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La consommation de viande de brousse est un véritable fléau pour les bonobosbonobos. Une fois les adultes tués pour leur viande, Lola Ya Bonobo recueille les orphelins rescapés, trop chétifs pour être mangés. Claudine André nous raconte.
Claudine André :
En République démocratique du Congo, les trafiquants de viande de brousse n'y vont pas par quatre chemins. Ils traquent des groupes entiers de bonobos, qu'ils massacrent pour les boucaner et les vendre sur les marchés. Trop petits pour être mangés, les bébés échappent à la mort. Ils finissent vendus comme animaux de compagnie pour quelques dizaines de dollars. Mais là encore, le danger demeure ; leur fragilité et le sevragesevrage brutal de l'allaitement maternel peuvent leur être fatals. S'ils survivent, c'est « par horoscope » comme on dit au Congo, quand la chance est du bon côté.
Les sanctuaires sont le dernier maillon de la chaîne qui récupère ces orphelins « chanceux », issus du commerce et du trafic de viande de brousse. La nursery marque la première étape de la vie d'un orphelin chez nous, l'endroit où il va retrouver l'envie de vivre grâce à l'affection et la tendresse que les mamans humaines de substitution lui donnent. Les petits arrivent à Lola Ya Bonobo amaigris, déshydratés, ils restent accrochés à la mort. Les traumatismes subis sont terribles : séparationséparation brutale de la mère, du groupe, du biotopebiotope, les massacres dont ils ont été témoin, le stress d'un interminable voyage, les coups ou mutilations dont ils ont été victimes. Tous nos orphelins sont victimes de l'insouciance et de la cruauté humaine, et certains ne s'en sortent pas. Ce fut le sort de la petite Waola. Elle est arrivée à Lola Ya Bonobo un jour de Noël, cruellement mutilée et en état de détresse extrême. Malgré tous les efforts du personnel soignant, la petite n'a pas survécu à ses blessures.
Le malheur est que le « succès » des sanctuaires en dit long sur l'importance du trafic de viande de brousse. Beaucoup d'entre nous sont déjà presque à saturation d'effectifs. Un état de fait illustrateur d'une bien triste vérité. L'ampleur réelle du trafic de viande de brousse demeure très difficile à cerner. Si les responsables de l'environnement possèdent peu d'indices précis sur l'évolution du marché, on l'estime à plusieurs millions de tonnes par an consommées annuellement pour le seul bassin du Congo. La viande boucanée, en morceaux, est peu identifiable. Détail atroce : afin d'éviter que leur cadavre ne ressemble trop à celui d'un enfant, les trafiquants laissent de petits singes entiers, avec leur fourrure.
La croissance démographique, l'urbanisation combinée à la prolifération d'armes, elle-même favorisée par les différents conflits, ont accentué le massacre des animaux sauvages. Un trafic souvent commandité par des autorités civiles ou militaires qui fournissent les cartouches. On fait face à un véritable business. La consommation jadis locale et traditionnelle a laissé place à une économie à grande échelle, mettant en péril la survie de nombre d'espècesespèces vivant au Congo. Avant d'avoir conscience d'un tel drame, je comprenais ce problème de tradition. Chasser en Afrique n'a rien de péjoratif, chasser les espèces sauvages est une tradition ancestrale. C'est la légitimité du peuple de la forêt. Elle est dictée par la nécessité de nourrir sa famille. C'est aussi respecter la sagesse des anciens. La chasse est certes naturelle, mais de traditionnelle, on est passé à une chasse quasi industrielle.
Un trafic qui prospère malgré la lutte antibraconnage
Si le cadre légal existe - renforcement de la lutte antibraconnage, contrôle intérieur du commerce de la viande de brousse, protection des espèces menacées - force est de constater que son respect est limité, corruption oblige. Malgré les saisies multiples et les progrès d'information et de sensibilisation, le trafic se poursuit et touche aussi bien les grands singes que d'autres espèces animales, telles que les antilopesantilopes, les gazelles ou les éléphants. Les braconniers disposent d'armes automatiques modernes que les guerres incessantes ont multipliées. Le désarmement des militaires étant périlleux, on constate une recrudescence du trafic en période d'après conflit. À Lola Ya Bonobo, entre 1996-1997 et 1999-2000, nous avons enregistré des pics d'arrivées massives de petits orphelins, après le massacre de leur tribu chassée pour la viande de brousse. Le trafic de viande de brousse est un problème très délicat et complexe à gérer. Cette surexploitation représente un danger considérable pour les espèces animales et constitue, par ailleurs, une menace directe pour le biotope et la population locale.
Pourtant, la charte de la Cites (loi qui gère le commerce international sur les espèces de faunefaune et de flore sauvages en danger), dite convention de Washington, a été ratifiée dans les années 1980 par le Zaïre, un des États pilotes dans ce domaine. Comme son cousin le chimpanzéchimpanzé, le léopardléopard, l'okapiokapi, le gorille, le rhinocérosrhinocéros et quelques autres, le bonobo est rangé dans l'annexe I, la plus contraignante. Le problème est de faire respecter ce texte. Certains détracteurs n'hésitent pas à mettre toujours en avant le respect des traditions et des chasses en forêt. Il faut convaincre que, traditions ou pas, la Cites fait loi. À charge pour les douanes européennes de faire preuve de plus de vigilance et de renforcer les surveillances de sites.
Chez nous, la forêt primaire marécageuse, largement impénétrable à cause de ses inondationsinondations, a entraîné une plus faible présence des compagnies forestières, et donc moins de circulations incontrôlables. Nous ne connaissons pas en RDC ces trains de camions grumiers qui se suivent par dizaines, comme on en voit dans d'autres régions d'Afrique équatoriale (Gabon, Cameroun). Et puis, grâce aux charges terribles des conservationnistes, Karl Ammann en tête, les forestiers commencent à comprendre qu'il leur faut rapidement corriger l'image désastreuse qu'ils se sont, par leurs excès, forgée auprès de l'opinion publique. D'où une nouvelle approche qui les pousse désormais à mieux respecter l'environnement, et même à demander aux grandes ONG de la conservation des moyens pour équiper des patrouilles antibraconnage.
Mais comment empêcher ce trafic par la seule voie réglementaire, sans aider concrètement des populations qui n'ont pas d'autres recours pour survivre ?
La viande brousse, ressource alimentaire d’une population pauvre
Légaliste, je n'en demeure pas moins humaniste et réaliste. La pauvreté est partout et l'inactivité touche près de 90 % de la population. C'est encore presque l'âge de bronze au milieu de la forêt. Alors, comment les laisser mourir de faim et leur dire de regarder les animaux courir ? Des animaux qui sont leur seule source de protéinesprotéines ? Il n'y a pas un Congolais qui pense que la forêt se vide, même si certains villages commencent difficilement à admettre de voir moins d'animaux qu'avant.
En dépit de la lutte que mènent les conservateurs sur le terrain, avec ou sans l'appui des grandes institutions internationales, les programmes de conservation in situ enregistrent donc de bien maigres résultats. Il est vrai que l'Afrique, avec ses conflits, sa pauvreté, sa mauvaise gouvernance, leur donne du fil à retordre. Des ONG internationales se préoccupent de fournir une alternative aux populations qui, dans les biotopes des grands singes, vivaient de la chasse interdite et du trafic de la viande de brousse.
Malheureusement, ces tentatives ne sont pas toujours couronnées de succès. Ainsi, certaines populations perpétuent le braconnage malgré les subventions apportées. En Afrique, il faut manier la carottecarotte et le bâton, à la fois rééduquer et sensibiliser mais aussi appliquer la loi. Les textes sont là ; une loi sur la biodiversité et un code forestier existent. Il faut la peur du gendarmegendarme, la crainte de la sanction. Quand celle-ci dépassera le profit, on aura fait un pas en avant. Malheureusement, ceux qui n'ont pas peur de la loi font souvent n'importe quoi. On se doit aussi de parler de santé publique. Avec la consommation de viande de brousse, le risque sanitaire est omniprésent ; lors de l'épidémieépidémie d'ÉbolaÉbola au Congo voisin, des tonnes de viande de brousse ont été jetées par-dessus bord des bateaux qui descendaient le fleuve Congo. Et c'est en manipulant des cadavres de primatesprimates infectés que des individus ont contracté le virus mortel. La peur fait écho et les acheteurs sont nettement moins nombreux.
Ultime objectif de Lola Ya Bonobo : un retour à la vie sauvage
À Pasa, lors de nos réunions, de nombreuses discussions portent sur l'avenir des sanctuaires à plus long terme, et en particulier sur les délicats problèmes de la réintroduction en pleine nature. Remettre les animaux dans leur milieu naturel semble une étape inévitable, ou alors il faudra accepter l'euthanasieeuthanasie des orphelins des derniers grands singes ! Voilà pourquoi, depuis plus de quatre ans, notre association « ABC », les Amis des bonobos du Congo, prépare cette phase cruciale du retour en forêt, en étroite collaboration avec la population locale et les autorités compétentes. Le site choisi pour ce relâcher se situe dans la province d'ÉquateurÉquateur, près de la ville de Basankusu, une réserve intégrale de 20.000 hectares de forêts marécageuses.
La réintroduction d'un premier groupe d'une vingtaine de bonobos, socialement organisés et réhabilités à Lola, représente une chance inestimable pour le maintien de la biodiversitébiodiversité et pour la sauvegardesauvegarde de l'espèce. C'est le peuple Pôo qui s'est engagé à devenir le gardien des bonobos et à surveiller « Ekolo ya bonobo », la première réserve au monde de réadaptation des bonobos à la vie sauvage.
Espèce endémiqueendémique de la RDC, les bonobos étaient cinq fois plus nombreux il y a à peine 30 ans. Nous nous battons contre le temps. Les bonobos sont une richesse non seulement pour le Congo mais pour la planète entière.