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Grâce à l'archéologie expérimentale et à la fouille sous-marine, les routes de ce commerce de première importance se dessinent et les épaves livrent leurs secrets.
Papyrella
Il s'agit de la réplique d'un bateau primitif à rames, construit en faisceaux de papyrus reliés par des liens végétaux. Sa forme, qui permet de naviguer dans les deux sens, assure une grande stabilité, une très bonne flottabilité et, en plus, permet le transport de marchandises. Ce bateau a été construit pour vérifier les possibilités de navigation et de transactions commerciales dès les âges les plus reculés, disons, pour fixer les idées, depuis le Néolithique. En 1988, l'archéologue Harris Tzalas a ainsi prouvé la possibilité de relier Sounio à Milos avec cette embarcation de six mètres, conduite par six marins : un voyage de 75 miles nautiques en mer ouverte.
Bateau fait de papyrus. © Ableiter, cc by nc 3.0
Basé entre autres sur les dessins égyptiens, ce type de reconstruction a aussi permis d'autres essais de navigation -- l'archéologie expérimentale s'apparente parfois à de l'aventure, à fortiori sans carte ni boussole. La circulation maritime côtière existe sans aucun doute depuis le Néolithique, ce qui n'est pas le cas de la navigation hauturière.
On peut ainsi prouver les relations étroites entre les Cyclades, la Crète, la Grèce continentale, mais aussi avec Chypre, la Syrie, l'Égypte, en gros toutes les côtes du Moyen-Orient. En tenant compte des variations du niveau de la mer, Chypre est à moins de 100 km de la Syrie et à moins de 75 km de la Turquie, distances faciles à franchir en été, en Méditerranée. Selon l'écrivain romain Végèce (entre la fin du IVe siècle et le début du Ve siècle après J.-C.), « la mer n'est point redoutable à toutes les époques de l'année ; il y a des mois privilégiés, d'autres douteux, quelques-uns qui interdisent rigoureusement la navigation. »
Tout au long du IIe millénaire avant J.-C., la constructionconstruction navale va s'améliorer, ce qui rend les traversées plus sûres. Les bateaux minoens se diversifient, sont capables de franchir les espaces maritimes de la Méditerranée orientale et permettent ainsi des rapports économiques avec la Syrie et l'Égypte. Ce sera avec la civilisation mycénienne que la guerre fera son apparition sur mer, avec des navires pontés, bas sur l'eau et allongés.
Qu'échangeait-on en ce temps-là ?
Outre l'obsidienne de Milos, dont nous reparlerons plus loin, le marbremarbre de Naxos ou de Paros a circulé dans toutes les îles. Le marbre de Paros est d'un blanc très pur, presque translucidetranslucide quand il est mince. Il a servi à sculpter, bien plus tard, la VénusVénus de Milo. Géologiquement, il appartient à la formation attico-cycladique de roches cristallines et métamorphiques formées il y a 45 millions d'années. Durant l'orogenèseorogenèse alpine, ces couches sont remontées et les importantes inclusions de calcairecalcaire, transformées en marbre, sont devenues accessibles.
Obsidienne. © DP
Les pyxides, petits vases ronds, en chlorite sont typiques des îles du nord-est de la mer Égéemer Égée et on en trouve à Akrotiri, sur Santorin.
Pyxide en chlorite. © DP
Le cuivre est importé de Chypre en lingots. Ces lingots ont la forme caractéristique de « peaux de bœuf » et ont circulé dans toute la Méditerranée, à toutes les époques. Le cuivre est, avec l'or, le plus ancien métal travaillé par l'Homme. Il fut exploité à Chypre, d'abord sous sa forme native. Les premières utilisations du cuivre sont bien antérieures à celles qui nous occupent ici : on considère que les premiers essais remontent au Ve millénaire avant J.-C.
Un lingot de cuivre. © Chris 73, cc by sa 3.0
L'étain qui remplacera l'arsenicarsenic dans la fabrication du bronzebronze viendra d'Italie ou d'Anatolie. Des pots et des marmites en pierre arrivaient de Crète. Quant à l'albâtre, il venait de Syrie, tout comme la céramiquecéramique, bien sûr, en particulier les grandes jarres de transport de marchandises, mais aussi des pièces égyptiennes qui comportaient le nom du pharaon.
Vase à étrier typique, Santorin. © Claire König
Les œufs d'autruche venaient d'Égypte ou du Moyen-Orient. Les vases oiseauoiseau à bec renversé anatoliens ont circulé dans toute la mer Égée. Les artistes aussi, sans doute, ont voyagé avec leurs techniques, et en particulier celle de la fresque « a tempera ». Des échanges importants, continus et variés, sans parler des denrées alimentaires dont il ne reste pas trace.
Œuf d’autruche. © Raul654, cc by sa 3.0
Le naufrage d'Uluburun
En décembre 1987, le National Geographic publie un article très complet sur les fouilles et les découvertes d'un navire. Je me suis appuyée sur ce travail pour la rédaction des lignes qui suivent.
Ce bateau fit naufrage au XIVe avant J.-C près de la côte de l'actuelle Turquie. L'épave, la plus vieille jamais fouillée, l'a été entre 1984 et 1994, par 40 m de fond. Plus « jeune » de 600 ans environ, elle ne concerne pas directement notre sujet ; cependant, elle a fourni tellement d'informations sur les circuits commerciaux de l'époque que cela vaut la peine de s'y arrêter quelques instants.
L'embarcation était en boisbois, ronde et large, comme les bateaux de transport le furent longtemps... Mais ce qui est intéressant, c'est ce que transportait le navire.
On y a trouvé des lingots de cuivre de Chypre, des lingots d'étain, du verre de cobaltcobalt identique au verre mycénien, de l'ivoire d'éléphant, des dents de rhinocérosrhinocéros, des plaquettesplaquettes en bois noir africain, des céramiques, des bijoux du Levant, mais aussi un scarabée égyptien, des sceaux mésopotamiens, des objets en or et des ancres de pierre. C'est avec surprise que les archéologues ont constaté que sur l'un des sceaux mésopotamiens avaient été ajoutés, 400 ans après sa fabrication, un démondémon et un guerrier de facture assyrienne !
On a également découvert sur ce navire des tablettes de bois enduites de cire, sur lesquelles on écrivait et que l'on pouvait facilement effacer en les réchauffant, ainsi que des tablettes de textes cunéiformescunéiformes, divers aliments et des hameçons qui donnent de précieuses indications sur la pêchepêche de l'époque.
Les navires étaient-ils affrétés par des armateurs privés ou royaux ? Si cette question reste encore sans réponse, les circuits de navigation commencent, eux, à se dessiner : cabotage et traversées dans toute la Méditerranée orientale, jusqu'en Italie du Sud et en Sardaigne. En effet, en regardant bien une carte de la Méditerranée orientale, il n'est pas très difficile d'imaginer un « circuit de livraisons » qui irait d'Égypte en Syrie, en longeant la côte, puis traverserait en direction de Chypre, retournerait sur la côte turque et ensuite ferait escale d'île en île dans la mer Égée, puis traverserait cette fois-ci en direction du sud de l'Italie, contournerait celle-ci pour atteindre la Sicile par exemple, puis rejoindrait la côte africaine. Ceci n'est qu'une hypothèse bien sûr, mais le circuit est complet et il y a peu de traversées importantes.