La faune des Kem Kem est donc constituée d'un grand nombre d'espèces de très grande taille et, parmi les dinosaures, d'une proportion étonnement élevée de carnivores. 

Théropodes. © Firsfron, CC by-sa 3.0
Théropodes. © Firsfron, CC by-sa 3.0

Selon le paléontologue James O. Farlow, les théropodes seraient en moyenne plus lourds que leurs équivalents mammaliens qui occupent actuellement le sommet des niches alimentaires. Il est possible, si les observations sur les théropodes des Kem Kem sont validées, que ce décalage soit encore plus accentué dans les paléoécosystèmes du Maroc.

Comparaison des spectres de tailles chez les mammifères carnivores terrestres actuels (haut) et chez les dinosaures carnivores (bas). © Modifié d’après Farlow (1993)
Comparaison des spectres de tailles chez les mammifères carnivores terrestres actuels (haut) et chez les dinosaures carnivores (bas). © Modifié d’après Farlow (1993)

Le problème de l'échantillonnage des fossiles

Pour l'instant, la grande proportion de dinosaures de grande taille et parmi eux de carnivores n'est qu'une hypothèse fondée sur l'étude de fossiles conservés dans des collections de musées. Elle nécessite d'être testée sur le terrain. Un des problèmes majeurs est la qualité de l'échantillonnage à disposition. Comme il a été dit plus haut, la majorité des fossiles sont découverts par des prospecteurs locaux, et leurs critères de collecte ne correspondent pas forcément aux critères des scientifiques.

Par exemple, seuls les fossiles visibles à l'œil nu sont collectés, et il est probable qu'une grande partie de la microfaune passe inaperçue. Lorsque des tamisages de sédiments sont effectués par des scientifiques, ces petits éléments sont alors observés ci-dessous.

Résultat du tamisage de sédiments des Kem Kem. On distingue des fragments d’os et des petites dents. © André Piuz
Résultat du tamisage de sédiments des Kem Kem. On distingue des fragments d’os et des petites dents. © André Piuz

Une faune diverse dans les Kem Kem

Didier Dutheil et Jean-Claude Rage du Muséum national d'histoire naturelle, ont ainsi découvert dans les Kem Kem une faune assez diversifiée d'amphibiens et de squamates - les lézards et les serpents dont une espèce à pattes - qui n'ont rien d'exceptionnel au niveau de leur taille corporelle mais qui ont une importance capitale pour les paléontologues. Un élément encore manquant dans la faune des Kem Kem est la présence de mammifères qui étaient généralement de petite taille à cette époque, et dont on ne retrouve ailleurs que leurs dents minuscules.

Un second critère important qui biaise l'image de la reconstitution de cette faune est le tri sélectif des fossiles opéré par les collecteurs. En effet, leur motivation première est la valeur marchande des fossiles (motivation compréhensible pour une population qui n'a que peu de ressources économiques). Et il se trouve que sur le « marché des fossiles », la dent de dinosaure carnivore a une meilleure cote que le fragment de carapace de tortue ou la vertèbre de poisson (photos ci-dessous).

Il existe probablement un biais lors de la collecte des fossiles dans un but commercial. À gauche, fossiles en place sur le terrain (les flèches montrent une dent de crocodile et une dent rostrale d’<em>Onchopristis</em>) ; à droite, « étal » d’un vendeur de fossiles. © L. Cavin
Il existe probablement un biais lors de la collecte des fossiles dans un but commercial. À gauche, fossiles en place sur le terrain (les flèches montrent une dent de crocodile et une dent rostrale d’Onchopristis) ; à droite, « étal » d’un vendeur de fossiles. © L. Cavin

Et forcément, la dent sera préférée à la vertèbre, d'autant qu'elle est plus facilement reconnaissable sur le terrain. Deux chercheurs britanniques, Alistair McGowan et Gareth Dyke, ont quantifié ce biais en effectuant une analyse comparative entre les fossiles des Kem Kem vendus par les marchands de fossiles marocains et ceux trouvés sur le terrain par les chercheurs. Ils ont montré à cette occasion que les collecteurs et les marchands de fossiles font en effet des « choix de vente ».