Alors que l’État s’apprête à lever de façon très progressive le confinement de la population dès le 11 mai, plusieurs questions sont en suspens dont celle liée à l’immunité collective et celle d'être contaminé deux fois par le virus. Les explications de Samuel Alizon, chercheur du CNRS au laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle.
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Pour faire face à la pandémie mondiale du coronavirus (SARS-CoV-2), la stratégie du gouvernement français a été la mise en place de mesures de confinement très strictes depuis le 17 mars, plutôt que de parier sur l'immunité collective, avec comme objectif de réduire significativement la circulation du virus dans la population pour tenter de stopper sa propagation et éviter une saturation des services de réanimation.
Cette stratégie a « réussi pour le moment puisque l'épidémie est sous contrôle », nous explique Samuel Alizon, chercheur du CNRS au laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs. Le nombre de reproduction de base, le R zéro (R0), qui indique le « nombre d'infections secondaires engendrées par une personne infectée pendant la duréedurée de son infection dans une population entièrement sensible », est passé de 3,3 en début de confinement à 0,5, indique l'Institut Pasteur dans une étude rendue publique aujourd'hui. Mais, si la circulation du virus est sous contrôle et tend à disparaître, du fait de ce confinement, la « population française n'est pas encore suffisamment immunisée ».
Si l'on se fie à l'étude de l’Institut Pasteur, on s'attend à ce que le 11 mai, seuls près de 6 % des Français devraient avoir été infectés par le SARS-CoV-2SARS-CoV-2, avec une proportion plus importante en Ile-de-France (12,3 %) et dans le Grand Est (11,8 %) que dans le Grand Ouest par exemple.
On sera « très loin du niveau d'immunité de groupe nécessaire pour éviter une seconde vaguevague si toutes les mesures de confinement devaient être levées ». Pour éviter la recrudescence de la circulation du virus, voire une seconde vague, « sans vaccinvaccin ou traitement, on estime que 70 % de la population doit avoir été infectée ». Ce seuil nécessaire pour « parvenir à une immunité de groupe et ainsi empêcher de futures épidémies », ne pourra évidemment pas être atteint d'ici au 11 mai. Si toutes les mesures de lutte contre le coronavirus étaient intégralement levées à cette date, le « risque d'une recrudescence du nombre de personnes infectées par le virus est grand ».
Limiter la valeur de R zéro en dessous de 1
Tout l'enjeu est de limiter à 1 la valeur du nombre de reproduction de base, le R zéro. Si cette valeur se stabilise en dessous de 1, il est probable que « d'ici fin juin, début juillet il n'y ait plus de nouveau cas déclaré en France, à part les cas importés depuis l'étranger ». À partir du 11 mai, il sera nécessaire d'attendre un « délai de deux semaines environ avant de disposer d'indicateurs de mesure fiables pour mesurer l'impact du déconfinement sur la circulation du virus dans la population française ».
Quant à la durée de cette immunité collective et naturelle, elle est « encore en débat en raison de l'absence de recul nécessaire pour la mesurer dans le temps ». Pour rappel, ce virus a été découvert il y a seulement quelques mois, en décembre 2019. Bien qu'un consensus se dégage pour dire qu'à court terme cette immunité sera efficace, « au-delà d'un an nous n'avons aucune certitude ». Quant aux risques d'être contaminé deux fois par le SARS-CoV-2, ils sont « très faibles dans un intervalle de temps court ». L'absence de recul, « nous empêche d'avoir une vision claire sur l'évolution future de ce virus au-delà de quelques mois ». Cela dit, les rapports des différentes agences nationales ne font pas de cas de personnes qui « après avoir été guéries du virus auraient de nouveau été contaminées », sauf dans de rares cas et très spécifiques qui « peuvent s'expliquer par de mauvais diagnosticsdiagnostics (faux positifs, par exemple) ou des conditions de santé particulières ».
Peut-on attraper deux fois le coronavirus ?
Article de Futura avec l'AFP-Relaxnews publié le 19/03/2020
Bien des mystères entourent la maladie du Covid-19Covid-19. Peut-on l'attraper deux fois ou bien l'organisme est-il immunisé après avoir été infecté par le SARS-Cov-2 et pendant combien de temps ? Dans cette lutte contre la pandémie, la seule réponse possible semble être le vaccin, et tandis que se prépare le déconfinement, les tests sérologiquestests sérologiques pourraient se muer en passeports d'immunité, soulevant ainsi des questions éthiques.
Peut-on attraper deux fois le Covid-19 ? Cette question cruciale dans la lutte contre la pandémie n'a aujourd'hui pas de réponse ferme, même si les scientifiques espèrent qu'un patient contaminé soit immunisé contre le nouveau coronavirus au moins pendant quelques mois. « Être immunisé, ça veut dire que vous avez développé une réponse immunitaire contre un virus qui va vous permettre de l'éliminer. Et comme la réponse immunitaire a une mémoire, ça vous permet aussi de ne pas être réinfecté par le même virus plus tard », explique Eric Vivier, professeur d'immunologie à l'Assistance publique des hôpitaux de Marseille.
De manière générale, pour les virus à ARNARN comme le Sars-Cov-2, il faut « environ trois semaines pour avoir une quantité suffisante d'anticorpsanticorps protecteurs » et cette protection dure plusieurs mois, poursuit-il. Mais ça, c'est la théorie : le Sars-Cov-2, qui ne cesse de réserver des surprises, est trop nouveau pour permettre la moindre certitude. « Nous ne savons pas, nous pouvons seulement extrapoler à partir d'autres coronavirus et même pour eux, les données sont limitées », souligne Mike Ryan, directeur des programmes d'urgence de l'Organisation mondiale de la SantéOrganisation mondiale de la Santé (OMS).
Extrapolations à partir des autres coronavirus
Pour le Sras, qui a fait près de 800 morts dans le monde en 2002-2003, les malades guéris étaient protégés « en moyenne pendant deux à trois ans », indique à l'AFP le Pr François Balloux, du University College de Londres. Donc, « on peut certainement se faire réinfecter, mais la question c'est : après combien de temps ? On ne le saura que rétroactivement ».
Une récente étude chinoise, non évaluée par d'autres scientifiques, a certes montré que des macaques rhésusmacaques rhésus infectés par ce virus, puis guéris, n'avaient pas pu être réinfectés. Mais, ça ne veut rien dire sur la durée, estime Frédéric Tangy, chercheur à l'Institut Pasteur, car l'observation s'est déroulée sur une période relativement courte, à savoir un mois.
Dans ce contexte, des informations venues d'Asie, en particulier de Corée du Sud, faisant état de plusieurs patients guéris, testés à nouveau positifs, soulèvent de nombreuses interrogations. En théorie, il pourrait s'agir d'une deuxième contaminationcontamination, notent plusieurs experts, qui jugent toutefois cela peu probable et privilégient à ce stade d'autres explications.
Il se pourrait que chez certains, le virus ne disparaisse pas et infecte « de façon chronique », comme le virus de l'herpèsherpès qui peut rester dormantdormant et asymptomatique, note le Pr Balloux. Les tests n'étant pas fiables à 100 %, il pourrait aussi s'agir d'un faux négatif, le patient n'ayant en fait jamais été débarrassé du virus. « Ça suggèrerait que les gens restent infectieux longtemps, plusieurs semaines. Ce n'est pas idéal », ajoute-t-il.
Trop d'incertitudes autour des anticorps protecteurs
Une étude réalisée sur 175 patients guéris à Shanghai, publiée début avril sans évaluation, montre que la plupart d'entre eux ont développé des anticorps neutralisants entre 10 et 15 jours après le début de la maladie, à diverses concentrations.
Mais « savoir si la présence d'anticorps signifie immunité est une question différente », a noté Maria Van Kerkhove, autre responsable de la gestion de l'épidémie à l'OMS. « On est en train de se poser la question pour savoir si quelqu'un qui a fait un Covid (...) est si protégé que ça », s'est inquiété mercredi le Pr Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique en France.
Et pire : « On ne sait pas si les anticorps qu'on développe soi-même contre le virus ne sont pas un risque d'augmenter la maladie », indique Frédéric Tangy, notant que les symptômessymptômes les pires du Covid-19 arrivent tardivement, au moment où le patient a développé des anticorps.
Pas d'éléments probants non plus pour l'instant pour dire qui développerait des anticorps plus efficaces : malades les plus gravement touchés ou les plus épargnés, personnes âgées ou jeunes... ? Face à ces incertitudes, certains s'interrogent sur la pertinence d'atteindre via les contaminations une immunité collective (quand l'épidémie s'éteint faute de nouvelles personnes à contaminer). « La seule véritable solution est un vaccin », estime ainsi Archie Clements, épidémiologiste à l'université australienne Curtin.
Vers la création d'un passeport d'immunité ?
Malgré tout, des campagnes de tests sérologiques (qui détectent les anticorps) sont lancées pour mieux connaître la part, probablement très faible, des populations ayant été contaminées, comme en Finlande et au Royaume-Uni. Ou encore en Allemagne, où un centre de recherche évoque même une sorte de « passeport » d'immunité permettant aux personnes positives de reprendre leurs activités.
“Les gens qui ont besoin de travailler, pour nourrir leur famille, pourraient chercher à se faire infecter”
« C'est trop prématuré, assure à l'AFP le Dr Saad Omer, directeur du Yale Institute for Global Health, qui suggère d'attendre quelques mois pour des résultats plus fiables. Quand il y aura des tests sérologiques suffisamment sensibles et spécifiques ». Les chercheurs insistent en effet sur la nécessité notamment que ces tests ne soient pas trompés par les anticorps d'autres coronavirus bénins en circulation.
Mais des certificatscertificats d'immunité soulèvent aussi des questions éthiques, insistent certains chercheurs. Et « les gens qui ont besoin de travailler, pour nourrir leur famille, pourraient chercher à se faire infecter », met en garde le Pr Balloux.