Des chercheurs ont créé des embryons de souris contenant jusqu’à 4 % de cellules humaines. Un taux exceptionnel qui pourrait notamment servir à développer des animaux modèles pour tester des médicaments et des vaccins humains, ou encore à produire des cellules humaines en grande quantité pour remplacer des organes défectueux.
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De nombreuses équipes scientifiques ont tenté ces dernières années de produire des animaux chimères dotés de cellules humaines. En 2017, des chercheurs du Salk Institute ont obtenu des embryons chimères Homme-porc et en 2018, une autre équipe a créé des chimères Homme-mouton. Un chercheur espagnol a même affirmé avoir créer des embryons Homme-singe fin 2019, sans que les résultats soient confirmés.
Le problème est que cellules humaines et cellules animales ne font pas bon ménage. Au-delà d'un certain seuil, les cellules exogènesexogènes, considérées comme intruses, sont soit éliminées par l'organisme soit aboutissent à la mort prématurée de l'animal. Des porcelets dotés de cellules de singe nés en 2019 n’ont pas survécu plus d'une semaine, alors que la proportion de cellules de singe ne dépassait pas 1 sur 1.000 à 1 sur 10.000.
C'est donc une véritable prouesse à laquelle sont parvenus les chercheurs de l'université de Buffalo à New York : ils ont réussi à faire grandir des millions de cellules humaines matures dans un embryon de souris pour obtenir jusqu'à 4 % de cellules humaines. Un chiffre jusqu'ici inégalé pour une chimère Homme-animal.
Des millions de cellules humaines matures en deux semaines
Pour leur étude, décrite dans la revue Science Advances, les chercheurs ont implanté entre 10 et 12 cellules souches humaines dans le blastocyte de souris âgées de 3,5 jours. Au bout de 17 jours -- l'expérience ayant été interrompue pour des raisons éthiques --, ces quelques cellules avaient donné naissance à des millions de cellules humaines matures dans l'embryon, dans des tissus destinés à devenir les yeuxyeux, le foie, le cœur, la moelle osseuse et le sang de la future souris. Au total, l'embryon de souris contenait ainsi entre 0,1 % et 4 % de cellules humaines. « Une estimation faible car nous ne pouvons pas quantifier la grande quantité de globules rouges humains générés dans l'embryon de souris », indique Jian Feng, professeur de physiologie et de biophysique à l'université de Buffalo et coauteur de l'étude.
Pour obtenir un tel exploit, les cellules humaines ont été rétablies dans un état « naïf », au même stade que celles de la souris, en inhibant transitoirement une enzymeenzyme métabolique appelée kinasekinase mTOR. Cette conversion permet d'aligner le stade de développement des cellules humaines et des cellules de souris, afin de permettre leur croissance simultanée.
Des souris modèles pour les vaccins du Covid-19
« La production de cellules humaines in vivoin vivo est essentielle car les cellules fabriquées en laboratoire ne se comportent souvent pas de la même manière que les cellules dans le corps, explique Jian Feng. En améliorant notre technologie, on pourra produire des quantités encore plus importantes de types spécifiques de cellules humaines matures afin de créer des modèles de souris plus adéquats pour étudier les maladies humaines, comme la malariamalaria ou le Covid-19Covid-19 ».
Les tests de médicaments ou de vaccins sur les souris s'avèrent en effet peu fiables, le système immunitairesystème immunitaire des rongeursrongeurs étant très différent de celui de l'Homme. Des souris plus « humaines » pourraient donc mimer davantage l'effet réel des traitements chez l'Homme. Ces cellules humaines pourraient aussi servir à remplacer des tissus abimés par les maladies comme dans le diabètediabète ou l'insuffisance rénaleinsuffisance rénale, ou encore servir à produire des globules rougesglobules rouges. Une véritable « mini-usine » à cellules souches.
Le Japon prépare les premières expériences sur des embryons humains-animaux
Article de Julien Hernandez publié le 02/08/2019
Une équipe de chercheurs japonais travaillant sur les cellules souches vient de recevoir l'accord de l'État pour amorcer les premiers essais de croissance à terme de cellules humaines au sein d'embryons d'animaux. Avec pour objectif final la transplantationtransplantation d'organes. N'y a-t-il qu'un pas entre la recherche sur les cellules souches et ces expériences ? Plutôt deux : l'un est d'ordre scientifique, l'autre éthique.
Le rêve de tous les scientifiques travaillant sur les cellules souches, c'est de parvenir à recréer des cellules non différenciées viables afin de pouvoir régénérer n'importe quel organe. C'est un dérivé de cet objectif qu'a en tête une équipe de chercheurs japonais dirigée par le Dr Hiromitsu Nakauchi, directeur des équipes des universités de Tokyo et de Stanford en Californie. Ces expérimentateurs souhaitent injecter des cellules humaines dans des embryons d'animaux en développement afin de créer des organes humains dans des rats ou des cochons.
Jusqu'en mars, il était impossible pour eux d'envisager ces recherches car la croissance d'embryons d'animaux contenant des cellules humaines au-delà de 14 jours, ou la greffegreffe de tels embryons dans un utérusutérus de substitution, étaient des expérimentations formellement interdites. Mais depuis quelques jours, cela ne fait plus partie de leurs problèmes étant donné que le ministère de l'Éducation et des sciences japonais s'est engagé à apporter une aide gouvernementale à ce projet. Néanmoins, deux grosses barrières restent présentes : la réussite peu probable de leurs expériences - malgré l'engouement - et les questionnements éthiques que posent de telles études.
Le saviez-vous ?
Dans un prisme de pensée utilitariste, si l'on s'accorde à dire que l'hypothèse « une souffrance infligée à un animal équivaut à une souffrance infligée à un humain » est fausse avec 99 % de certitude, cela revient à dire qu'il y a 1 % de chance que cette hypothèse (que Peter Singer, un philosophe utilitariste défend) soit en réalité correcte. Corrélée aux nombres d'animaux tués par an (50 milliards approximativement), on admet que 500.000 millions d'êtres humains (1 % de la souffrance animale considérée comme équivalente dans notre hypothèse) souffrent et sont tués chaque année. Voici l'excellente vidéo de Mr phi d'où sont tirés ces arguments avec les références nécessaires en description.
Un ambitieux projet
Ce n'est pas la première fois que ce type d'expérience va être mené. Les embryons hybrides humains-animaux ont déjà été créés aux États-Unis, par exemple. Mais ici, les chercheurs envisagent de les faire croître jusqu'au terme de leur développement et c'est bien cela qui est inédit. Cependant, le Dr Nakauchi souhaite procéder lentement et ne compte pas faire croître des embryons hybrideshybrides à terme pour l'instant. Il va d'abord se concentrer sur l'accroissement d'organes au sein de souris jusqu'à 14,5 jours (quasiment à terme pour une souris) et 15,5 jours pour le rat. Si c'est une réussite, il demandera l'autorisation au gouvernement japonais de poursuivre ses essais sur des cochons pendant 70 jours. Cependant, des essais plus petits et donc non poussés jusqu'à leurs termes ont déjà échoué sur des moutons, ce qui pose question quant à la pertinence des expériences futures.
Des embryons humains-animaux : un questionnement éthique
Qui dit expérience inédite et délicate dit problèmes éthiques. En effet, les chercheurs en bioéthiquebioéthique suivent le sujet de très près et ont déjà soulevé nombre de points à ne pas omettre tels que prendre garde à ce que le développement d'un organe cible ne se transforme pas en une altération totale du fonctionnement de l'organisme de l'animal. De plus, certaines espècesespèces d'animaux sont si éloignées de nous que cela n'aurait aucun sens de leur injecter des cellules pluripotentes : elles seraient éliminées aussitôt à cause de la distance génétiquegénétique qui nous sépare de ces espèces.
À cela, le Dr Nakauchi répond que lui et son équipe sont capables de cibler la création d'un seul organe grâce à de la manipulation génétique. Concernant l'autre mise en garde, il avance que le gouvernement japonais lui fait confiance pour s'attaquer aux problèmes.
Néanmoins, cela peut, une fois de plus, nous faire réfléchir sur les rapports que nous entretenons avec les animaux ainsi qu'à leur évolution. Sans faire l'apologie du véganisme, on peut se poser la question des conséquences de nos actes, lorsqu'on se sert d'êtres sensibles - avec une probabilité non nulle qu'il soit doté d'une certaine forme de conscience - comme d'objets. Que ce soit pour nous nourrir sans les respecter à leur juste valeur, pour des expériences scientifiques parfois farfelues ou bien ici en tant que potentielles futures machines à fabriquer des organes.