au sommaire
Pour compenser un handicap, l'Homme recourt depuis des siècles à des prothèses, comme les célèbres jambes de boisbois. Les progrès technologiques permettent de créer des outils de plus en plus fonctionnels et les dernières avancées proposent même de compenser les défauts de certains organes, comme le cerveau. Ainsi sont nées les neuroprothèses.
Cependant, pour l'heure, elles n'avaient été testées que dans le but de compenser des handicaps. Or, des chercheurs américains de l'université Duke (Durham) viennent de montrer qu'elles pouvaient contribuer à augmenter les capacités sensorielles d'une espèceespèce. Dans Nature Communications, ils révèlent comment des rats ont pu percevoir la lumièrelumière infrarougeinfrarouge.
De plus, ce travail met en lumière un autre phénomène jusqu'alors inconnu : les neurones spécialisés peuvent acquérir de nouvelles aptitudes sans pour autant perdre leur fonction première.
Dirige-toi vers la lumière
La rétine des mammifèresmammifères ne permet pas de déceler le spectrespectre infrarouge. Ainsi, dans cette expérience, les auteurs ont choisi cette source lumineuse pour vérifier le potentiel de leur neuroprothèse. Dans un premier temps, il a fallu entraîner des rats placés dans une chambre de tests à se diriger vers l'une des trois diodes qui s'allumait afin qu'ils poussent un levier à l'aide de leur museau pour obtenir en récompense quelques gouttes d'eau.
Les yeux rouges des rats de laboratoire ne leur permettent pas de voir dans l'infrarouge. Il faut pour cela qu'ils soient équipés d'une neuroprothèse adaptée. © Jean-Etienne Minh-Duy Poirier, Wikipédia, cc by sa 2.0
Ensuite, des microélectrodes dix fois plus fines qu'un cheveu humain ont été placées sur une région du cortex associée au toucher, recevant les informations sensorielles émanant des vibrissesvibrisses, ce que l'on appelle plus communément les moustaches. Branché à ces électrodesélectrodes, un détecteur à infrarouges. Les signaux électriques envoyés au cerveau des rongeursrongeurs dépendaient de l'orientation par rapport à la source lumineuse. Plus ils s'en rapprochaient, plus la fréquence des stimulations augmentait.
Équipés de cette neuroprothèse, les rats sont entrés dans la deuxième phase de l'expérimentation. Ils devaient réaliser le même exercice que précédemment, mais avec cette fois le choix entre trois lumières infrarouges.
Des infrarouges perçus grâce à la neuroprothèse
Les premiers jours de tests, les rats ne semblaient pas percevoir les rayons. Ils se dirigeaient aléatoirement vers les différentes sources. Les chercheurs ont remarqué que lors de l'activation de la prothèse cérébrale, les rongeurs se frottaient les vibrisses. Les auteurs supposent que le signal électrique était d'abord interprété comme une information relative au toucher.
Mais l'entraînement paie toujours... Après un mois d'essais, les rats ont commencé à établir le lien entre la stimulation électrique et la lumière infrarouge. Durant le test, les animaux balayaient la chambre du regard, pour se diriger d'emblée vers la source lumineuse. À partir de ce moment, ils ont quasiment réalisé un sans-faute.
Neil Harbisson est, selon certains, le premier être humain reconnu officiellement comme cyborg. Son œil cybernétique lui permet de transformer les couleurs en ondes sonores. Bientôt, pourra-t-on lui poser un implant pour lui permettre de voir en plus l'infrarouge ? © Carlosramirex, Wikipédia, DP
Pour s'assurer que les rongeurs étaient bien incapables de voir naturellement le spectre infrarouge, les scientifiques ont réalisé la même expérience sans activer la neuroprothèse. Les résultats, tout à fait aléatoires, suggèrent effectivement que c'est bel et bien leur nouvel équipement qui procure aux rats la possibilité de percevoir ces longueurs d'ondelongueurs d'onde.
Verra-t-on des êtres humains améliorés ?
Mais cette recherche met en avant un autre point clé. Même mobilisé pour détecter les infrarouges, le cortex spécifique au toucher n'en perdait pas pour autant sa fonctionnalité de base. Les neurones répondaient également aux informations émanant des vibrisses. Ainsi, ce sixième sens ne s'active pas au détriment d'un sens préexistant.
C'est une grande découverte pour deux raisons. D'abord, cela signifie qu'on peut compenser un défaut chez une personne avec des lésions cérébrales en stimulant une autre partie du cerveau. Par exemple, une personne malvoyante du fait d'un cortex visuel abîmé pourrait retrouver la vue avec une neuroprothèse reliée dans une autre région corticale.
D'autre part, cela ouvre la voie au développement d'améliorations des caractéristiques humaines, comme le décrivent les œuvres de science-fiction et qui figurent au cœur des objectifs du mouvementmouvement transhumaniste. Cette expérience est peut-être un premier pas pour nous procurer de nouvelles facultés dont la nature ne nous a pas dotés.