Une récente expérience réalisée sur des rongeurs et publiée dans la revue Cell pourrait avoir trouvé une piste à creuser pour expliquer pourquoi on est moins motivé pour apprendre ou participer à de nouvelles activités lorsqu'on prend de l'âge.
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Nous le remarquons tous dans notre expérience personnelle avec nos proches. Les personnes âgées que l'on côtoie restent souvent fixées sur leurs opinions et c'est difficile de les faire changer d'avis ! Dès lors, l'énoncé qui consiste à dire qu'on serait moins motivé pour apprendre en vieillissant pourrait sembler être du bon sens. Mais vous le savez maintenant : pour cerner le réel, le cerveau humain et le bon sens sont myopes. Ils ont besoin de lunettes de vue appropriées. Ces lunettes, ce sont la démarche et la méthode scientifique. Par conséquent, il faut vérifier que le phénomène dont nous parlons existe bel et bien. Si c'est le cas, nous nous attellerons à examiner les hypothèses plausibles pour l'expliquer.
La motivation pour apprendre dépend de l'âge, mais pas seulement
Après une brève recherche sur GoogleGoogle Scholar - une base de donnéesbase de données recensant la grande majorité des articles scientifiques - avec l'intitulé « motivation to learn in older people », peu de données s'offrent à nous. Une expérience taïwanaise décrit l'effet de l'âge sur la motivation des adultes âgés pour participer à des activités d'apprentissage. Ce dernier est important mais le niveau de scolarité joue également un rôle notable, selon cette étude. Le phénomène semble donc exister même s'il nous faudrait plus de données avec des populations hétérogènes. Pour l'heure, nous allons nous contenter de cela et parler de l'étude qui nous intéresse.
Serait-ce la faute aux striosomes ?
Comment ? Vous ne connaissez pas les « striosomes » ? Rassurez-vous, je ne les connaissais pas non plus. Ce sont des petits compartiments chimiques présents dans le striatum (une structure nerveuse impliquée dans le mouvementmouvement, les émotions, la fonction cognitive et la motivation) découverts en 1978. Ils ont été identifiés grâce à une technique histochimique consistant à observer la distribution d'acétylcholinestérase (une enzymeenzyme qui hydrolysehydrolyse l'acétylcholine, un neurotransmetteur, en cholinecholine) dans le striatum. Depuis, ces derniers sont très étudiés et une dysfonction en leur sein a été associée à des désordres neurologiques et notamment à la maladie de Huntington. Pour autant, la recherche a encore du mal à cerner le rôle exact de ces entités. « Les striosomes sont un des gros "mystères" du striatum. Jusqu'à présent on ne savait pas trop à quoi ils pouvaient servir. Leur existence a été mise en évidence avec des marqueurs anatomiques, mais on ne cernait pas bien leurs fonctions. En revanche, on a considérablement progressé dans notre compréhension de la fonction du striatum, lui-même divisé en "territoires fonctionnels". Autrement dit, chaque région du striatum est impliquée dans une fonction précise (motivation, motricité, etc.) », explique Maude Beaudoin-Gobert, chercheuse en neurosciences spécialisée dans l'étude des ganglions de la base.
Dans cette expérience parue dans la revue Cell, les chercheurs se sont demandé si le circuit cérébral dont font partie les striosomes jouait un rôle dans la motivation à apprendre. Voici ce qu'ils ont fait pour tester leur hypothèse. Les scientifiques ont exposé des souris à deux tonalités différentes à la suite, qui étaient elles-mêmes associées à des stimuli différents. À l'écoute de ces tonalités, elles devaient lécher un bec censé leur apporter une récompense. Après l'écoute de la tonalité numéro 1, lécher le bec leur donnait accès à de l'eau sucrée tandis qu'après l'écoute de la tonalité numéro 2, la même action les exposait à une lumière vive, probablement désagréable. Plus elles léchaient le bec, plus la quantité d'eau sucrée (ou l'intensité de la lumièrelumière) augmentait.
Vers de nouvelles pistes thérapeutiques ?
Les investigateurs ont alors remarqué que les souris jeunes apprenaient très vite contrairement à leurs congénères plus âgées et à celles servant de modèle dans le cadre de l'étude de la maladie d'Huntington. Elles venaient à lécher le bec beaucoup moins longtemps après l'écoute de la tonalité numéro 2 au fur et à mesure de l'étude. Dans cette expérience, nous sommes face à une réflexion coût/récompense. Les souris jeunes comprennent rapidement comment faire pour retirer un bénéfice maximal de leur action (obtenir l'eau sucrée) en évitant de dépenser de l'énergieénergie pour qu'une lumière vive les agresse. Lors du processus d'apprentissage, les striosomes montrent une activité accrue contrairement aux autres compartiments du striatum, ce qui suggère que ce sont précisément eux qui jouent un rôle fondamental dans ce processus.
Chez les souris plus âgées, on assiste à la situation inverse : l'apprentissage est beaucoup moins présent de même que l'activité des striosomes. « Cet article nous permet d'aller encore plus loin dans le substratsubstrat anatomo-fonctionnel de l'apprentissage par renforcement. Le corpus scientifique actuel est dominé par une vision assez binairebinaire. La voie de la dopamine code l'apprentissage afin d'obtenir des récompenses positives et la voie de la sérotoninesérotonine code celle des "récompenses négatives". Avec cette expérience, notre compréhension du phénomène se précise avec l'action des striosomes. Finalement, c'est peut-être l'endroit où convergent les informations pour l'apprentissage par motivation », précise Maude.
Lorsque les expérimentateurs se servent d'outils génétiques pour activer et désactiver à leur gré l'activité des striosomes spécifiquement, ils constatent simultanément un changement de comportement chez les souris. L'apprentissage est accru lorsque le circuit est activé et décline lorsqu'il est inhibé. Cela démontre une relation de causalité dans le paradigme réductionniste biologique actuel. L'activité saine de cette région du cerveaucerveau est donc essentielle et nécessaire concernant notre motivation à apprendre.
Les auteurs travaillent désormais sur l'élaboration de traitements pharmacologiques ou génétiques qui seraient susceptibles de stimuler ce circuit cérébral. Cela permettrait peut-être d'améliorer l'évaluation coût/bénéfice, et donc la motivation à apprendre chez des patients âgés ou malades. « Cette découverte ouvre la voie à des thérapies géniquesthérapies géniques. Certaines ont déjà été testées chez des patients qui souffrent de la maladie de Parkinsonmaladie de Parkinson. Néanmoins, cela semble peu pertinent pour lutter contre le vieillissement "normal". C'est une intervention assez lourde que d'injecter des vecteurs viraux, la balance bénéfice-risque ne me semble pas positive, a priori. Pour les patients atteints de la maladie de Huntington, cela pourrait être intéressant. Pourtant, j'y vois tout de même deux écueils qui poussent à la prudence : si la dégénérescence des neuronesneurones continue dans le striatum alors quid de l'efficacité ? Et deuxièmement, le plus gros problème dans cette maladie en dehors des symptômessymptômes moteurs, c'est généralement l'agressivité des patients. Ils se plaignent rarement d'une absence de motivation », conclut Maude.