La médaille d’or du CNRS, la plus prestigieuse récompense scientifique française, distingue cette année le biologiste cellulaire Eric Karsenti, directeur de recherche émérite au CNRS. Sa carrière a été marquée par des découvertes majeures sur la régulation du cycle cellulaire, et par l’expédition Tara Océans, de 2009 à 2013, dont il a eu l’initiative et qui a livré cette année ses premiers résultats.

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    La médaille d’or du CNRS, la plus haute distinction scientifique française, est décernée cette année au biologiste cellulaire Eric Karsenti, à l’origine de plusieurs découvertes majeures sur la régulation du cycle cellulaire et pionnier des approches interdisciplinaires. © Catherine Moerman

    La médaille d’or du CNRS, la plus haute distinction scientifique française, est décernée cette année au biologiste cellulaire Eric Karsenti, à l’origine de plusieurs découvertes majeures sur la régulation du cycle cellulaire et pionnier des approches interdisciplinaires. © Catherine Moerman

    Né le 10 septembre 1948 à Paris, Eric Karsenti commence sa carrière de chercheur au laboratoire d'immunocytochimie de l'Institut Pasteur où il soutient sa thèse d'État en 1979. Recruté en 1976 par le CNRS, il sera ensuite détaché en postdoctorat à l'université de Californie, à San Francisco, de 1981 à 1984. À son retour des États-Unis, il dirige une équipe au département de biologie cellulaire au laboratoire européen de Biologie moléculaire (EMBL) à Heidelberg (Allemagne). Une équipe très rapidement identifiée comme l'une des plus influentes dans le domaine du cycle cellulaire, en pleine explosion à cette époque.

    En 1988, Eric Karsenti initie la première conférence Jacques MonodJacques Monod sur le cycle cellulaire à Roscoff, aujourd'hui devenue le rendez-vous incontournable dans ce domaine. En 1996, soucieux de développer l'interdisciplinarité, il crée le département de biologie cellulaire et de biophysique de l'EMBL, l'un des premiers centres au monde associant biologistes et physiciensphysiciens.

    Entre 2001 et 2003, Eric Karsenti dirige l'Institut Jacques Monod, à Paris, avec la même ambition. En parallèle, il occupe la fonction de conseiller auprès d'Élisabeth Giacobino, directrice de la recherche au ministère de la Recherche, tout en poursuivant son activité à l'EMBL. C'est au cours de cette parenthèse parisienne qu'il imagine l'expédition scientifique autour du monde dont il rêve depuis la lecture du livre de DarwinDarwin relatant le voyage du Beagle. Le projet s'est concrétisé en 2009 avec l'expédition Tara Océans. Aujourd'hui directeur de recherche émérite au CNRS, Eric Karsenti est affecté à l'institut de Biologie de l'École normale supérieure (CNRS, ENS, Inserm), tout en conservant ses fonctions de directeur de Tara Océans et de visiteur à l'EMBL.

    Eric Karsenti a démontré comment l'enzyme appelée kinase cdc2 est responsable de la division cellulaire. © Paul J. Smith, Rachel Errington, Wellcome Images, Flickr, CC by-nc-nd 2.0

    Eric Karsenti a démontré comment l'enzyme appelée kinase cdc2 est responsable de la division cellulaire. © Paul J. Smith, Rachel Errington, Wellcome Images, Flickr, CC by-nc-nd 2.0

    De grandes découvertes sur la division cellulaire

    Figure de référence dans le domaine de la biologie cellulaire, Eric Karsenti a effectué, avec son équipe à l'EMBL, des découvertes majeures sur la régulation du cycle cellulaire, c'est-à-dire les mécanismes permettant aux cellules de se diviser et de transmettre à chaque cellule fille exactement le même contenu en chromosomes. Il s'est en particulier intéressé à l'horloge qui rythme les divisions de l'embryon et régule la dynamique du cytosquelettecytosquelette lors de la mitosemitose, l'étape de division de la cellule.

    Surtout, Eric Karsenti et son groupe ont démontré comment une enzymeenzyme (la kinasekinase cdc2) déclenche la division cellulaire. L'une de leurs découvertes les plus novatrices porteporte sur le rôle essentiel des chromosomes dans l'assemblage du fuseaufuseau de division lors de ce processus. Au cours de la mitose, la kinase cdc2 déstabilise les microtubules, des tubes creux de 25 nanomètresnanomètres de diamètre. Les chromosomes créent alors un gradientgradient de régulateurs qui stimule la formation et la stabilité de ces microtubules. Ceux-ci s'auto-organisent ensuite en un fuseau autour des chromosomes et deviennent la « machine » qui les distribue aux deux cellules filles lors de la division. Selon Eric Karsenti, il s'agit d'un exemple d'auto-organisation cellulaire, un principe que l'on retrouve dans la totalité des mécanismes de morphogénèse cellulaire et embryonnaire. C'est la première fois que l'on comprit comment des fonctions complexes émergentémergent du comportement collectif des composants cellulaires.

    Par ailleurs, en étroite collaboration avec des physiciens, Eric Karsenti a construit une plateforme pour modéliser l'organisation cellulaire à un niveau très fin. Il a été un pionnier des approches interdisciplinaires en biologie cellulaire, en alliant mesures de forces et modélisationmodélisation mathématique à la biologie de synthèse et à l'imagerie de pointe. Ses travaux ont donné lieu à plus de 200 articles scientifiques.

    Entre 2009 et 2013, l’expédition Tara Océans a collecté 35.000 échantillons de plancton au cours d’un périple de 140.000 km. Ils constituent la plus grande base de données jamais rassemblée de manière quasi simultanée. © G. Bounaud, C. Sardet, Soixanteseize, <em>Tara Expeditions</em>

    Entre 2009 et 2013, l’expédition Tara Océans a collecté 35.000 échantillons de plancton au cours d’un périple de 140.000 km. Ils constituent la plus grande base de données jamais rassemblée de manière quasi simultanée. © G. Bounaud, C. Sardet, Soixanteseize, Tara Expeditions

    Un aventurier à l’origine de l'expédition Tara Océans

    Féru de voile et aventurier dans l'âme, Eric Karsenti a toujours été passionné par la mer. C'est pour mieux saisir le rôle clé de la vie microscopique des océans qu'il s'est lancé dans une nouvelle aventure : Tara Océans. Afin de réussir ce pari, il s'est entouré d'une équipe internationale interdisciplinaire de haut niveau : il dirige ainsi près de 140 experts en génomiquegénomique, imagerie quantitative, biologie, biogéochimie, biogéographiebiogéographie, océanographie, biophysique, génétiquegénétique, écologieécologie ou bio-informatique... issus de 23 laboratoires internationaux.

    De 2009 à 2013, l'expédition Tara Océans a collecté 35.000 échantillons de plancton, récupérés sur plus de 210 sites représentatifs des différentes mers du globe, au cours d'un périple de 140.000 km. Séchés et conservés au froid, ils constituent la plus grande base de donnéesbase de données jamais rassemblée de manière quasi simultanée. La modélisation des écosystèmesécosystèmes marins peut désormais passer à une nouvelle ère, fondée sur la complexité du réel plutôt que de se contenter de modèles rudimentaires.

    Les premiers articles, dévoilés dans la revue Science en mai 2015, ne sont qu'un début, soulignant la féconditéfécondité de cette mission. Responsable de l'« imagerie quantitative » pour Tara Océans au sein du consortium Océanomics, Eric Karsenti tente aujourd'hui d'associer l'imagerie à haut débitdébit des organismes aux données génomiques, avec ses collègues des laboratoires de Roscoff et de l'EMBL.

    Eric Karsenti, déjà lauréat de la médaille d'argentargent du CNRS, est aussi membre de l'Académie des Sciences depuis 1999 et Chevalier de la Légion d'honneur. La médaille d'or lui sera remise le 14 décembre prochain lors d'une cérémonie à la Sorbonne, à Paris.