Dans les profondeurs du sous-sol, à près de trois kilomètres de la surface, des bactéries mènent une existence paisible, complètement déconnectées du reste de la biosphère. Elles n'ont pas de soleil… mais elles ont de l'uranium.

au sommaire


Lisa Pratt et son équipe de géologues de l'université d'Indiana ont un jour eu l'idée de descendre au plus profond d'une mine d'or près de Johannesburg, en Afrique du Sud, pour étudier des roches jamais contaminées par l'homme ni par aucun organisme de la surface. Dans la chaleur et les émanations nauséabondes, les scientifiques ont prélevé l'eau qui sort lentement des fissures de la roche vieille de 2,7 milliards d'années.

Durant les 54 jours de prélèvements, l'équipe a déterminé l'âge de l'eau (le temps depuis lequel elle avait dû quitter la surface) et analysé sa composition chimique. Première surprise : les hydrocarbures et la proportion d'hydrogène correspondaient mal au résultat d'une activité biologique mais indiquait plutôt l'action de la radioactivité naturelle de la roche, farcie d'uranium. Sous son action, les molécules d'eau se cassent, produisant de l'oxygène et de l'hydrogène.

Les analyses ont aussi mis en évidence de l'ADN, signant la présence de nombreuses variétés de bactéries. Mais une espèce dominait largement, inconnue mais que les chercheurs ont pu rattacher à la division des firmicutes, un vaste groupe qui compte d'innombrables organismes que nous rencontrons souvent, du streptocoque aux lactobacilles embauchés pour la fabrication du vin, de la bière, du fromage, des yaourts et de la choucroute.

Lisa Pratt s'est fait une spécialité de l'exploration des mines profondes. On la voit ici (à droite) en pleine récolte d'échantillons, à 1,1 kilomètre de profondeur sous l'arctique canadien. Crédit : Lisa Pratt

Lisa Pratt s'est fait une spécialité de l'exploration des mines profondes. On la voit ici (à droite) en pleine récolte d'échantillons, à 1,1 kilomètre de profondeur sous l'arctique canadien. Crédit : Lisa Pratt

Manifestement, ces bactéries se nourrissent de sulfates et d'hydrogène, la réaction entre ces deux molécules fournissant en effet de l'énergie. Plus près de nous, en surface, de nombreuses bactéries, dites sulfato-réductrices, procèdent de même. Mais ici, l'hydrogène et les sulfates sont produites par l'irradiation des roches et de l'eau par la radioactivité ambiante. Les autres bactéries du milieu, elles, se nourrisent des restes organiques des premières. Voilà donc un écosystème très particulier où la radioactivité, loin d'être un danger, est une source d'énergie indirecte !

Comme toujours face à des populations bactériennes isolées du reste du monde vivant, deux hypothèses sont admissibles : ces écosystèmes sont des poches de résistance de populations en train de disparaître ou bien ils sont stables dans le temps.

Plus tout à fait dans notre monde

Ces firmicutes-là, les chercheurs en sont sûrs, n'ont pas vu la lumière du jour depuis très longtemps, entre 3 et 25 millions d'années, ce qui semble bien indiquer que l'écosystème fonctionne parfaitement, même s'il est complètement déconnecté du reste du monde.

Du fond de la Terre, Lisa Pratt se projette dans l'espace. Car elle est aussi directrice d'un centre de recherche sur l'astrobiologie, fondé par la Nasa, l'IPTAI (Indiana Princeton Tennessee Astrobiology). Si des organismes vivent dans de telles conditions, pourquoi ne pas imaginer qu'ils pourraient en exister de semblables sur d'autres planètes, par exemple dans le sous-sol de Mars, qui présente des caractéristiques similaires ? La scientifique s'est lancée dans un projet qui l'a conduite à explorer d'autres milieux souterrains, en Afrique du Sud et dans l'Arctique canadien.