète pour une même charge durant un exercice aura ainsi tendance à diminuer. À ce jour, la preuve scientifique de l'efficacité du BET pour les performances d'endurance est bien établie dans le cyclisme et la course à pied. En revanche, ses bénéfices restent encore méconnus dans des sports de duels et de précision comme l'escrime.

    Mise en œuvre de l'entraînement chez les épéistes

    Dans le cadre du projet TrainYourBrain, nous avons donc proposé d'implémenterimplémenter et de tester cette méthode d'entraînement auprès de 24 épéistes des équipes de France Jeunes. Le protocole dprotocole d'entraînement d'endurance mentale comprenait quatre séances hebdomadaires, trois séances de « double tâche » et une séance intégrée à l'entraînement, pendant cinq semaines. Les séances dites de « double tâche » de 30 min consistaient en une tâche de pédalage couplé à un exercice cognitif réalisé sur tablette numérique. Les exercices cognitifs visaient à solliciter l'attention et le contrôle inhibiteur des athlètes pour générer une charge mentale importante.

    Les séances intégrées à l'entraînement visaient quant à elles à augmenter la charge de travail cognitive lors d'une séance d'assaut en escrime. Des tâches cognitives brèves étaient réalisées à la place des temps de récupération, qui variaient de 1 à 5 minutes. Comme le combat impose en soi une charge cognitive importante, nous avons ciblé les périodes de récupération afin de créer une surcharge. Enfin, dans le souci d'évaluer les effets de cette méthode d'entraînement, nous avons réalisé des tests spécifiques d'escrime en condition de fatigue mentale avant et après la mise en place du protocole. Ce test permettait notamment d'évaluer la performance des escrimeurs au travers de la vitessevitesse et de la précision sur des cibles.

    Bénéfices observés dans le cadre du projet TrainYourBrain

    Les résultats de ce travail ont montré que les athlètes qui ont suivi cet entraînement ont une perception plus faible de leur fatigue pour une même tâche et maintiennent mieux leur niveau de performance en condition de fatigue. Leurs résultats aux tests cognitifs réalisés après la période d'entraînement ont mis en évidence une meilleure capacité à maintenir leur attention. Ils ont également montré une perception de performance plus élevée associée à un moindre niveau de frustration. En d'autres termes, les athlètes pouvaient rester concentrés et garder leur sang-froid plus longtemps dans des situations de compétitions exigeantes !

    Dans leur ensemble, ces résultats sont encourageants et suggèrent que l'entraînement d'endurance mentale présente des bénéfices pour entraîner les athlètes de haut niveau en escrime à mieux gérer les exigences mentales de la compétition. En effet, en augmentant la charge cognitive pendant l’entraînement, les athlètes peuvent se préparer à faire face à des situations où la charge cognitive due à la compétition est élevée et ainsi mieux maîtriser l'incidence de la fatigue mentale.

    Précautions et recommandations à prendre en compte

    Toutefois, la charge cognitive provoquée par cet entraînement est importante. Certaines précautions doivent, en effet, être prises quant à l'implémentation de cette méthode d'entraînement auprès des athlètes, au regard des risques potentiels causés par une surcharge cognitive excessive (épuisement, irritabilité, baisse de motivation...). Ainsi, nous recommandons de planifier ce type d'entraînement sur une durée limitée, en évitant les périodes de compétitions intensives, ainsi que les périodes où les sollicitations scolaires, professionnelles et/ou personnelles peuvent être importantes pour les athlètes.

    La fatigue mentale représente un enjeu crucial pour la performance des athlètes de haut niveau en escrime. Ces travaux ouvrent des perspectives prometteuses quant à la production de connaissances sur la fatigue mentale et ses effets en sport, et au développement de méthodes d'entraînement visant à améliorer la résistance à la fatigue. Il est donc important d'envisager la prise en compte de ces nouvelles données dans le cadre de l'entraînement des athlètes compétiteurs. L'entraînement d'endurance mentale permettrait ainsi de combiner de façon optimale l'entraînement des capacités physiques avec celui des capacités cognitives. Intégrer ce type d'entraînement dans la préparation des athlètes et y former les entraîneurs pourrait être envisagé comme une nouvelle voie d'optimisation de la performance.