Quels que soient les traitements à l'étude, il faut attendre les résultats d'essais cliniques sérieux, comme Discovery, pour les généraliser. Voyons ensemble pourquoi.
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À l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, un traitement semble s'être généralisé : la combinaison hydroxychloroquinehydroxychloroquine + azythromicine. Cela fait deux études (la première sur 80 patients, la seconde sur plus de 1.000) pour lesquelles les médecins ne se donnent même plus la peine d'intégrer un groupe contrôle dans leur essai. On traite les patients comme si le traitement avait fait ses preuves et convaincu la communauté scientifique et médicale. Ce qui est très loin d'être le cas. Voyons pourquoi actuellement, quel que soit le traitement, il faut attendre les résultats d'essais rigoureux, comme ceux en cours, pour généraliser l'administration d'un traitement.
Une question de déontologie
Pour commencer cette sous-partie, citons l'article 8 (article R.4127- 8 du code de la santé publique) du code de déontologie médicale : « Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins. Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »
Nous n'allons pas refaire le procès de l'hydroxychloroquine, ni de l'hydroxycholoroquine en combinaison avec l'azythromicine. Tout ce qu'il faut savoir c'est qu'à l'heure actuelle, aucune expérience n'a permis de convaincre la communauté scientifique et médicale de l'utilité d'un quelconque traitement systématique pour les patients atteints du Covid-19. Ce qui ne veut pas dire que ça ne marche pas. Cela veut dire qu'on ne sait tout simplement pas.
On peut donc affirmer sans crainte que les données acquises de la science ne soutiennent pas la pratique de l'IHU, cité en début d'article. De ce fait, il n'y a aucun devoir moral pour le médecin de prescrire ce traitement. En l'absence de connaissances plus robustes sur la balance bénéfice-risque, il existe même une probabilité, loin d'être négligeable, que la généralisation du traitement entraîne ledit préjudice. En médecine, des erreurs monumentales peuvent être faites et coûter des vies, faute d'essais cliniques.
Ce qui se passe actuellement à l'IHU marseillais, ce n'est pas de la médecine de guerre comme on l'entend ça et là. C'est de la médecine intuitive. On a une intuition très forte avec des preuves in vitroin vitro et cela nous suffit pour traiter, à ce jour, pas moins de 2.494 patients. Parce que lorsqu'on sait, on ne s'embête plus à chercher à savoir. Et cette attitude, en plus d'être épistémologiquement problématique (surtout pour des scientifiques) peut s'avérer aussi préjudiciable d'un point de vue éthique.
Sauver plus de vies humaines
Dans le scénario où au lieu de s'entêter, de s'engouffrer et de s'enliser toujours plus dans les études médiocres, qui ne produisent que trop peu de connaissances exploitables pour évaluer l'efficacité d'un traitement, l'IHU en question avait produit des études rigoureuses de grande qualité, nous aurions déjà des éléments sérieux pour considérer la piste proposée. Nous saurions si les médecins doivent plutôt prescrire le traitement pour tous, pour quelques patients particuliers ou s'il vaut mieux abandonner cette piste et passer à autre chose.
Nous le voyons, dans tous les cas de figure possibles, avec des études sérieuses, le savoir médical aurait progressé. Et ça, eh bien, ça sauve des vies ! Pourquoi ? Sans connaissance produite, nous avançons à l'aveugle et ce n'est qu'après coup qu'on peut juger si ce que l'on a fait était une mauvaise solution, une solution neutre ou une bonne solution pour les vies humaines. Dès lors, lorsqu'une connaissance médicale est produite, c'est-à-dire la confirmation ou l'infirmation de la validité d'un fait (oui, apprendre que ça ne marche pas, c'est aussi très précieux), on peut, soit s'en servir pour prescrire, soit rapidement allouer ses ressources à d'autres hypothèses dans la course aux traitements. Pour l'instant, nous possédons des expériences qui ne produisent pas grand-chose pour servir l'Evidence Based Medicine (EBM) et un engouement médiatique qui a déjà fait des morts. À Marseille, on sait de sources anonymes que certains établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont même fait des stocks préventifs de Plaquenil.
C'est pour toutes ces raisons énoncées dans cet article, mais aussi dans d'autres, qu'il faut attendre les résultats de DiscoveryDiscovery ou de toutes autres études rigoureuses. D'une part, par respect pour la déontologie médicale (limiter les prescriptions et les actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins) et d'autre part, pour produire de la connaissance utile pour le monde entier, qui permettra à l'ensemble des pays, soit de traiter, soit de tester d'autres hypothèses prometteuses. Nous ne devons pas perdre du temps. En outre, tout ce qu'a réussi à faire l'IHU marseillais depuis la publication de sa première étude, c'est, sur le plan médical, traiter des personnes qui n'auraient probablement eu besoin d'aucun traitement et sur le plan scientifique, bloquer l'ascenseurascenseur de la connaissance en milieu de course, empêchant de fait, le sauvetage du plus grand nombre de vies humaines possibles.
L'auteur de cet article vous conseille également cette vidéo très éclairante et détaillée de Thibault Giraud alias Monsieur Phi, docteur en philosophie, afin de comprendre pourquoi il n'est pas immoral de faire des essais cliniques et pourquoi en faire peut sauver plus de vies sur le long terme.
Ce qu’il faut
retenir
- À l'IHU de Marseille, on ne semble pas se préoccuper des essais cliniques : plus de 2.000 patients ont été traités par hydroxychloroquine + azythromicine.
- C'est une question de déontologie médicale que de proposer le meilleur traitement à son patient mais aussi de veiller à ce que ce dernier ne fasse pas encore plus de risques que de bénéfices.
- Produire de la connaissance aurait permis de sauver beaucoup plus de vies. C'est pour toutes ces raisons qu'il faut attendre les résultats de Discovery avant de généraliser un quelconque traitement.