Le dépistage du cancer de la prostate avec le dosage PSA reste fréquent en France en dépit des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS). Les conséquences du surtraitement sont parfois graves et entraînent des effets secondaires qui impactent la qualité de vie des patients.

au sommaire


    Depuis deux décennies, le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez l'homme après 50 ans. Sa survie s'est améliorée depuis les années 1990. Mais prescrit-on trop de cancers de la prostate en France ? En plein mois de Movember, le très sérieux Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) du 15 novembre 2016 de l'agence Santé France tire la sonnettesonnette d'alarme : les médecins prescriraient trop le dosagedosage PSA.

    Celui-ci consiste à détecter dans le sang une protéine produite par la prostate : la PSA (prostate specific antigen). Une hausse de sa quantité dans le sang indique une éventuelle tumeur de la prostate. Dans leur éditorial, Norbert Ifrah (président de l'Institut national du cancer) et François Bourdillon (directeur général de Santé publique France) soulignent que ce dosage PSA reste très fréquent en France chez les hommes de plus de 40 ans : « En 2014, 48 % d'entre eux avaient réalisé un dosage du PSA dans les trois années précédentes, cette fréquence atteignant 90 % pour les hommes âgés de 65 à 79 ans. »

    Les autorités sanitaires ne recommandent pas de dépistage généralisé

    Pourtant, ce dépistage chez les hommes ne présentant pas de signe de cancer n'est pas recommandé par les autorités sanitaires : « La Haute autorité de santéHaute autorité de santé (HAS) a considéré dans ses évaluations successives, comme toutes les agences d'évaluation en santé dans le monde, que la balance bénéfices-risques n'était pas suffisamment favorable ». Ainsi, en 2012, l'US Preventive Service Task Force (USPSTF) aux États-Unis avait recommandé l'arrêt du dépistage par PSA à cause des effets indésirables : pour 1.000 personnes traitées pour un cancer de la prostate, 5 décéderaient un mois après l'intervention chirurgicale, 10 à 70 auraient des complications graves et 200 à 300 deviendraient impuissants ou incontinents.

    Il est reproché au dosage PSA de détecter des cancers qui évoluent lentement et qui pourraient bénéficier d'une simple surveillance active.  Philippe Nicot, médecin généraliste, qui s'exprime dans The Conversation, émet deux hypothèses pour expliquer que les médecins continuent de prescrire autant de dosages PSA : une mauvaise information des professionnels et aussi une demande appuyée des patients.

    ----------

    Cancer de la prostate : le risque de surtraitement est réel

    Article initial de l'Inserm (communiqué de la salle de Presse) paru le 15/07/2013

    Le cancer de la prostate, le cancer le plus fréquent chez l'homme, est parfois surtraité et surdiagnostiqué. Autrement dit, les tests et traitements inutiles imposés compliquent davantage la vie du patient qu'ils ne l'améliorent...

    L'utilisation généralisée du test PSA (prostate-specific antigen) dans la prise en charge des cancers de la prostate a conduit à une plus grande précocité des diagnosticsdiagnostics. Cette évolution constitue en soi une avancée, les stades précoces étant moins graves donc plus facilement curables. Mais tous les cancers de la prostate n'ont pas la même agressivité et comme beaucoup de tests de dépistage, le dosage du PSA détecte plus facilement les tumeurs qui évoluent le moins vite. Par conséquent, une part non négligeable des tumeurs diagnostiquées suite à un test PSA sont faiblement évolutives. Ceci expose des patients aux risques de surdiagnostic (dépistage inutile étant donnée l'espérance de vieespérance de vie du patient) ou de surtraitement (utiliser des thérapiesthérapies lourdes qui causent davantage d'effets secondaires que de complications liées à la seule maladie à évolution lente).

    En l'absence de marqueurs permettant de repérer les tumeurs agressives, la principale difficulté du dépistage du cancer de la prostate réside dans l'évaluation de son bénéfice pour le sujet en tenant compte des risques de surdiagnostic et de surtraitement (qui peuvent varier de 30 % à 50 % selon la source). Il est donc nécessaire de comparer l'espérance de vie avec cancer à l'espérance de vie théorique, et donc de bien les estimer. En pratique, si l'espérance de vie du patient est supérieure à dix ans, duréedurée considérée comme nécessaire pour qu'un cancer devienne cliniquement significatif, le traitement est justifié.

    Le surtraitement du cancer de la prostate : une réalité ?

    Le but de l'étude menée par Cyrille Delpierre (laboratoire Épidémiologie et analyses en santé publique : risques, maladies chroniques et handicaps) a été d'estimer l'ampleur du surdiagnostic et du surtraitement potentiel et réel pour le cancer de la prostate en France, en tenant compte des comorbiditéscomorbidités susceptibles de modifier fortement l'espérance de vie théorique.

    L'échantillon était composé de 1.840 patients diagnostiqués en 2001. Les proportions de patients surdiagnostiqués et surtraités ont été estimées en comparant l'espérance de vie théorique (prenant en compte les comorbidités) à l'espérance de vie avec le cancer.

    Il a été possible d'identifier les patients en situation de surtraitement potentiel, c'est-à-dire ceux dont l'espérance de vie théorique était inférieure à l'espérance de vie avec cancer, et parmi ces derniers de savoir lesquels avaient effectivement été traités (soit par chirurgiechirurgie ou par radiothérapie) donc réellement traités excessivement.

    Le cancer de la prostate est le plus fréquent chez l'homme, mais n'est pas le plus mortel. En effet, parfois il est presque anodin et il vaut mieux ne pas le traiter car il ne présente pas de danger. © Anne Weston, Wellcome Images, cc by nc nd 2.0

    Le cancer de la prostate est le plus fréquent chez l'homme, mais n'est pas le plus mortel. En effet, parfois il est presque anodin et il vaut mieux ne pas le traiter car il ne présente pas de danger. © Anne Weston, Wellcome Images, cc by nc nd 2.0

    Jusqu’à un patient sur cinq trop traité

    Dans Cancer Epidemiology, il est montré que 9,3 % à 22,2 % des patients atteints de tumeurs au stade T1 étaient surtraités. Soit entre 7,7 % et 24,4 % des patients ayant subi une ablationablation de la prostate, et entre 30,8 % et 62,5 % de ceux recevant une radiothérapieradiothérapie.

    D'un autre côté, jusqu'à 2 % des patients atteints de tumeurs au stade T2 auraient été surtraités. Parmi eux, on trouverait 2 % de ceux ayant subi une ablation de la prostate et 4,9 % de ceux ayant reçu une radiothérapie.

    La présence d'une comorbidité augmentait considérablement ces proportions, les patients au stade T1 avec plus de deux comorbidités étant en situation de surtraitement potentiel dans la presque totalité des cas et surtraités dans un tiers des cas.

    Des risques qui auraient encore augmenté

    « Une des limites importantes de notre étude a été de travailler sur des patients diagnostiqués en 2001. La situation est actuellement différente. Mais des données plus récentes concernant l'année 2008 montrent une inversion des proportions des stades T1 et T2. Les stades T1 sont maintenant plus fréquents que les T2. La proportion des stades courts dans lesquels on observe un risque élevé de surtraitement serait en augmentation », explique Cyrille Delpierre.

    Ce travail met en évidence une proportion importante de traitements excessifs réels, majoritairement observés chez des patients ayant des comorbidités.

    Choisir la thérapie la plus adaptée pour le patient

    Pour les chercheurs, la question essentielle dans le débat autour de l'utilité du PSA, et de façon plus générale autour de tous les dépistages n'est donc pas le test en lui-même, mais plutôt le choix d'une prise en charge appropriée.

    Le dépistage est un processus qui débute avec la proposition d'un test de dosage du PSA suivi en cas de résultats positifs d'examens diagnostiques, puis d'une prise en charge adaptée en cas de maladie avérée. « Au vu du surtraitement avéré du cancer de la prostate, cette prise en charge pourrait se limiter, notamment pour les patients ayant des comorbidités, à une surveillance permettant de proposer le traitement quand il deviendrait opportun », poursuit Cyrille Delpierre. 

    La différence observée entre surtraitement potentiel et surtraitement réel est le signe d'une prise en compte du risque de surtraitement par les urologues, qui reste néanmoins à améliorer. Cette situation traduit la difficulté de proposer une surveillance active de justifier une attitude non interventionniste chez des patients se sachant atteints d'un cancer.