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« EspèceEspèce en voie d'extinction » ou « espèce en danger », sont des expressions que l'on associe à de nombreux animaux, mais le guépard ne vient pas forcément à l'esprit. Et pourtant, on en dénombre à l'heure actuelle à peine plus de 12.000 dans le monde. Une situation urgente dont nous fait part Laurie Marker.
Laurie Marker :
Les images du guépard courant à travers la savane africaine et inspirant la vitesse et l'agilité nous sont si familières dans les documentaires télévisés sur la vie sauvage qu'il semble bien difficile de croire que cet animal magnifique est littéralement en train de courir pour sa survie. L'animal terrestre le plus rapide est aussi le félin africain le plus en danger : en 1900, il y avait 100.000 guépards vivant à travers l'Asie et l'Afrique. Un siècle plus tard, il en reste moins de 12.000 répartis dans 26 pays africains et environ une centaine en Iran, les derniers de la population asiatique. Aujourd'hui, les populations viables se trouvent dans moins de la moitié des pays où les guépards existent toujours. Toutes les populations sont inscrites sur l'annexe I de la Cites comme espèces menacées d’extinction dont le commerce international est interdit, et toutes sont répertoriées sur la liste rouge de l'UICNUICN comme espèces « vulnérables » ou « en danger d'extinction ».
La structure génétique du guépard a reçu une attention considérable au cours des dernières années. Au début des années 1980, j'ai commencé à travailler avec des scientifiques à l'United States National CancerCancer Institute et à la Smithsonian Institution. L'analyse comparative des éjaculats de guépard a révélé que le spermesperme était similaire pour un dixième à celui observé chez les chats domestiques et qu'il présentait un taux particulièrement élevé (71 %) d'anomaliesanomalies. Ces anomalies congénitales sont le résultat de croisements entre parents génétiquement proches.
Une espèce vulnérable au patrimoine génétique pauvre
Cela nous a alertés sur le fait qu'il y avait quelque chose de très inhabituel chez les guépards en tant qu'espèce. L'analyse génétique moléculaire d'échantillons de sang a révélé que le guépard semblait être unique parmi les félidésfélidés et les autres mammifèresmammifères, ayant un monomorphisme extrême. Une hypothèse a alors été formulée, selon laquelle le guépard semble avoir subi une baisse sévère de sa population il y a environ 10.000 ans, suivie par une période prolongée de consanguinitéconsanguinité et plusieurs goulots d'étranglementgoulots d'étranglement génétiquegénétique (« genetic bottleneck ») régionaux depuis, réduisant la variété d'allèlesallèles dans son patrimoine héréditaire. La population de guépards actuelle ressemble pour beaucoup à celles des souris de laboratoiresouris de laboratoire d'une vingtaine de générations de consanguinité. Cette uniformité génétique a généré des problèmes de reproduction, de mortalité infantile (en hausse de 30 % en captivité) et de sensibilité aux maladies infectieuses.
Les populations actuelles de guépards sont les descendants d'animaux qui sont restés après l'ère pléistocène il y a environ 10.000 ans. Le guépard a d'une façon ou d'une autre survécu à cette extinction massive et la population a augmenté par consanguinité du fait de leur répartition géographique limitée, en Afrique et dans certaines parties de l'Asie.
Les études menées sur les deux sous-espècessous-espèces de guépards montrent largement que le guépard d'Afrique orientale (Acinonyx jubatusAcinonyx jubatus raineyi) et le guépard africain du Sud (Acinonyx jubatus jubatus) sont 10 à 100 fois moins séparés génétiquement que les groupes raciaux humains. Cette découverte met en doute la validité des classifications en sous-espèces existantes et pourrait être significative dans la gestion des populations de guépards, comme l'hybridationhybridation qui pourrait aider à améliorer la santé de ces populations distinctes. La vulnérabilité de cette espèce, en raison de sa variabilité génétique anormalement basse, a alerté la communauté scientifique impliquée dans la conservation d'autres petites populations elles aussi vulnérables et a changé la façon de voir des biologistes et des managers quant à la préservation d'espèces en voie de disparition. Bien que l'avenir du guépard semble préoccupant, l'histoire de ce dernier est celle d'un survivant : il s'est remis de plusieurs chutes démographiques et a réussi à reconstituer sa population à chaque fois.
Les problèmes pour faire face à la survie du guépard sont maintenant plus alarmants que jamais, d'autant plus que les problèmes environnementaux mondiaux augmentent. La baisse rapide du nombre de guépards au cours du siècle dernier est due à la perte et à la fragmentation de son habitat, à la baisse du nombre de proies naturelles et au conflit avec les éleveurs de bétail. Comme les populations humaines s'accroissent, la quantité de terre consacrée à l'élevage du bétail augmente. Le bétail remplit l'espace où les guépards errent et les proies naturelles se raréfient. Cela a abouti à un patrimoine héréditaire plus petit et moins diversifié, et cette homogénéité génétique pourrait rendre l'espèce plus sensible aux changements écologiques et environnementaux. Avec une conservation appropriée et des stratégies de gestion, où les habitats sont protégés et les populations de guépard acceptables, l'espèce peut cependant survivre à l'avenir.
La survie du guépard dépend de l’Homme
Aujourd'hui, la survie du guépard est entre les mains de l'Homme. Une menace majeure à la survie du guépard est aussi due à ses difficultés d'adaptation dans les secteurs protégés et les réserves naturelles, contrairement aux autres prédateurs. Bien que les réserves naturelles aient contribué à leur protection, moins de 10 % des guépards restants se trouvent à l'intérieur de celles-ci. La raison est en partie due à la concurrence avec de plus grands prédateurs, comme les lionslions et les hyènes, à la morphologiemorphologie bien différente. Le guépard, par rapport aux 37 autres espèces de félidés, a développé de nombreuses adaptations morphologiques et physiologiques pour devenir le mammifère quadrupède terrestre le plus rapide sur distances courtes (300-400 mètres), atteignant une vitesse de 110 km/h. Leur constitution légère et souple destinée à la course constitue un inconvénient par rapport aux autres grands prédateurs. L'effort de la poursuite peut les épuiser, nécessitant ainsi jusqu'à 20 minutes de repos après avoir tué. Cette phase de récupération augmente les risques de vol de leur proie par les lions, léopards et hyènes, contre lesquels ils ne peuvent pas lutter. Les petits guépards sont aussi souvent vulnérables aux prédateurs lors de l'absence maternelle.
Dans le parc national du Serengeti, en Tanzanie, 90 % des petits n'atteignent pas les trois mois. En raison de cette concurrence, la plupart des guépards se trouvent à l'extérieur des secteurs protégés et entrent alors en conflit avec les hommes et leur bétail. En Afrique du Sud, les guépards sont tués régulièrement dans les secteurs fermiers en raison de leurs prédations réelles ou supposées. Le conflit entre le bétail et les carnivorescarnivores a été renforcé par les modifications de l'activité pastorale au cours des dernières décennies. Le bétail domestique, n'étant désormais plus parqué ou gardé, est devenu vulnérable à la prédation. En outre, les gardiens de bétail ont perdu la tradition de coexistence avec les grands prédateurs et la législation moderne de protection des carnivores n'a pas généré d'attitudes coopératives positives par les communautés pastorales. La disponibilité croissante d'armes à feu dans beaucoup de pays africains constitue une menace, d'autant que la peau du guépard a une vraie valeur, tant culturelle que commerciale. La captivité est aussi préoccupante. Les populations captives ont une fréquence élevée de maladies inhabituelles, rares chez d'autres espèces. Bien que l'on ne connaisse pas les causes spécifiques de ces maladies, le stress semble être un facteur sous-jacent important et la prédispositionprédisposition génétique et le régime sous-alimentaire sont des facteurs confondants possibles.
Les populations de guépards sauvages devenant plus fragmentées, leur gestion deviendra à l'avenir de plus en plus nécessaire pour maintenir la diversité génétique et pour prévenir de nouvelles baisses de population dues à la perte d'habitat, aux fluctuations démographiques et aux conflits avec les hommes. Nos études en Namibie ont servi de base au développement de stratégies de conservation effectives pour la survie à long terme du guépard sauvage.
En 1990, j'ai créé la Fondation pour la conservation du guépard (CCF : Cheetah Conservation Fund) et basé celle-ci en Namibie en 1991, au cœur du pays des guépards, pour enrayer le déclin de ces derniers et pour travailler activement avec les fermiers. Née d'un rêve, la CCF a aujourd'hui pour mission d'être un centre internationalement reconnu en matière de recherche et d'éducation sur les guépards et leurs écosystèmesécosystèmes, travaillant avec toutes les parties concernées pour être le plus efficace en matière de conservation et de gestion des guépards dans le monde.
Une devise : « nous pouvons vivre ensemble »
Le nombre de guépards présents au CCF varie d'une semaine à l'autre, en fonction des prises effectuées par les fermiers, qui demandent alors au CCF d'accueillir les prédateurs et de les garder le temps de trouver un nouvel espace pour les réintroduire (plus de 450 guépards ont été avec succès remis en liberté au cours des 15 dernières années). Quelques guépards, cependant, doivent rester de manière permanente en captivité, ayant été recueillis trop tôt : les jeunes orphelins n'ayant pas eu le temps d'apprendre de leurs mères comment chasser et vivre dans la nature.
Plusieurs programmes scientifiques de recherche sont en cours et mènent quotidiennement des études soucieuses du bien-être des guépards. Chaque guépard apporté au CCF reçoit un examen médical complet. Des mensurations et des échantillons tissulaires sont pris pour créer une base de donnéesbase de données relative à la population sauvage. Nous avons ainsi travaillé sur plus de 800 guépards. Une banque de ressources de génome (GRB pour Genome Bank Resource) stocke et étudie le sperme de plus de 160 guépards.
« Nous pouvons vivre ensemble » est la devise du CCF. La majeure partie de notre travail a été de persuader les fermiers de cela : qu'ils peuvent vivre avec des guépards sur leurs terres. En utilisant des programmes de recherche scientifiquement approuvés, nous avons eu d'importants succès. De nos jours, la plupart des fermiers permettent aux guépards d'être réintroduits dans les fermes où ils ont été attrapés, dans la mesure où ils n'avaient pas causé de pertes de bétail. Les fermiers sont de plus en plus tolérants vis-à-vis des guépards sur leurs terres.
Les programmes de préservation des guépards élaborés par le CCF sont utilisés au Kenya, au Botswana, en Afrique du Sud, au Zimbabwe et même en Algérie et en Iran. Ces programmes, avec la coopération et l'assistance de membres de la communauté namibienne, témoignent de la devise du CCF.
Si les populations sauvages continuent de baisser et que les efforts de conservation de l'habitat échouent en Afrique pour ces espèces, le guépard pourrait disparaître dans les deux décennies à venir. La survie du guépard dépend de la gestion des terres cultivées et du système écologique dans sa totalité, aussi bien dans la gestion des populations de proies que dans la stabilité de l'habitat. La fondation travaille avec les communautés agricoles locales pour garantir l'habitat nécessaire à l'espèce, tout en tenant compte des besoins des fermiers.
Les guépards méritent une place sur cette terre. Leur vitesse de pointe en fait des animaux uniques. Les Hommes ont vénéré le guépard pendant presque 5.000 ans, pour une bonne raison. Si on le laissait désormais décliner, il laisserait non seulement un trou énorme dans la nature, mais aussi dans notre psyché, l'esprit humain qui naturellement ressent et sait combien cette créature est unique.