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Pour les linguistes, c'était depuis longtemps une évidence : les règles de grammaire d'une langue peuvent faciliter l'apprentissage numériquenumérique. Encore fallait-il le montrer. C'est ce qui vient d'être fait dans la revue Pnas.
Le contexte : un singulier, deux pluriels
L'espèceespèce humaine est connue pour la richesse de ses langues. Certaines se ressemblent, tandis que d'autres sont très différentes, que ce soit dans le vocabulaire, la conjugaison ou la grammaire. Prenons l'exemple simple du singulier et du pluriel. En français comme en anglais, il n'y a que deux cas de figure : un objet, ou plusieurs objets. Dans d'autres dialectes, il existe une troisième possibilité : un mot permettant de définir deux objets. Ainsi, en slovène, un bouton (de manchette) se dit « gumb » ; lorsque l'on passe à deux boutons, on parle de « gumba » ; enfin, pour trois boutons et plus, le mot adapté est « gumbi ». L'arabe fait de même.
Ces différences grammaticales peuvent-elles réellement influencer notre sens de la compréhension des nombres ? C'est la question que se sont posée Alhanouf Almoammer, de l'University College de Londres et de l'université du Roi-Saoud (Riyad, Arabie Saoudite), et des collègues états-uniens et slovènes. Et il semble que la langue seule puisse y contribuer. Bien qu'elle ne suffise pas à tout expliquer.
L’étude : Slovènes et Saoudiens, meilleurs pour « 2 »
Les tests ont été menés sur des dizaines d'enfants âgés de deux à quatre ans, vivant au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Slovénie ou en Arabie Saoudite, et parlant la langue officielle de leur pays. On leur demandait par exemple de mettre deux boutons dans une boîte, des jouets dans un cercle, ou de préciser le nombre d'éléments sur une image.
Les enfants slovènes et saoudiens comprennent bien qu'il y a deux boutons. Les Britanniques et les États-Uniens ont bien plus de mal avec ce concept, à deux ans. © David Barner, UC San Diego, Language and Development Lab
Pour tous les groupes d'âge, les jeunes Slovènes et Saoudiens comprenaient bien mieux que les anglophones le concept de « 2 ». Les différences sont frappantes : à 2 ans, 42 % des petits Slovènes en comprenaient le sens... contre seulement 4 % des Britanniques. Les Saoudiens avaient des performances similaires à celle des Slovènes. Par comparaison des données avec celles récoltées dans des études précédentes portant sur des enfants russes, chinois ou japonais, leurs scores sont toujours meilleurs.
En revanche, probablement du fait de méthodologies d'apprentissage numérique différentes selon les cultures, les anglophones les plus âgés surclassaient les Slovènes dans les capacités à maîtriser les nombres plus grands. Ainsi, les auteurs concluent que la structure du langage peut faciliter la compréhension des petits chiffres, mais qu'au-delà de « 4 », les enfants font appel à d'autres processus qui ne dépendent plus seulement des mots.
L’œil extérieur : pourquoi les Chinois sont-ils bons en maths ?
Pourtant, d'autres recherches suggèrent que les mots peuvent aider au calcul. Par exemple, des scientifiques ont tenté de comprendre pourquoi les enfants chinois de 4 ans pouvaient compter jusqu'à 40 ou 50, alors que les Britanniques arrivaient péniblement à 15. Et ils pensent que la langue peut aider. En effet, les anglophones mais aussi nous, francophones, compliquons la tâche de nos enfants en allant parfois à l'encontre de toute logique.
Après « neuf », nous arrivons à « dix », « onze » et « douze », de la même façon que les Anglais comptent « ten », « eleven » et « twelve ». En Chine, les mots relatifs à ces nombres sont plus cohérents et plus simples à intégrer pour un enfant : « dix », « dix-un », « dix-deux ». Et le problème va même au-delà pour les anglophones, pour « thirteen » ou « fourteen », puisque l'on met en avant le chiffre des unités avant celui des dizaines. En français, il faut attendre « dix-sept » pour retrouver une certaine cohérence.
De là à trouver une explication au fameux cliché qui voudrait que les Chinois soient meilleurs en maths, c'est probablement un peu juste, et l'on peut à raison penser que le système éducatif de l'empire du Milieu donne aussi la part belle aux sciences numériques. Mais alors une autre question se pose. Puisque l'histoire nous a démontré les grandes aptitudes mathématiques des Arabes et des Chinois, on peut désormais s'interroger sur le rôle de leur langue dans les grandes découvertes proposées par ces peuples.