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Éponges carnivores : les espèces dans les abysses
On sait donc maintenant comment fonctionne Asbestopluma hypogea. Mais qu'en est-il des autres représentants de la famille, tous localisés à grande profondeur ?
Les divers genres d’éponges carnivores et leur spicule caractéristique. © DR
Les spicules et les genres
Il y a une dizaine d'années, on en connaissait 90 espècesespèces, réparties dans trois genres, Asbestopluma, Chondrocladia et Cladorhiza, que l'on distingue par leurs spicules microsclères, ceux qui servent à capturer les proies chez A. hypogea. Ce sont des anisochèles palméspalmés chez Asbestopluma, des isochèles unguifères chez Chondrocladia, et des anisochèles unguifères chez Cladorhiza (voir l'image ci-dessus). Ces spicules sont disposés perpendiculairement à la surface de filaments. Cette disposition qui rend adhésive la surface de l'éponge, l'absence de système aquifèreaquifère et leur morphologiemorphologie souvent arbusculaire suggèrent qu'elles ont le même mode de vie que leur consœur cavernicole. Mais encore faut-il le prouver.
Les éponges carnivores des abysses
Un premier indice a été apporté pour le genre Cladorhiza par une éponge vivant dans la fosse des Barbades vers 5.000 mètres, près d'un volcanvolcan de boue émettant du méthane. Cladorhiza methanophila, récoltée à peu près intacte par le Nautile, un sous-marinsous-marin de l'Ifremer, avait plusieurs crustacéscrustacés amphipodes englobés et plus ou moins digérés dans ses filaments. Elle est donc carnivorecarnivore, mais il semble qu'elle joue sur plusieurs tableaux : elle vit en symbiose avec des bactériesbactéries méthanotrophes, phagocytées par ses cellules, et est donc à la fois carnivore et chimiotrophe. Depuis, des proies en cours de digestiondigestion ont été observées chez plusieurs autres Cladorhizidae profondes. L'exemple le plus spectaculaire est une Cladorhiza de grande taille (40 centimètres de haut), décrite par Reiswig et Lee du large de la Californie par 1.442 mètres de fond qui contenait environ 7.000 petits copépodes à divers stades de digestion. C'est un exemple exceptionnel, et la plupart des Cladorhizidae n'ont pas de proie visible, ce qui est normal car on ne mange pas souvent dans les abysses.
Le cas du genre Chondrocladia est particulier. Tout d'abord, on a eu du mal à découvrir que de mystérieux organismes formés de sphères translucidestranslucides situées au bout d'axes rayonnants portés par une tige (appelés familièrement « arbrearbre à boules », « lampadaire » ou encore « pingping-pong beast » par les pilotes de sous-marins d'observation qui les rencontraient assez souvent en zone abyssale), correspondaient aux diverses espèces de Chondrocladia. Après récolte, les sphères sont réduites à de petits renflements, et ce magnifique organisme, qui peut atteindre 1 mètre de haut, est méconnaissable. La correspondance a été établie pour la première fois grâce au sous-marin russe MirMir qui a photographié et récolté un « arbre à boule » dans la fosse des Kouriles à 5.250 mètres.
La récolte d’un « arbre à boule », Chondrocladia koltuni, par le sous-marin russe Mir dans la fosse des Kouriles, par 5.249 mètres de fond, son aspect après récolte, et ses divers spicules. © Vacelet, 2006
Ce n'est pas la seule surprise. Des chercheurs allemands, étudiant des exemplaires bien conservés d'une Chondrocladia ont montré qu'elle était bien carnivore, mais que contrairement aux autres Cladorhizidae, elle avait conservé un système aquifère, modifié par rapport à celui des autres éponges.
Des chambres choanocytaires situées dans le pédoncule servent à gonfler les sphères, sur la paroi desquelles sont disposés les spicules en crochet. Les proies sont capturées sur ces sphères.