On pourrait croire que le cerveau de l’adolescent est déséquilibré, avec un système de récompense hyperactif qui engendrerait des prises de décisions impulsives. En effet, il subit de nombreux changements structurels et fonctionnels, qui contribuent à une maturation cognitive et émotionnelle tardive. Mais la plupart des autres animaux quittent le nid dès la fin de la puberté et ne connaissent pas cette adolescence « prolongée »... Quels avantages sélectifs se cachent derrière la durée de ce développement cérébral ?
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Quand les animaux font leur transition vers l'âge adulte et l'indépendance, ils doivent acquérir de nouvelles compétences, quitter leur lieu de naissance et découvrir de nouveaux environnements. Lors de cette période incertaine, il a été montré que les animaux qui explorent de nouvelles solutions ont plus de chance de transmettre leurs gènes à la génération suivante. C'est ce qui a inspiré des chercheurs de l'université de Californie à Berkeley en 2022 : ils ont soumis 291 volontaires, âgés de 8 à 30 ans, à diverses expériences cognitives. « Les adolescents font mieux que les adultes dans des conditions qui sont plus incertaines ou aléatoires » affirme Linda Wilbrecht, qui a dirigé l'étude. Les conclusions sont semblables à celles issues de l'observation d'autres espècesespèces, et notamment de primates : dans des circonstances aléatoires, les adolescents sont apparemment plus disposés à essayer de nouvelles solutions, ce qui leur fournit des informations pour adapter au mieux leur manière d'agir dans le futur.
Essai, réussite et récompense
Ces résultats seraient liés à une plus grande activité des centres de récompense du cerveau, auparavant considérés comme dysfonctionnels chez les adolescents. Ils envoient un signal au cortex cérébral, pour lui permettre d'ajuster les voies de communication neuronale, et ainsi optimiser le comportement. Linda Wilbrecht explique : « Le cerveau de l'adolescent est conçu pour explorer, découvrir et connecter [...] au sens littéral, parce que les neurones s'étendent et forment de nouvelles connexions. Et nous avons besoin d'abord d'expérimenter pour que le cerveau sache quelles connexions conserver ». Ce comportement exploratoire serait donc le fruit d'une évolution commune à d'autres espèces. Cependant, chez la plupart de ces mêmes espèces, l’adolescence se résume à la puberté, alors que chez les humains ou certains primates, elle se prolonge bien au-delà... Pourquoi une telle évolution spécifique ?
Pourquoi cette dynamique en différé ?
De l'enfance à l'adolescence, le cerveau subit un processus remarquable appelé « élagage synaptique » : il élimine les connexions neuronales inutiles, guidé par des facteurs génétiques et des influences environnementales, afin d'affiner les processus cognitifs et améliorer les fonctions cérébrales. Ainsi, le cerveau devient plus spécialisé, et plus efficace.
À l’adolescence, deux régions cérébrales vont se développer selon ce principe, mais de façon désynchronisée. Tandis que le striatum ventral et le système limbiquesystème limbique, comprenant l'amygdale - liés à la récompense - sont fonctionnels autour de l'âge de 15 ans, le cortex préfrontalcortex préfrontal, n'est quant à lui mature qu’autour de 25 ans. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Dans un premier temps, le développement précoce des systèmes cérébraux liés à la récompense entraîne une manifestation accrue de recherche de sensations fortes et d'expériences nouvelles. Associés à la dopamine, l'hormonehormone du plaisir et de la récompense, et aux facteurs sociaux et environnementaux, les adolescents se montrent impulsifs, sensibles et empathiques. Ce comportement va venir s'équilibrer avec la maturation, bien que plus tardive, du cortex préfrontal. Également appelé centre exécutif, il agit sur le contrôle des fonctions exécutives d'ordre supérieur : contrôle des impulsions, capacité de prise de décision et de planification à long terme, développement des interactions sociales... Il connaît une véritable optimisation de ses performances : élagage synaptique et myélinisation des axonesaxones qui accélère la vitessevitesse de transmission de l'influx nerveuxinflux nerveux, le tout sous influence hormonale - l'activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-gonadique n'agissant pas uniquement sur la production d'hormones sexuelles. L'adolescence ne se limite donc pas à la pubertépuberté, et la maturation cognitive et émotionnelle se poursuit bien au-delà.
Construction cérébrale, construction sociale
Les modifications structurelles et fonctionnelles du cortex sont associées au développement de la cognitioncognition sociale, guidée par les expériences et les interactions. Ces mêmes situations sociales activent également le réseau neuronalréseau neuronal du striatum ventral, ce même réseau développé plus précocement chez les adolescents. Il est donc fort probable que le cerveau en plein développement soit bien plus capable d'adaptation en matièrematière de relations sociales que ce qui est admis. La construction de l’estime de soi et de ses choix étant influencée par un désir de conformité et d'appartenance à un groupe, l’adolescent doit trouver un équilibre entre cette dualité individu-société, d'où l'importance d'un environnement stable et stimulant à la fois.
Bien que l'existence de bases biologiques liées aux phénomènes de l'adolescence soit établie, notamment grâce aux progrès de l'imagerie cérébrale, leur rôle précis reste à définir, et cette période de la vie ne peut se réduire ni à des transformations somatiques pubertaires, ni à une construction psychosociale. La preuve, quand on découvre que ce qui semble être un déséquilibre structurel est peut être un avantage sélectif cachant des capacités d'adaptation et de socialisation sous-estimées jusqu'alors.