Un groupe de scientifiques publie une tribune dans The Lancet, soulignant la dangerosité de la stratégie d’immunité collective, qui consiste à laisser s’infecter naturellement une part de la population moins vulnérable. Une stratégie qui n’en finit pas de provoquer des polémiques dans le monde scientifique et la société. Mais qui l’a réellement testée ?
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Un groupe de 80 scientifiques a publié le 15 octobre dernier une tribune dans le journal The Lancet affirmant que la stratégie de l'immunité collective est « une dangereuse erreur non étayée par des preuves scientifiques ». La lettre ouverte, que ses auteurs appellent le John Snow Memorandum, est une réponse à la déclaration de Great Barrington.
Cette autre tribune, signée par trois professeurs d'université spécialisés en épidémiologie, promeut une approche consistant à laisser se développer la Covid-19 dans les populations à faible risque tout en protégeant les plus vulnérables.
« Nous avons oublié les dommages collatéraux du confinement, soutient Martin Kulldorff, l'un des auteurs de cette déclaration, notamment sur l'éducation et la santé mentale ». L'autre argument mis en avant est la différence de gravitégravité de la Covid selon les publics. « Il y a un écart jusqu'à 1.000 fois plus important entre la mortalité des plus vieux et des plus jeunes ».
Quelle stratégie adopter entre confinement et immunité collective ?
Mais, pour la majorité des scientifiques -- dont les signataires de la tribune de The Lancet --, toute stratégie de gestion de la pandémie reposant sur l'immunité collective est imparfaite. Ils expliquent que la transmission incontrôlée chez les jeunes risque de provoquer des maladies et des décès importants dans l'ensemble de la population ; la réalité montre dans de nombreux pays qu'il n'est pas possible de limiter les épidémies à certains segments de la société et qu'il est impossible ethniquement d'isoler de larges pans de la population.
“Il n'est pas possible de limiter les épidémies à certains segments de la société”
D'autant plus que dans certains pays, les personnes ayant des pathologies sous-jacentes (diabète, obésitéobésité...) représentent jusqu'à 30 % de la population et que, dans de nombreux cas, les personnes âgées vivent sous le même toittoit que leurs enfants. Ils affirment également qu'il n'existe aucune preuve d'une immunité protectrice durable contre le SARS-CoV-2SARS-CoV-2 après une infection naturelle.
En outre, ils avertissent que cette immunité décroissante ne mettrait pas fin à la pandémie, mais entraînerait au contraire « des vaguesvagues de transmission répétées sur plusieurs années ». La seule réponse possible, selon eux, est de contrôler la propagation du virusvirus par des politiques de restriction ciblées jusqu'à ce qu'un vaccin sûr et efficace soit disponible.
L’exemple suédois
Ce point de vue est partagé par l’OMS, qui a affirmé le 12 octobre dernier que laisser circuler librement le virus pourrait faire énormément de dégâts. En réalité, il n'existe aucun pays ayant tenté l'expérience de l'immunité collective. Même la Suède, souvent citée en exemple, a instauré des mesures pour limiter la circulation du virus.
Bien que restaurants et écoles soient restés ouverts et que le masque ne soit pas requis dans l'espace public, le stratège en chef de la politique de santé dans le pays, Anders Tegnell, affirme que la Suède n'a pas suivi un objectif d'immunité collective. « Nous avons eu un confinement virtuel, affirme Anders Tegnell au New Statesman. Les Suédois ont énormément changé leurs habitudes. Nous avons cessé de voyager, y compris dans les pays voisins ; les vols ont été interrompus et les trains ne fonctionnent qu'à un faible pourcentage de leur service normal ».
Le résultat n'est ni pire ni meilleur qu'ailleurs. Le système de santé n'a pas été submergé et le pays totalise 585 morts de Covid-19 pour 1 million d'habitants, soit à peu près autant qu'en France.
L'immunité collective encore loin de portée
On voit aussi que des pays ayant adopté des approches similaires au départ (par exemple, la Chine et la France ayant opté pour un confinement strict durant plusieurs mois) connaissent des sorts différents. Alors que la France et l'Europe sont confrontées à une inquiétante deuxième vague, la Chine est quasiment revenue à la normale. À Wuhan, épicentreépicentre de l'épidémie en janvier, on ne porteporte même plus de masque et les images de touristes s'agglutinant dans les lieux très visités font le tour des réseaux sociauxréseaux sociaux.
Bref, difficile d'y voir clair. Deux choses restent certaines : le confinement a au moins servi à éviter l'explosion du système hospitalier, au bord de l'asphyxieasphyxie au mois de mars. Deuxièmement, après neuf mois d'épidémie, aucun pays n'a encore réussi à atteindre le fameux seuil d’immunité collective estimé autour de 50 à 60%. En France, les régions les plus touchées comme l'Ile-de-France ou le Grand-Est atteignent au maximum 10 % de séropositivitéséropositivité.