Opération « Vitesse de la lumière », c'est le nom de code qu'ont donné Özlem Türeci et Ugru Sahin, au premier vaccin à ARN messager qu'ils ont conçu. Voici comment ce couple de chercheurs, fondateurs de BioNTech, a mené tambour battant cette course au vaccin avec ténacité, rigueur et précision, jusqu'à la prouesse que l'on connait aujourd'hui. 


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    Un matin d'hiverhiver dans une cuisine en Allemagne, un couple de chercheurs est attablé pour le petit-déjeuner. Özlem Türeci et Ugur Sahin, dirigeants de la start-upstart-up de biotechnologiebiotechnologie BioNTech, tombent d'accord : ils doivent « donner le coup d'envoi » des recherches sur un vaccin contre un nouveau virus qui sévit en Chine. Ugur Sahin vient de lire une publication scientifique décrivant la propagation fulgurante de ce virus à Wuhan. « Il en a conclu qu'il y avait de fortes chances qu'une pandémie puisse être imminente », raconte son épouse, Mme Özlem Türeci. C'est le point de départpoint de départ d'une épopée qui aboutira à l'élaboration du premier vaccin contre la Covid-19 à être autorisé dans le monde occidental. Une prouesse réalisée en un temps record.

    Le 24 janvier, le couple décide donc que toutes les ressources de leur PME, allouées jusqu'ici à la recherche sur les immunothérapies contre le cancercancer, seront désormais consacrées à mettre au point un remède contre cette pneumoniepneumonie virale d'origine inconnue. Il faut aller vite, l'opération est baptisée « Vitesse de la lumièreVitesse de la lumière ».

    Il faut aller vite, l'opération est baptisée « Vitesse de la lumière »

    « Depuis cette date (...), il n'y a pas eu un jour où nous n'avons pas travaillé sur ce projet », affirme Mme Türeci. Quatre jours plus tard, le 28 janvier, l'Allemagne confirme sur son territoire le premier cas connu de transmission d'être humain à être humain sur le sol européen. Moins de deux semaines plus tard, l'Organisation mondiale de la SantéOrganisation mondiale de la Santé (OMS) désigne pour la première fois le nouveau mal : Covid-19.

    Ugur Sahin, chercheur et cofondateur de BioNTech, lors d'un entretien avec l'AFP depuis Mayence, le 19 novembre 2020. © Yann Schreiber, AFP, Archives
    Ugur Sahin, chercheur et cofondateur de BioNTech, lors d'un entretien avec l'AFP depuis Mayence, le 19 novembre 2020. © Yann Schreiber, AFP, Archives

    Le tissu des PME allemandes s'organise

    Le printemps commence à frémir à Mayence, pittoresque cité qui abrite des bâtisses à colombage et surtout le siège de BioNTech, quand l'épidémieépidémie partie de Chine se transforme en une crise sanitaire mondiale. La flambée des infections contraint les gouvernements à fermer les frontières, les écoles, les institutions culturelles et sportives, les administrations. Le monde est mis sous cloche.

    Déjà, le Mittelstand, ce réseau de petites et moyennes entreprises (PME) qui fait le succès de l'économie allemande, se retrousse les manches pour relever le défi qui s'annonce. À quelques encablures du siège de BioNTech, une PME aux 130 années d'existence accélère la cadence de ses chaînes de fabrication.

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    Des flacons et des seringues destinés au vaccin de BioNTech-Pfizer contre le coronavirus, fabriqués par le spécialiste allemand du verre Schott, au siège de l'entreprise à Mayence (Allemagne), le 20 novembre 2020. © Daniel Roland, AFP/Archives
    Des flacons et des seringues destinés au vaccin de BioNTech-Pfizer contre le coronavirus, fabriqués par le spécialiste allemand du verre Schott, au siège de l'entreprise à Mayence (Allemagne), le 20 novembre 2020. © Daniel Roland, AFP/Archives

    Bien que peu connu, le spécialiste du verre Schott s'avère un acteur majeur de l'industrie pharmaceutique grâce à ses flacons utilisés par millions pour les recherches cliniques sur le virus. Le verre borosilicate dont il a fait sa spécialité est très recherché pour sa capacité à résister aux températures extrêmes, allant de -80 à 500 degrés. Une propriété qui va s'avérer indispensable. Le vaccin BioNTech-PfizerPfizer nécessite en effet d'être conservé à -70 degrés. D'ici la fin 2021, Schott compte produire assez de fioles pour deux milliards de doses de vaccin.

    La Covid-19, la société l'affronte jusque dans ses mursmurs. Un important site de production, à Mitterleich en Bavière, s'est retrouvé au cœur de la pandémie très tôt quand, après une fête de la bière, la localité est devenue l'un des premiers foyers du nouveau coronaviruscoronavirus. Et conséquence de la fermeture des frontières, plusieurs travailleurs originaires de la République tchèque « n'ont pas vu leurs amis ou familles pendant des semaines ». Partout dans le monde, la pandémie cloue les avions au sol et transforme les aéroports d'ordinaire vibrant de monde en zones mornes et désertées.

    Des avions de la compagnie de fret Lufthansa Cargo sur le tarmac de l'aéroport de Francfort (Allemagne), le 25 novembre 2020. © Thomas Lohnes, AFP, Archives
    Des avions de la compagnie de fret Lufthansa Cargo sur le tarmac de l'aéroport de Francfort (Allemagne), le 25 novembre 2020. © Thomas Lohnes, AFP, Archives

    Le transport pharmaceutique et la logistique se mettent en ordre de marche 

    Mais, au centre pharmaceutique de la compagnie de fret Lufthansa Cargo situé dans l'aéroport de Francfort, l'activité s'accélère, le stressstress monte. La plus grande plaque tournante européenne du transport pharmaceutique qui a traité 120.000 tonnes de cargaison l'année passée se prépare à faire transiter des millions de doses de vaccin. Au total, le site possède 12.000 m2 climatisés réservés à ce type de produits. Les températures nécessaires s'obtiennent dans des containers spéciaux grâce à des blocs de glace carboniqueglace carbonique, du CO2 en forme solidesolide à -78,9 degrés. Fraport, l'exploitant de l'aéroport de Francfort, n'est pas la seule entreprise à investir dans la chaîne du froid.

    Des super-congélateurs dans lesquels il fait plus froid que dans l'Arctique

    Dans le verdoyant Bade-Wurtemberg (sud-ouest), entre en scène la société Binder, une autre PME allemande inconnue du grand public. Son savoir-faire ? Des super-congélateurs dans lesquels « il fait plus froid que dans l'ArctiqueArctique », selon les médias allemands. De fait, la température dans ces appareils peut descendre jusqu'à -90 °C. L'entreprise de Tuttlingen, un des leaders du marché, a d'abord fourni les laboratoires, puis la logistique et travaille désormais avec les autorités allemandes pour équiper les centres de vaccinationvaccination.

    Peter Wimmer, le vice-président de l'entreprise Binder, ouvre un « super-congélateur » fabriqué par sa société, à Tuttlingen, dans le sud de l'Allemagne, le 24 novembre 2020. © Thomas Kienzle, AFP, Archives
    Peter Wimmer, le vice-président de l'entreprise Binder, ouvre un « super-congélateur » fabriqué par sa société, à Tuttlingen, dans le sud de l'Allemagne, le 24 novembre 2020. © Thomas Kienzle, AFP, Archives

    « Tout a commencé en août quand nous avons reçu des demandes de sociétés de logistique (...), elles se sont dits "nous devons équiper nos centres de stockage de congélateurs" », affirme Anne Lenze, chargée de la communication. Depuis, « la demande est telle que nous travaillons 24 heures sur 24, nous recrutons des employés et nous en cherchons », souligne-t-elle.

    Le 18 novembre, à peine dix mois après avoir décidé de se lancer dans l'aventure, BioNTech annonce avec son partenaire américain Pfizer, que son vaccin est sûr et efficace à 95 %. Un niveau similaire à celui de la firme américaine Moderna avec qui il rivalise pour développer la technique dite de l'ARN Messager. Les marchés boursiers s'emballent, le monde entier reprend confiance.

    La chaîne logistique des vaccins contre le Covid-19. © AFP
    La chaîne logistique des vaccins contre le Covid-19. © AFP

    Le champagne n'est pas leur tasse de thé

    Mais, à Mayence, il n'est pas question de céder à l'euphorieeuphorie. Pour fêter cet événement, le couple Türeci-Sahin s'accorde donc... une tasse de thé. De toute façon, « le champagne, ce n'est pas notre truc », plaisante M. Sahin dans un entretien à l'AFP. En soufflant sur leur breuvage, ces deux quinquagénaires, enfants d'immigrés turcs, « songent à tout ce qui s'est passé jusqu'ici et à ce qui va maintenant advenir ». À 600 km de là, dans la capitale allemande, le pompier à la retraite Albrecht Broemme, solide gaillard de 66 ans à la chevelure poivre et sel, s'affaire avec... une boîte de Lego.

    Quelque 450 centres de vaccination sont installés dans tout le pays. Le plus grand, situé à Hambourg, pourra effectuer jusqu'à 7.000 injections par jour

    Chargé de superviser les six centres de vaccination que Berlin veut mettre sur pied dans le cadre d'une campagne nationale, il bâtit une mini-station de vaccination avec comptoir d'enregistrement et allées de circulation. « J'ai réfléchi à un système en pensant (...) aux espaces nécessaires afin de ne pas créer d'embouteillage », détaille-t-il devant l'ancien aéroport de Tegel, un des lieux où les Berlinois se feront injecter le vaccin. Quelque 450 centres de vaccination sont installés dans tout le pays. Le plus grand, situé à Hambourg, pourra effectuer jusqu'à 7.000 injections par jour dans les 64 cabines prévues à cet effet.

    À Hambourg comme à Berlin, tout visiteur devra suivre un circuit, depuis la vérification d'identité jusqu'à la vaccination proprement dite. L'injection sera précédée d'une consultation médicale et, en fin de chaîne, « une salle d'attente » sera là pour vérifier que toute l'opération s'est bien déroulée. « Nous imaginons qu'en tout cela prendra une heure », assure Albrecht Broemme.

    Le président allemand Frank-Walter Steinmeier (à droite) et Albrecht Broemme (à gauche), chargé de superviser les centres de vaccination de la capitale allemande, visitent l'un d'entre eux, le 21 décembre 2020 à Berlin. © Hannibal Hanschke, Pool, AFP, Archives
    Le président allemand Frank-Walter Steinmeier (à droite) et Albrecht Broemme (à gauche), chargé de superviser les centres de vaccination de la capitale allemande, visitent l'un d'entre eux, le 21 décembre 2020 à Berlin. © Hannibal Hanschke, Pool, AFP, Archives

    Le 2 décembre, le Royaume-Uni devient le premier pays occidental à octroyer une autorisation d'urgence au vaccin BioNTech-Pfizer. D'autres pays suivent : les États-Unis, l'Arabie saoudite, Singapour. L'Allemagne, frappée de plein fouet par une deuxième vaguevague de contaminationcontamination, s'impatiente. Elle fait pressionpression pour que l'autorité de régulation, l'Agence européenne des Médicaments (EMA) accélère sa prise de décision prévue alors le 29 décembre au plus tard.

    Le 21 décembre, avec plus d'une semaine d'avance, l'EMA donne finalement son feufeu vert. L'Union européenne annonce dans la foulée que la campagne de vaccination débutera le 27 décembre. Au centre d'Hambourg, les autorités sanitaires affirment être prêtes tandis que BioNTech organise des formations en ligne avec des médecins et infirmières. La firme répond à plus d'un millier de questions des acteurs médicaux.

    Des convois sous escorte de policiers armés

    Les premiers camions chargés de doses de vaccin quittent le centre de production de Pfizer en Belgique mercredi. Elles sont notamment acheminées vers les 25 centres de distribution désignés par les autorités fédérales allemandes qui les transporteront ensuite dans les 294 districts du pays, selon BioNTech.

    Quand on voit le nombre de personnes qui sont mortes à cause de ce virus, on voit combien de vies le vaccin peut sauver

    Tout au long du parcours, des policierspoliciers armés escortent les convois. L'Allemagne redoute d'éventuels sabotages alors que la fronde des anti-vaccins et de ceux qui ne croient pas à l'existence du virus a gagné en ampleur depuis l'été. Dans un premier temps, le vaccin doit être injecté dans le bras des personnes les plus vulnérables, celles de plus de 80 ans. Plusieurs maisons de retraite ont été durement frappées par la pandémie alors que le nombre de morts quotidien reste élevé.

    Pour la chancelière Angela Merkel, chaque injection représente une vie sauvée. « Quand on voit le nombre de personnes qui sont mortes à cause de ce virus, on voit combien de vies le vaccin peut sauver ». Comme chaque jour compte, les responsables d'une maison de retraite de Halberstadt, à l'est, ont décidé de commencer à vacciner dès samedi, réservant à Edith Kwoizalla, une résidente âgée de 101 ans l'honneur d'être la première à recevoir le vaccin.

    Le lancement officiel de la campagne est programmé pour dimanche dans tout le pays, et dans d'autres États de l'Union européenne. Et à leur table du petit-déjeuner, Özlem Türeci et Ugur Sahin savoureront peut-être une nouvelle tasse de thé.

    Le vaccin BioNTech-Pfizer a été autorisé par l'Agence européenne des Médicaments (EMA) le 21 décembre 2020. © Mike Mareen, Adobe Stock
    Le vaccin BioNTech-Pfizer a été autorisé par l'Agence européenne des Médicaments (EMA) le 21 décembre 2020. © Mike Mareen, Adobe Stock