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Article paru le 19 décembre 2012
- À voir, la galerie photos sur la sexualité animale
La vie n'a pas besoin de sexe pour se reproduire. En témoignent les bactéries, certaines plantes, des champignonschampignons, voire quelques vertébrésvertébrés : un clone de soi peut suffire. Pourtant, de nombreuses espècesespèces, y compris la nôtre, ne peuvent se passer de ces relations privilégiées qui s'obtiennent souvent au prix d'efforts considérables. Pourquoi se donner tant de mal ?
En 1871, Charles Darwin inventait le concept de sélection sexuelle, inspiré de celui qu'il avait développé 12 ans plus tôt avec la sélection naturelle. Poussés par le désir de reproduction, mâles et femelles se livrent à des jeux de séduction, parfois gracieux, parfois violents, parfois impressionnants, de manière à susciter l'intérêt de l'autre. Chacun tente de trouver son ou sa partenaire, et ceux qui ont la chance de réussir sont en droit de goûter au sexe.
La sexualité animale : une guerre des genres
Mais la bagarre ne fait que commencer. « Les mâles et les femelles entrent dans un conflit sexuel , explique à Futura-Sciences Thierry Lodé, spécialiste d'écologieécologie évolutive aux universités de Rennes 1 et d'Angers. Les mâles sont dans le quantitatif, les femelles dans le qualitatif. » Autrement dit, ils ne sont pas faits pour s'entendre... Pourtant il faut bien trouver un compromis !
Cette guerre réside dans les stratégies adoptées par les deux sexes. « La femelle mise sur un ovule de grosse taille qui exige beaucoup d'énergieénergie. Son homologue investit sur le nombre et la mobilité. Ce processus contradictoire s'appelle l'anisogamie : les cellules sexuelles sont très dissemblables. Ainsi, la réussite d'un des deux sexes n'est pas celle de l'autre », détaille l'éthologue.
Les lionceaux risquent gros si jamais un nouveau mâle prend le contrôle de la troupe. Pour rendre les femelles sexuellement disponibles, les nouveaux maîtres des lieux se débarrassent de leurs petits afin d'engendrer une nouvelle descendance, porteuse de leurs gènes. © David Dennis, Wikipédia, cc by sa 2.0
L’infanticide, la solution extrême des mâles
Les rivaux ont plus d'un tour dans leur sac. « Pour s'assurer de la paternité, une espèce de mouche dispose d'un sperme hautement toxique. Si la femelle ose se reproduire avec un deuxième mâle, elle risque la mort. » Mieux vaut se montrer fidèle.
La mort est l'issue dans d'autres situations encore. Il existe ce cas célèbre du lionlion qui prend possession d'une troupe de lionnes. Le nouveau dirigeant se débarrasse des descendants de son prédécesseur sans demander l'avis des femelles. Celles-ci voient leurs portées décimées. Si elles veulent de nouveaux petits, elles devront se laisser approcher par le mâle dominant. « L'infanticide est le summum du conflit sexuel : la reproduction d'un des deux sexes réduit directement la descendance de l'autre », précise Thierry Lodé.
Le libertinage des femelles pour adoucir les mâles
Les femelles ne sont pas en reste. La mante religieuse n'hésite pas à dévorer son mâle pendant l'acte sexuel, par exemple. Mais parfois, elles usent de comportements bien plus subtils, comme dans notre espèce. « Le plus souvent, les femelles n'ont pas intérêt à faire savoir au mâle qui est le père. Ainsi, l'homme, pour être certain de ne pas se faire voler sa place, se prive de nombreuses conquêtes et reste auprès de sa belle. » Voilà peut-être l'une des raisons qui nous pousse à former des couples (plus ou moins) durables !
Une communauté de chimpanzés forme une grande famille. Même si les petits sont très liés à leur mère, ils passent de bras en bras et les mâles de la communauté contribuent à leur éducation. On ne sait jamais : dans le lot, il y a peut-être le leur... © Shiny Things, Fotopédia, cc by 2.0
Pour les chimpanzés, comme pour la loutre ou d'autres animaux, la sournoiserie est poussée plus loin. « Les femelles vont copuler avec la plupart des mâles qui les intéressent et font preuve d'une très faible sélectivité. Chaque mâle qui passera se dira que ce sont peut-être ses petits, et ne manifestera alors aucune agressivité, limitant fortement les risques d'infanticide », poursuit le spécialiste ès sexualité.
Faites l’amour, pas la guerre ?
Chez nos proches cousins, ce comportement volage pousse les mâles à adopter tous les jeunes du groupe, et non à focaliser leur attention sur un ou quelques petits. « L'adoption existe dans le monde animal, avec le cas extrême du coucoucoucou NDLRNDLR : qui pond dans le nid d'une autre espèce]. Les bêtes n'accordent en général pas beaucoup d'importance à leurs géniteurs, mais identifient très souvent les individus avec qui elles ont été élevées. » Il n'y a qu'à se rappeler des oiesoies du célèbre éthologue autrichien Konrad LorenzKonrad Lorenz, suivi par toute une couvéecouvée d'oisillons dont il avait pris soin.
« Finalement, la vision moderne de la sexualité animale démontre quelques faiblesses dans la théorie de la sélection sexuelle telle que formulée par Darwin », affirme Thierry Lodé. Le naturaliste britannique défendait l'idée que chacun était animé par « le désir de laisser un maximum de descendants, ou de transmettre au mieux ses gènes dans une conception plus moderne. Or, le conflit des sexes pousse à réduire la reproduction de l'autre. La seule chose qui vaille dans cet antagonisme, c'est la possibilité de consentir ensemble à la reproduction. » Les hippies clament depuis longtemps qu'il faut faire l'amour plutôt que la guerre. La science semble nous dire qu'il faut d'abord se battre pour pratiquer le sexe.