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Le chercheur ou l’enseignant-chercheur est souvent enfermé dans la tour d’ivoire de sa spécialité. Sa passion de mettre à l’épreuve une hypothèse compliquée par des expérimentations longues et complexes, son plaisir de transmettre des connaissances souvent pointues à des étudiants en cours de spécialisation de plus en plus poussée, l’éloignent considérablement du grand public. Au cours d’une carrière longue de 50 ans, j’ai pu mesurer combien la pression de l’administration de la recherche et la charge de travail augmentent. Ceci n’est pas fait pour aller vers le grand public car cette activité est peu reconnue par ses pairs. Aussi quand un site comme Futura-Sciences donne l’occasion de transmettre son savoir en le rendant accessible et pourquoi pas attractif, il faut répondre favorablement.
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Biographie
Ce sont les vicissitudes de l'après-guerre qui ont joué un rôle important dans mon orientation professionnelle. L'adolescent plutôt malingre que j'étais avait besoin de prendre un peu de poids en cette période où les tickets de rationnement venaient juste d'être supprimés. Au cours des années noires de la guerre mon père avait dû se faire oublier sur les premiers contrefortscontreforts du Quercy. De solidessolides paysans avec lesquels ma famille était très vaguement apparentée l'avaient fortement aidé. Ces mêmes braves gens s'offrirent à me « remplumer » pendant les vacances d'été. En contrepartie je devais assurer le gardiennage des ovins de l'exploitation. C'est au cours de ces longues heures à suivre mes brebis à travers la lande calcairecalcaire à buisbuis que j'ai appris à aimer la nature. Les insectesinsectes étaient nombreux et faciles à observer. Par désoeuvrement il m'arrivait même de soulever les grosses pierres plates qui abondent dans ce biotopebiotope. Souvent je mettais au jour une colonie de fourmisfourmis et bien sûr je taquinais les ouvrières comme le font tous les enfants. J'étais loin de me douter que soixante ans plus tard il m'arriverait encore de hanter les mêmes lieux à la recherche de ces mêmes fourmis.
En 1958, j'optais pour la Faculté des Sciences de Toulouse attiré par les enseignements les plus naturalistes qui soient, en particulier la zoologie et l'entomologieentomologie. Ma licence de Sciences Naturelles en poche, j'appris l'existence d'un laboratoire d'Entomologie où l'on étudiait la biologie des fourmis. Je n'avais pas oublié les Causses du Quercy, leurs pierres plates et leurs fourmis. Le hasard faisait bien les choses et j'entamais en 1961 une thèse de 3ème Cycle soutenue en 1963. Le sujet en était l'étude de la biologie de la reproduction d'une minuscule fourmi méridionale, Plagiolepis pygmaea. Je tâtonnais beaucoup pour trouver une thématique car dans les années soixante -- au moins dans mon laboratoire toulousain -- l'apprenti chercheur était livré à lui-même. Aucun tuteur pour vous enseigner les rudiments du métier. Je ne vis mon directeur de thèse que quelques jours avant la soutenance et sa seule remarque porta sur une affaire de syntaxe !
Si l'encadrement était déficient et donc le travail de thèse minimaliste, l'époque était sans commune mesure avec la notre en ce qui concerne la recherche d'un poste. Avant même de finir ma thèse de 3ème Cycle, on m'avait proposé un poste d'Assistant. Sans aucun concours, sans aucun entretien, sans le moindre effort, j'étais fonctionnaire le premier octobre 1962 ! J'étais devenu d'emblée enseignant-chercheur. La thèse de 3ème Cycle soutenue, je démarrais aussitôt une thèse de Doctorat d'État. L'encadrement restant le même, c'est-à-dire inexistant, c'était à moi de trouver un sujet. Le plus facile était de continuer sur ma lancée car mon Plagiolepis délivrait quelques petits secrets stimulants.
Le système nous demandait alors d'encadrer deux séances de Travaux Pratiques par semaine. Nous avions donc du temps à consacrer à la recherche. Les plus passionnés d'entre nous ne comptaient pas leurs heures, mais la vérité oblige à dire que d'autres, ne ressentant aucune pressionpression n'y mettaient pas le même zèle. C'est sans doute ce qui a conduit les responsables de la recherche à charger puis surcharger la barque de l'enseignement réduisant d'autant le temps consacré à la recherche...donnant ainsi des arguments à ceux qui n'avaient que très peu envie de chercher pour ne plus rien faire, leurs heures d'enseignement effectuées.
Ma thèse d'État soutenue en 1969 ouvrait des pistes intéressantes concernant les phéromonesphéromones royales et les facteurs sociaux qui orientent les larveslarves femelles vers la fonction royale. Ce thème était porteur surtout quand on pouvait le raccorder à celui de l'écologieécologie comportementale. Une autre fourmi méridionale, Pheidole pallidula, avec ses soldats, permettait d'explorer d'autres contraintes agissant sur la formation des sous-castescastes des fourmis.
Devenu Maître-Assistant en 1969, j'ai pu former un petit noyau de doctorants ou de post-doctorants avec lesquels j'ai essayé de comprendre les variations du rapport des sexes (le sexe-ratio) chez Pheidole pallidula mais aussi chez une fourmi envahissante, la fourmi d'Argentine. Ces recherches permettaient d'évaluer le poids respectif des reines et des ouvrières dans la lutte feutrée qui les oppose quant au contrôle du sexe de la descendance. Grâce à la qualité et à l'enthousiasme des post-doctorants, cette période a été la plus féconde de ma vie de chercheur. Je leur dois beaucoup.
En parallèle je consacrais aussi beaucoup de temps aux activités d'enseignement. J'ai eu l'opportunité de monter une « unité de valeur » consacrée à l'étude des sociétés animales où je pouvais mêler l'étude des théories expliquant l'émergenceémergence de la socialité chez les animaux à celle des comportements sociaux.
Mon besoin existentiel d'expérimenter - très gourmand en heures de paillasse - ne m'a pas poussé à prendre beaucoup de responsabilités administratives pour lesquelles j'ai sans doute peu de dispositions. C'est en partie ce qui explique que j'ai été nommé tardivement Professeur : en 1988 j'avais déjà presque 50 ans. C'est aussi l'époque où j'ai eu envie d'aller voir ce qui ce faisait ailleurs. Dans les années soixante, il était exceptionnel de changer de laboratoire. C'est pourtant indispensable pour aborder de nouvelles écoles de pensée, de nouvelles thématiques, pour apprendre de nouvelles techniques. Les contraintes universitaires et familiales ne m'ont permis d'accomplir ce rêve qu'en 1999. Ils doivent être bien rares les universitaires français à effectuer leur post-doc, baptisé pour la circonstance « congé pour conversion thématique » à 60 ans ! J'ai eu le plaisir de travailler aux U.S.A, en Belgique et en Suisse, chez mes anciens post-doc devenus des leaders dans leur discipline. J'ai pu alors, trop tardivement sans doute, utiliser les techniques de la génétiquegénétique moléculaire, pour mieux comprendre la complexité de la sexualité des fourmis.
À l'age de la retraite, en 2001, j'ai jugé qu'il était temps de faire bénéficier mes jeunes collègues et le grand public -- de 7 ans à 77 ans -- de mon enthousiasme pour la vie étonnante des fourmis. Rendre accessible mes connaissances à ceux qui par leurs impôts m'avaient permis d'assouvir la passion de chercher m'a semblé être une manière de les remercier. À cette motivation est venue s'ajouter celle de retrouver le plaisir d'écrire dans ma langue natale. Si dans les années soixante, on publiait ses résultats en français, l'anglais était devenu obligatoire 20 ans plus tard. J'ai beaucoup souffert de cette contrainte à laquelle je n'étais pas préparé. Manier la langue de Molière aura été le dernier plaisir de ma vie professionnelle.
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