La sonification de données consiste à transformer une information en son afin de pouvoir l'appréhender à travers un nouvel angle. Appliquée à la biologie, elle permet de révéler la musique cachée dans les replis du génome du coronavirus.
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Dans une nouvelle étude, parue dans la revue BMC Bionformatics, Mark Temple propose de découvrir le coronavirus sous un angle inédit : celui de la musique. Grâce à la méthode de la sonification, le chercheur en biologiechercheur en biologie moléculaire s'attelle à un nouveau sujet d'étude, lui qui avait déjà mis en musique des séquences d'ADN humain. « Toute ma vie, j'ai été impliqué dans la musique et la biologie moléculaire. Je pense que nous pouvons apprendre beaucoup de choses à la croisée des chemins entre la science et l'art », écrit Temple pour le média The Conversation. Pour mieux comprendre son travail, commençons par expliquer ce qu'est la sonification.
Mettre en son ce que l'on ne saurait voir
La plupart de nos lecteurs dotés d'audition ont probablement déjà entendu le « boop » caractéristique d'un sonarsonar ou le crépitement d'un compteur Geiger. Tandis que le premier permet d'indiquer la présence d'un objet ou d'un obstacle dans le champ d'émissionémission d'un appareil sous-marin, l'autre sert à signaler le taux de radiation autour du porteur de l'appareil : deux types de données qui n'ont à priori rien à voir avec le son et sont pourtant retranscrites de manière audible. C'est là tout l'intérêt de la sonification : rendre plus facilement compréhensible, voire perceptible, une information à l'aide de l'audition.
Cette animation a été produite à partir de trois ans de données sur la pollution de l'air à Pékin, retranscrites visuellement et musicalement. © Brian Foo
De la même façon que la stéganographiestéganographie peut nous enseigner à dissimuler des images dans un spectrogramme audio (un exercice auxquels se sont adonnés des artistes comme Venetian Snares ou Aphex Twin), certaines données visuelles ou chiffrées peuvent se révéler sous un nouveau jour lorsqu'elles sont abordées sous le prisme auditif. Des informations jusqu'alors invisibles apparaissent, le chaos s'ordonne, l'architecture complexe devient intuition.
Le spectrogramme du morceau « Look », présent sur l'album Songs about my Cats de Venetian Snares, révèle une série de chats. © Venetian Snares, monotoniac
La chanson cryptique «ΔMi−1 = −αΣn=1NDi[n] [Σj∈C[i]Fji[n − 1] + Fexti[[n−1]] » d'Aphex Twin cache quant à elle un visage à 5 minutes 30. © Aphex Twin, Maxdamantus
Dompter l'ineffable avec de la musique
Alors, qu'est-ce que le son peut nous apprendre sur le coronavirus ? Pour Temple, elle est une façon de pénétrer la « logique » de son génome. « Les gènes du coronavirus sont comme les chapitres d'un livre de biologie ; ils contiennent tous les mots [ou codons] qui décrivent le virus et la façon dont il pourrait fonctionner. Ces "mots" sont constitués de chaînes de lettres chimiques [ou nucléobases] que les scientifiques appellent G, A, U et C. [...] Dans mon travail, j'ai assigné des notes à ces mots pour générer du son ; je me suis demandé si cela pouvait nous aider à comprendre la signification des mots. »
En combinant les mélodies des séquences de traduction et de transcription du coronavirus, Mark Temple a créé sa Coronacode music. © Mark Temple
Grâce à la sonification de séquences de traduction et de transcriptiontranscription génétiquesgénétiques orchestrées par le virus, le chercheur est ainsi capable de percevoir des relations précédemment difficiles à dégager d'une simple représentation visuelle. Mais une autre surprise attendait Temple : « Après être arrivé au terme de la recherche scientifique pour ce projet, j'ai pu écouter le génome du coronavirus avec des oreilles neuves et, en tant que musicien, ai été surpris par sa musicalité. » Le biologiste a donc rassemblé plusieurs amis pour « dompter » cette mélodie et la transformer en un morceau inoffensif. Un exercice riche de sens, qui vient compléter l'aspect scientifique du travail mené. « En tant que musicien, ce projet a été enrichissant, mais en tant que scientifique, j'espère que la sonification du génome du coronavirus aidera les gens à réfléchir à sa fonction de manière inédite et utile », conclut Temple, en insistant sur le fait que son étude vise à mieux comprendre le virus, et non à le trivialiser en en faisant un objet de divertissement.