au sommaire
Affreux, sales et méchants. Telle pourrait être en quelques mots la description du rat-taupe nu (Heterocephalus glaberHeterocephalus glaber), un rongeurrongeur africain. Dépourvu de poils, avec des dents qui dépassent, vivant sous terre dans des colonies dirigées par une reine tyrannique, cet animal n'a rien d'enviable et semble tenir plus du termite que de la souris. Pourtant, il possède des particularités uniques chez les mammifèresmammifères : il semble insensible à la douleur, incapable de réguler sa température corporelle et surtout... il est épargné par le cancer.
En effet, après plusieurs décennies d'observation, pas un de ces animaux étranges n'a présenté une tumeur. C'est probablement grâce à cette propriété que le rat-taupe nu peut vivre jusqu'à 32 ans, alors que la souris, cousin de même taille, ne dépasse pas 4 ans. Quel est son secret ? Tout n'est pas encore clair.
Une étude menée par Vera Gorbunova, de l'université de Rochester, dans l'État de New York, pourrait bien apporter des éléments de réponse plus que prometteurs. Il semblerait que ce mystère réside du moins en grande partie dans une moléculemolécule : l'acide hyaluronique.
L’acide hyaluronique, secret du rat-taupe nu
Comme la souris ou d'autres, l'être humain en produit également naturellement. Il se retrouve dans la matrice extracellulaire (le tissu conjonctif entre les cellules), lubrifie les articulations et joue un rôle essentiel dans la peau et le cartilage. Il est même utilisé dans certaines lotions cutanées ou dans le traitement de l'arthritearthrite, pour l'élasticitéélasticité qu'il confère. Mais la forme présente chez le rat-taupe nu est différente et cinq fois plus lourde que celle retrouvée chez l'Homme.
Un petit flashback s'impose. En 2009, Andrei Seluanov, l'un des coauteurs de ce travail, remarquait que les cellules de soutien des rats-taupes nus élevées in vitroin vitro ne s'aggloméraient pas comme celles des souris ou des Hommes, mais qu'au contraire, elles gardaient leur distance. Avec le temps, le milieu devenait même particulièrement visqueux, ce qui empêchait les scientifiques de travailler confortablement.
Ils ont alors retiré cette substance gluante et les cellules sont progressivement devenues tumorales. Évidemment, les chercheurs ont voulu découvrir ce que la substance contenait, et ils y ont découvert une forme particulièrement complexe d'acide hyaluronique, et surtout en grande quantité. Leurs analyses ont révélé que l'enzymeenzyme chargée de la morceler était particulièrement peu active. Était-ce là le secret du rat-taupe nu ?
Le rat-taupe nu est vraiment un mammifère particulier. L'un des rares mammifères eusociaux, à l'instar des termites ou des fourmis, il vit dans des communautés souterraines dirigées par une reine. Leur peau est d'une extraordinaire plasticité pour les préserver de blessures dans les tunnels étroits qu'ils creusent, grâce à une forme particulière d'acide hyaluronique, la molécule même qui les préserve des cancers. © Brandon Vick, université de Rochester
Grande élasticité de la peau pour mieux prévenir le cancer
Quelques années plus tard, ils publient dans Nature de nouveaux éléments confortant leur hypothèse. Dans cette nouvelle étude, ils ont exposé ces cellules de rat-taupe nu à des protéinesprotéines virales qui inactivent les gènesgènes suppresseurs de tumeursuppresseurs de tumeur. De telles mesures induisent des cancerscancers chez la souris. Mais pas chez son cousin africain !
En revanche, lorsque les auteurs ont inactivé soit la production d'acide hyaluronique, soit celle de l'enzyme qui le découpe, les animaux ont commencé à présenter des tumeurs. La molécule joue donc un rôle central dans la protection contre le cancer chez ces rongeurs.
Mais si l'émergenceémergence d'une telle molécule est probablement le fruit de l'évolution, les auteurs pensent que c'est dans un autre but que la sélection naturellesélection naturelle l'a maintenue. En effet, comme leur nom l'indique, les rats-taupes nus ne possèdent pas de fourrure et s'exposent à des lésions dans les tunnels étroits dans lesquels ils vivent. Mais grâce à la grande élasticité de la peau dont ils jouissent grâce à cette forme particulière d'acide hyaluronique, ils seraient épargnés. En parallèle, ils profitent par chance d'un atout non négligeable : être protégés du cancer. Les chercheurs pensent que la molécule vient encercler les cellules, les empêchant alors de se multiplier de manière anarchique, ce qui tue la tumeur dans l'œuf.
Quelles applications médicales ?
Des propriétés exploitables pour prévenir le cancer chez l'Homme ? Pas sûr. Pour que la thérapiethérapie soit vraiment efficace, il faudrait probablement que la molécule soit produite dans tout notre organisme, une démarche très complexe et non sans risques. En revanche, il est plus plausible de l'utiliser localement, au niveau de la peau ou des articulationsarticulations, de manière à améliorer les traitements existants à base d'acide hyaluronique humain.
Les auteurs vont déjà effectuer des tests chez la souris, pour vérifier l'impact que cela pourrait avoir sur elle. Si la thérapie anticancer fonctionne sans effets secondaires, alors seulement elle pourrait être envisagée pour l'Homme. Mais une chose est certaine : elle ne sera pas disponible avant de longues années.