Le feu tue les plantes qui composent les écosystèmes et les animaux qui y vivent, les incendies sont donc systématiquement des catastrophes, n’est-ce pas ? Pas vraiment. Certains écosystèmes sont particulièrement adaptés aux passages du feu, mais saviez-vous qu’il est parfois bénéfique de faire flamber des broussailles, même dans une réserve naturelle ?
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Le feufeu n'est pas toujours l’ennemi de la végétation. Il faut tout d'abord rappeler que les plantes ont colonisé la terre ferme depuis au moins 450 millions d'années, et que les champignons (fungi) pourraient avoir fait de même plusieurs centaines de millions d'années avant elles. Ces espèces ont donc eu bien assez de temps pour s'accoutumer à un élément qui a sans doute fait partie des perturbations naturelles de nombreux écosystèmes terrestres depuis toujours. Elles ont pu développer des formes qui y sont particulièrement bien adaptées, en particulier dans les habitats les plus susceptibles de s'embraser comme la lande, le maquis ou la garrigue.
Une fois le feu maîtrisé par l'être humain, il est devenu un outil redoutable et a permis d'ouvrir des milieux auparavant boisés, afin d'y développer des plantations, ou d'y faire paître des troupeaux. À présent, même si les engins de débroussaillement sont largement utilisés, la technique reste pratiquée, notamment par des professionnels dans des réserves naturelles protégées !
Les bénéfices du passage du feu
Dans la Réserve naturelle nationale du Pinail, dans la Vienne, le "brûlage dirigé" fait partie intégrante des méthodes de gestion utilisées par l'équipe de la réserve. Le site est géré par l'association de Gestion de la Réserve du Pinail (GEREPI), dont le responsable scientifique, Yann Sellier, a accordé un entretien à Futura. Le naturaliste étudie le patrimoine naturel et notamment les espèces menacées d'un territoire de 142 hectares. Celui-ci comporte une riche combinaison d'habitats et son écosystème principal est une lande à bruyères, parsemée de quelques 6000 mares !
Les landes de la réserve sont composées de bruyères et d'ajoncs qui poussent sur un sol appauvri par la surexploitation historique d'une forêt préexistante. "Ce milieu particulièrement pauvre, on dit qu'il est "oligotropheoligotrophe", abrite aujourd'hui des espèces rares et une biodiversitébiodiversité exceptionnelle", explique Yann Sellier. "On y trouve beaucoup d'espèces de pyrophytespyrophytes adaptées au feu, comme l'ajonc nain (Ulex minor). D'autres espèces comme le champignon Daldinia caldariorum en dépendent pour compléter leur cycle de vie, on dit alors qu'elles sont pyrophiles." C'est pour éviter que le milieu ne se ferme naturellement, c'est-à-dire que les arbresarbres n'occupent trop de surface, et pour préserver ces écosystèmes que la réserve a opté pour une gestion par brûlis dirigé.
Ce choix peut étonner, mais les suivis naturalistes sur le site ont montré que "le brûlis est plus favorable à la biodiversité que d'autres modes de gestion", selon le responsable scientifique. Il est particulièrement adapté car il appauvrit le milieu sur le long terme. "En vaporisant la matièrematière organique, le feu empêche la plupart des nutrimentsnutriments de rejoindre le sol, ce que de nombreuses plantes apprécient ! Les cinq espèces de plantes carnivorescarnivores de la réserve ne se rencontreraient pas ici si le sol était riche en azoteazote." Cette mise à nu de la terreterre a aussi pour effet de permettre l'épanouissement d'espèces pionnièresespèces pionnières et de réveiller les graines dormantes enfouies dans le sol, assurant ainsi le renouvellement de la végétation et le maintien d'une forte biodiversité sur le site.
La maîtrise des risques
La mise à feu de la lande n'est évidemment pas réalisée à la légère. "Le brûlis est effectué par secteurs, auparavant délimités par des zones dégagées servant de pare-feux", explique Yann Sellier. Le feu est d'abord lancé à contre-ventvent, afin qu'il progresse lentement, et l'opération est strictement encadrée par les pompiers du Service Départemental d'Incendie et de Secours. Une fois que ce premier foyer a suffisamment élargi la zone pare-feupare-feu, une seconde phase d'embrasement est lancée sous le vent, dont les flammes plus rapides s'éteignent d'elles-mêmes lorsqu'elles atteignent la zone déjà brûlée. Chaque année, environ 10 hectares de lande sont ainsi renouvelés.
Immanquablement, le brûlis, comme tout mode de gestion, a un impact sur la faune. Celui-ci est réduit le plus possible par l'effarouchement des animaux, et la lente progression du feu, ce qui permet à beaucoup de fuir ou de s'abriter dans un terrier ou une mare. "Les travaux de débroussaillement se tiennent lorsque ces espèces ont achevé leur cycle de reproduction, généralement en automneautomne. Beaucoup d'animaux, notamment des insectesinsectes, meurent naturellement en hiverhiver", indique le naturaliste scientifique. "Quant aux mares, elles ne sont quasiment pas impactées, et la variation de température du sol atteint au maximum +17°C à 1 centimètre de la surface, elle n'est en moyenne que d'environ 5°C."
Les brûlis sont réalisés une à deux fois par an, et une même zone n'est brûlée que tous les 6 à 8 ans, afin de laisser le développement naturel de l’écosystème opérer. "Avec les enjeux actuels liés à la question des émissionsémissions de CO2CO2 et aux sécheressessécheresses à répétition, la réserve envisage de réduire la surface brûlée, tout en assurant le maintien des espèces rares qui ont besoin d'un terrain marqué par le feu."