Tous ceux qui sont un peu informés en science et qui ont suivi la polémique sur les réseaux sociaux, notamment entre experts et complotistes, savaient depuis plus de quatre ans que l’étude signée par dix-huit auteurs – parmi lesquels Philippe Gautret et Didier Raoult alors à la tête de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection – et publiée en mars 2020, devait être rétractée pour plusieurs raisons déjà identifiées fin 2020. Pendant toutes ces dernières années, elle servait encore à soutenir la validité du fameux protocole Raoult censé traiter la maladie de la Covid-19. L’étude vient effectivement d’être rétractée, offrant l’occasion de faire quelques rappels de décryptage au sujet de la saga de l’hydroxychloroquine avec la pandémie causée par le SARS-CoV-2.


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    Impossible d'y échapper la semaine du 17 décembre 2024 dans la presse et sur les réseaux sociauxréseaux sociaux, y compris à l'international et dans les revues scientifiques sérieuses. L'étude de Didier RaoultDidier Raoult et de 17 de ses collègues affirmant une efficacité de l'hydroxychloroquinehydroxychloroquine (HCQ) dans le protocole dprotocole d'un traitement contre la Covid-19 a été retirée par son éditeur, explications à l’appui. Elle avait été publiée en 2020 dans l'International Journal of Antimicrobial Agents, une revue de l'éditeur scientifique Elsevier.

    Ce n'est pas une surprise pour la communauté scientifique qui, il y a plus de quatre ans déjà, alertait sur les multiples problèmes de cette étude et qui avaient conduit trois des auteurs à ne plus la soutenir. Problèmes qui avaient notamment été mentionnés en détail en 2023 dans une autre étude publiée par Elsevier et réclamant officiellement la rétractation de l’article souvent mentionné comme l'étude Gautret et al.

    HCQ et ivermectin, des traitements inefficaces contre la Covid-19, partout de l'Inde à la Russie

    En fait, la rétractation aurait dû se faire dès 2020 et contrairement à ce que pensent et disent encore certains sur les réseaux sociaux, Elsevier n'a pas retiré l'étude uniquement pour des problèmes éthiques, mais bien aussi parce que l'étude ne permettait aucune conclusion sur l'efficacité du protocole Raoult en raison de problèmes méthodologiques. Il ne s'agissait donc pas seulement de retirer un exemple encourageant à ne pas respecter certaines règles purement éthiques, mais bien de faire savoir que cet article ne pouvait en aucune manière servir d'argument pour ou contre l'usage de l'hydroxychloroquine, et donc qu'il n'était pas acceptable de prétendre qu'il était une preuve de l'efficacité de ce traitement.

    Contrairement à ce que pensent encore certains, cela fait des années que nous savons que l'hydroxychloriquine ne sert à rien pour prévenir ou traiter la Covid-19 d'une façon ou d'une autre et les publications parfois mises en avant pour dire le contraire ne résistent pas à la critique et ne servent qu'à soutenir des théories du complot sans aucun fondement rationnel ni factuel. Il en est de même avec l'ivermectine et on peut s'en convaincre à l'échelle mondiale des agences de santé.

    Un bon exemple est celui de l'Inde. Dès la fin de l'année 2021, le Conseil indien de la recherche médicale (ICMR) et le Groupe de travail national sur la Covid-19 avaient abandonné l'utilisation de l'ivermectine et de l'hydroxychloroquine. Et en 2023 encore, le guide en Inde concernant les recommandations des traitements pour les malades indiquait bien que ces deux molécules ne devaient pas être utilisées.

    En mai 2021, la Russie avait aussi retiré l’usage de l’HCQ.

    Le débat se poursuit cependant quant à savoir si le protocole Raoult non seulement n’était pas efficace, mais augmentait le nombre de décès avec la Covid-19. Inutile de dire que même en l'absence d'une telle augmentation, avoir promu faussement l'usage d'un traitement, dont les effets n'étaient clairement pas démontrés, n'a pas aidé à éviter des morts en donnant un faux sentiment de sécurité et un prétexte pour ne pas prendre les mesures qui s'imposaient pour sauver des vies et stopper la pandémie.

    On peut légitimement se demander ce que la justice pourrait en penser dans un futur proche... On se souvient par exemple qu’une commission sénatoriale brésilienne chargée d’enquêter sur la gestion de la crise sanitaire dans le pays avait recommandé il y a quelques années que le président Jair Bolsonaro soit inculpé de « crime contre l’humanité ».

    Rappelons toutefois que ce ne sont ni des commissions de gouvernements (sénats, congrès etc.) ni des jurys qui décident des faits scientifiques et que leurs conclusions à ce sujet ne valent rien !


    Déjà en 2020, on pouvait penser qu'il y avait plusieurs problèmes méthodologiques avec l'étude de Gautret et al.  Voici ce que certains disaient déjà à ce moment-là dans cette vidéo. © La Tronche en Biais

    De multiples avatars du syndrome du Nobel

    Beaucoup a déjà été dit et pourrait être répété pour savoir ce qu'il faut penser de la saga de l'HCQ, de la façon dont la pandémie a été gérée, de ce qu'il faut penser des vaccins à ARNm et des manifestations relevant du complotisme et de la pseudo-science, y compris chez des personnes instruites qui se sont exprimées et s'expriment encore sur ces sujets.

    On pourrait rappeler que tous ceux qui connaissent bien la communauté scientifique savent que pour des raisons diverses et parfois étranges et mal comprises et bien que ce ne soit pas fréquent, il n'est pas rare que des scientifiques et des experts du premier plan soient capables de s'aveugler sur des points élémentaires que même des lycéens en terminale ou des étudiants en licence peuvent facilement débunker.

    Les exemples les plus frappants étant ceux relevant de ce qui est appelé le syndrome du prix Nobel. Heureusement, dans ce cas spécifique, il ne peut pas se trouver réalisé en même temps par plus de quelques prix Nobel, de sorte que s'il suffit parfois d'un bagage de niveau licence pour réfuter un prix Nobel victime de ce syndrome, un groupe de plusieurs dizaines de prix Nobel ne peut en souffrir et à défaut que ce soit une preuve que ce qu'ils disent soit fondé, il est très raisonnable et justifié de le penser, tout en gardant l'esprit ouvert (on peut citer le cas de Montagnier dont des dérives ont été stoppées par l'intervention de 35 prix Nobel).

    En fait, en dessous du Nobel, une version de ce phénomène peut se produire pour une petite communauté de chercheurs, qui ne comprend pas que le consensus qu'elle récuse dans la communauté scientifique n'est pas le fruit d'une pensée dogmatique et sclérosée dans des certitudes faciles et conventionnelles, mais le fruit d'un travail critique rigoureux, performant et pénétrant, produit par une communauté d'esprit suffisamment importante et diverse pour que les biais et aveuglements propres à chacun de ses membres soient palliés par leur collaboration.

    La saga de l'HCQ et d'autres traitements proposés pour traiter les malades de la Covid-19 ou pour en prévenir les effets est l'occasion de rappeler notamment des considérations épistémologiques et des enseignements issus de l'histoire du progrès de l'esprit humain dans les sciences.

    Des Somnambules qui font des découvertes

    Tous les scientifiques créatifs se reconnaissent sans doute plus dans la description de la marche de la science qu'a fait Arthur Koestler dans son livre mythique, Les Somnambules (The Sleepwalkers), que dans les premières leçons du cours de philosophie positive d'Auguste Comte commentées par exemple par le regretté Michel Serres. On sait au moins que l'ouvrage de Koestler était loué rien de moins que par Grothendieck.

    L'une des thèses explorées par Koestler, c'est que les progrès de la science reposent en partie sur des chercheurs qui, comme des somnambules de la connaissance en marche, ne sont ni pleinement conscients de ce qui guide leurs recherches, ni pleinement conscients des implications de ce qu'ils découvrent.

    Les découvertes ne sont donc pas produites par des algorithmes de l'empirisme logique et Koestler anticipe même dans son livre des idées que l'on attribut souvent à Thomas Kuhn dans son célèbre opus La Structure des révolutions scientifiques, dans lequel le concept de « changement de paradigme » est introduit en épistémologie.

    À l'appui des thèses de Koestler, on peut citer le témoignage du prix Nobel de physiquephysique Subramanyan Chandrasekhar interrogeant un autre prix Nobel de physique sur ce qu'il pensait de la psychologie de la découverte. Fermi lui répondit en lui confiant son expérience lors de sa découverte en 1934 de la production spectaculaire et artificielle de noyaux radioactifs en utilisant des neutronsneutrons lents, découverte qui lui vaudra le Nobel en 1938 :

    « Je vais vous raconter comment j'en suis arrivé à faire la découverte qui, je pense, est la plus importante que j'ai faite. Nous travaillions très intensément sur la radioactivitéradioactivité induite par les neutrons et les résultats que nous obtenions étaient incompréhensibles. Un jour, dès mon arrivée au laboratoire, il m'est venu à l'esprit que je devais examiner l'effet produit par un morceau de plombplomb placé devant les neutrons incidents.

    Et contrairement à mes habitudes, j'ai mis beaucoup d'efforts pour préparer un morceau de plomb travaillé avec une grande précision. J'étais clairement insatisfait de quelque chose : je cherchais n'importe quelle excuse pour essayer de reporter la mise en place de ce morceau de plomb à sa place quand finalement, avec beaucoup de réticence, pour le placer, je me suis dit : 'Non ! Je ne veux pas de ce morceau de plomb, ce que je veux, c'est un morceau de paraffine'.

    C'est arrivé comme ça, sans aucune prémonition et sans aucun raisonnement conscient préalable, un morceau de paraffine que j'ai trouvé sur place à portée de main et je l'ai placé là où aurait dû être placé le morceau de plomb. »

    La considérable augmentation du taux de réactions était contraire à ce que Fermi et ses collaborateurs attendaient avec quelque chose comme la paraffine, mais Fermi ne tarda pas à trouver une explication en mobilisant son extraordinaire maîtrise de la théorie quantique.


    Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». ©

    Des Somnambules qui s'éveillent et appliquent la logique de la découverte scientifique

    Comme le disait EinsteinEinstein, il n'y a donc pas de chemins logiques menant des faits expérimentaux à des découvertes. Feynman avait également l'habitude de dire que la meilleure théorie c'est la meilleure qui est devinée. Mais il ajoutait également que la clé fondamentale de la science c'était la capacité à comparer les prédictions de la théorie à l'expérience et que si un désaccord apparaissait, alors quelle que soit la beauté de la théorie, l'intelligence ou le nom de la personne qui avance la théorie, si elle est en désaccord avec les faits, elle est fausse, point !

    C'est ce qu'avait bien compris Kepler en qui on peut voir l'un des principaux fondateurs de la science lorsqu'il a accepté que ses idées sur le mouvementmouvement des planètes étaient réfutées par les observations de Tycho Brahé.

    S'il faut rester ouvert à une grande liberté d'idée et de sources d'inspirations, le découvreur de la PCRPCR, le prix Nobel de chimiechimie Kary Mullis pensait que sa consommation du LSD y était pour quelque chose et l'on sait bien que Schrödinger a tiré l'inspiration et l'écriture de ses articles fondateurs de la mécanique ondulatoiremécanique ondulatoire tout en passant du temps enfermé dans un chambre dans un hôtel avec une de ses maîtresses. S'il faut donc appliquer le rationalisme à la Bachelard avec une dialectique de la philosophie du « Non » et du « Pourquoi pas ? » il est toutefois incontestable, comme le savaient d'expérience les prix Nobel de médecine qu'étaient Jacques Monod et John Eccles, respectivement pour leurs travaux sur l'ARNmARNm et les neuronesneurones, qu'il y a une logique de la découverte SCIENTIFIQUE qui intervient APRÈS le processus d'inspiration et la découverte tout court.

    Les Somnambules doivent vérifier qu'ils sont bien passés du rêve au réel et qu'ils sont bien éveillés !


    Dans cette excellent vidéo, on explique pourquoi malgré les propriétés bien connues de l'HCQ et son usage de longue date on ne pouvait pas, étant donné les exigences fondées de l'EBM, donner à tout le monde le traitement du protocole Raoult sans des études prudentes préalables pour protéger au maximum la vie des patients. © Risque Alpha

    Et cette logique de la découverte scientifique est bien décrite par les travaux de Karl Popper dans lesquels donc Monod et Eccles reconnaissaient la description de leurs propres démarches. S'il faut donc être contre LA méthode de la découverte, on ne peut pas l'être contre la méthode de la découverte scientifique.

    Ce que l'on veut en partie dire par là, c'est que peu importe l'origine, l'inspiration des travaux sur la théorie du bosonboson de Brout-Englert-Higgs, la description attendue des images de l'Event Horizon Telescope avec les trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs ou l'efficacité des vaccinsvaccins ARNm, il n'y a PAS de découverte scientifique sans que les prédictions théoriques ne passent par le crible de la méthodologie bien établie des tests d'hypothèses et d'estimations statistiques avec des protocoles qui vont avec comme la randomisation dans certains cas, etc.

    On peut donc dire que la médecine du XXIe siècle, la fameuse « Evidence-Based Medicine (EBM) », est à la médecine du tout début du XXe siècle ce que la physique des particules et la cosmologiecosmologie du XXIe siècle sont à celles également du tout début du XXe siècle.

    Pour paraphraser Platon et l'inscription qu'il aurait dit-on mis au frontispice de son école, l'Académie, nul ne rentre vraiment dans l'EBM sans être géomètregéomètre, c'est-à-dire sans avoir un certain niveau de mathématique. Didier Raoult n'a pas fait mystère de son bagage léger en mathématique comme on peut le constater dans un article qu'il avait écrit il y a quelques années et qui contenait de plus de multiples erreurs, que ce soit dans le décompte du nombre de lauréats de la médaille Fields en passant par des affirmations ridicules comme celle qu'il n'y a pas d'autodidactes en maths alors que c'est certainement l'une des disciplines où c'est le plus facile, un stylo, des bouquins du temps et du papier suffisant.


    Plusieurs des personnes qui sont intervenues pour demander le retrait de l'étude Gautret et al. expliquent plus en détail dans cette vidéo de décembre 2024 le contenu et l'histoire de la controverse ayant conduit à cette rétractation. © La Tronche en Biais

    Un retrait motivé par des biais méthodologiques inacceptables

    Toujours est-il qu'au début de 2020, lorsqu'il est devenu clair qu'une pandémie sérieuse était en cours il n'était pas absurde de se demander si l'HCQ pouvait être utile pour plusieurs raisons. Néanmoins, on savait aussi que bien que l'on ait constaté à plusieurs reprises des propriétés antivirales in vitroin vitro pour l'HCQ, jamais encore elles n'avaient été observées également in vivoin vivo. On sait bien que non seulement des traitements qui marchent in vitro ne marchent pas forcément in vivo dans le monde animal, mais quand même ce serait le cas, il n'est jamais assuré non plus qu'ils auraient les effets espérés chez l'Homme.

    Très rapidement, Mathieu Molimard spécialisé en pneumologiepneumologie et en pharmacologie, chef de service de Pharmacologie médicale du CHU de Bordeaux (qui a joué un rôle important avec d'autres personnes très actives sur TwitterTwitter dans la critique et la rétractation de l'article Gautret et al.), avait d'ailleurs expliqué à l'époque et répété ensuite qu'on pouvait avoir de très gros doutes en ce qui concerne l'HCQ et la Covid-19 (voir à ce sujet les explications détaillées qu’il avait données à Futura). Certes, on avait bien montré que le SARS-CoV-2SARS-CoV-2, le virusvirus responsable de la Covid-19, était détruit in vitro, mais si l'on extrapolait selon les lois de la pharmacologie au cas de l'Homme la dose nécessaire d'HCQ pour avoir des effets, elle aurait immanquablement tué les patients.

    Mais, rappelons-nous l'exemple de la paraffine de Fermi. Il était sans aucun doute permis de tenter de voir si, malgré l'ignorance que l'on avait alors sur la Covid-19, l'HCQ ne pouvait pas être le traitement recherché, bien que l'on ne puisse pas écarter la possibilité qu'elle ait en plus un effet négatif sur un organisme déjà endommagé par le virus SARS-CoV-2.

    Il était cependant indispensable de procéder selon les règles de la découverte scientifique avec rigueur et de ne pas donner le traitement à tout le monde tant que des tests n'avaient pas été conduits. Aucune urgence de la situation ne pouvait permettre de balayer d'un revers de la main ce que l'EBM nous avait appris depuis un moment déjà sur les risques de se tromper grossièrement sur l'innocuité d'un traitement. Les biais méthodologiques de l'étude Gautret et al. étaient donc inacceptables.

    De fait, déjà au bout de quelques mois, on commençait à voir que l'HCQ était inefficace dans le meilleur des cas et plusieurs études avant la fin de l’année 2020 sont finalement arrivées à la conclusion que c’était la fin de partie pour les espoirs de prévenir ou traiter d’une façon ou d’une autre la Covid-19.