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Les ruées vers l'or : quand faut-il commencer ? De l'or des Aztèques à celui des Incas, de la Californie à l'Alaska, je garde la définition du petit Larousse pour le mot ruée : « se jeter avec violence, se précipiter en masse sur... »
Disons que le Moyen Âge du XIVe siècle avait basculé dans le vertige de l'or avec les récits de Marco Polo mais une ruée, une vraie avec tout son caractère sauvage et forcené, non, décidément, ce n'est pas ça ! Il faut attendre que Cortez, au Mexique, découvre l'or des Aztèques et que Pizarre, au Pérou, découvre l'or des Incas. Là, vraiment on a une ruée vers l'or, au début du XVIe siècle, avec 300 tonnes d'or qui se déversent sur l'Espagne en moins de 100 ans ! Cette Inde fabuleuse de El Dorado - l'homme doré - dont la richesse souveraine devient synonyme de ce pays l'Eldorado, source intarissable d'or.
Les conquistadores et l'Empire inca
Pizarre massacre 7.000 à 8.000 soldats de l'Inca en cet après-midi du 16 novembre 1532... et marche vers Cuzco. La furia espagnole, les hennissements fous des chevaux d'assaut, le fracas des bouches à feux paralysent les Indiens qui sont massacrés, égorgés, éventrés, jusqu'au dernier, sans une hésitation. Et la rançon du souverain est immense, tout l'or du peuple inca, tous les trésors d'orfèvrerie et de sculpture de centaines d'années d'arts et de techniques partent dans les fours espagnols qui fonctionnent sans discontinuer de mars à juillet 1533 pour fournir 13.000 livres d'or fin à embarquer sur les galions. Et les vainqueurs finissent par tuer l'Inca le 26 juillet.
Mais les conquistadores, semble-t-il, avaient plus de goût que leur souverain Charles Quint qui fit mettre au four les rares trésors ramenés entiers par les soldats qui en avaient mesuré toute la beauté... Pour les conquistadores, la recherche de l'or était un but, pour les Indiens, l'éclat de l'or était une abstraction, une approche de la divinité : les dieux sont morts, l'or n'a plus de sens. Nous avons de nombreuses chroniques à ce sujet : la Chronique de Pedro Sancho, celle de Juan Ruiz de Arce, celle encore de Lopez de Gomara... Bien sûr cette ruée, la plus sauvage, la plus meurtrière, ne concerne que de l'or déjà extrait du gisementgisement, déjà travaillé, il s'agit ici plus de pillage que d'une ruée vers l'or comme on l'entend ordinairement mais on ne peut passer sous silence que « l'or n'a pas d'odeur et le sang sèche vite ».
Puis les Portugais découvrent l'or du Mato Grosso au Brésil en 1719.
La ruée vers l'or de Californie
Et le Mexique, le 2 février 1848 doit vendre la Californie pour 15 millions. Il ne sait pas que 10 jours plus tôt, on y découvrit de l'or. Blaise Cendrars nous raconte les évènements qui marquent la ruée vers l'or de Californie à dater du 15 mars 1848 où le Californian annonce dans un entrefilet qu'on a découvert de l'or à Sacramento. À noter, qu'à la même époque, on connaissait déjà l'or du Yukon mais les conditions étaient si épouvantables. Francis DrakeDrake avait assuré la reine Elisabeth que « toute poignée de terre prise au hasard contient une quantité raisonnable d'argent et d'or ». Les profits réalisés par les États du Nord, entreprenants, face aux États du Sud, conservateurs, permirent de financer la guerre de Sécession.
En 1850, presque en même temps : l'Australie
Hargrave revient après avoir participé au tout début de la ruée vers l'or de Californie. Ces Blue Mountains de Nouvelle-Galles du Sud l'inspirent et il se met à les parcourir en comparant avec ce qu'il a vu en Amérique. Et en 1850, il trouve de l'or, en parle au bureau géologique et déjà 400 mineurs s'apprêtent à partir... et, à Ballarat à 50 miles de Melbourne, ils sont 2.500 l'année d'après ! Et Melbourne et Sydney n'arrivent plus à fonctionner, faute d'hommes : ils sont tous partis chercher de l'or. Des émeutes éclatent, les villes connaissent la disette. Mais on continue à trouver de l'or partout jusque dans l'ouest à Kalgoorlie, Coolgardie, Yilgarn, Wiluna.
Kalgoorlie, le cœur des Goldfields est sûrement une des villes les plus « historiques » de l'Australie. Elle retrace l'histoire de la fameuse époque de la ruée vers l'or dans les années 1890, avec le Golden Mile, dont on a déjà extrait plus de 1.800 tonnes d'or et où de l'or est toujours extrait. La région ressemble encore à ces mêmes décors de western, la ville de boutiques alignées sous des galeries de boisbois, avec seulement au-dessus l'étage unique des chambres, les bars, les magasins et les bâtiments officiels et légaux. La moisson d'or atteint des quantités que la Californie n'a jamais connues, même dans ses plus belles années. Entre 1851 et 1855, les placers australiens livrent annuellement entre 2,5 et 3 millions d'oncesonces d'or (80 à 100 tonnes !). La fièvrefièvre de l'or amena des orpailleurs et des « diggers » chinois. Quelque 700.000 personnes débarquèrent en Australie dans la décennie 1850.
C'est donc le temps où Hargrave couvre d'or et promène en calèche la belle aventurière irlandaise Maria Dolorès Gilbert que Louis de Bavière, le roi fou, fit baronne de Rosenthal et comtesse de Lansfeld. Lola Montès, c'est son surnom, s'y entend pour croquer joyeusement les millions de son Australien, en fêtes, bals, équipages de chevaux. C'est aussi le temps où 15.000 hommes de Nouvelle-Galles tiennent Bathurst, où 50.000 hommes des champs de Victoria menacent Melbourne avec leurs fusils et leur dynamite pour faire valoir leurs droits. Les Asiatiques, eux, étaient plus nombreux que les colons européens qui s'en inquiétèrent assez vite, et, en 1895, les mineurs chinois eurent leurs licences de prospecteurs confisquées !
L'industrie minière, sur laquelle la croissance économique et sociale a longtemps reposé en Australie, semble aujourd'hui encore promettre un développement substantiel. Le développement de la production aurifère dans les années 1980 permet au pays de produire prés de 256 tonnes dont 75 % vient de l'ouest, soit 12 % de la production mondiale. Les gisements aurifères sont particulièrement rares et seul un tiers vaut la peine d'être exploité.
Et l'or du Klondike, en Amérique du Nord
L'or y fut exploité 50 ans après la grande ruée de Californie : les terres du Yukon et de l'Alaska subissent l'assaut de centaines de milliers d'émigrants lancés sur les pistes de l'or. Les conditions sont épouvantables, les migrants innombrables, les placers mythiques, les récits nombreux et épiques : tout ceci a contribué à faire de cet épisode « La Ruée vers l'or » et le talent de Jack London (Histoire du pays de l'or, l'Appel de la forêt) n'y est pas étranger !
Le 15 juillet 1897, l'Excelsior largue les amarres sur un quai de San Francisco rudement touchée par la dépression économique. Parmi les passagers, 15 ploient sous les bagages déformés et sales et tiennent sur leur poitrine des bidons d'huile enveloppés de vieille toile. Garrison, journaliste au Post IntelligenceIntelligence les suit et mène rapidement son enquête... Il apprend que Tom Lippy, ancien entraîneur de base-ball, a ramené 3.200 onces d'or. Il câble à Seattle et son article paraît avec le titre retentissant : « L'or du grand nord ». Puis arrive le Portland, autre navire venant du nord, à Seattle cette fois ! Le vertige de l'or fait tourner les têtes les plus solides et une déferlante gagne le monde entier.
Jack London, qui vit à Oakland, s'embarque le 25 juillet. Le 30 août, il franchit la Chilkoot Pass aussi fameuse que meurtrière et découvre Dawson début octobre. Les candidats viennent de toute la terre et remplacent ceux qui meurent d'épuisement ou d'une balle dans la tête : on meurt beaucoup dans la région. Et pas seulement les hommes, des milliers de cadavres de mules et de chienschiens jalonnent les passes de Chilkoot et de White.
Dans son élanélan, la ruée emporte tout, absorbe tout, les bêtes, les hommes, et il y a autant d'actes barbares que courageux. Et un jour on entend : « Et c'est où Nome ? », un grand Norvégien répond « En Alaska ! » et les voilà repartis sous le cercle polairecercle polaire par des températures de moins 60 °C. Dawson, à côté, c'est un paradis tranquille ! Ici ce ne sont que crises de fureur, dépression, manque de nourriture, tempêtestempêtes et blizzards, revolvers, tornadestornades de neige et de sang, tempêtes de sueur et de froid, mais ils y sont, et en 1906, lors de l'incendie de San Francisco, Nome est à son apogée.
Dawson n'existe déjà presque plus : 10.000 hommes sont partis en une semaine pour l'Alaska ! Et le paysage en est tout retourné, au sens littéral. Les mêmes, bien sûr, et d'autres repartiront encore pour Porcupine et Kirkland à la frontière de l'Ontario et du Manitoba au Canada quelque deux ans plus tard... L'homme est ainsi fait.
D'autres pays, d'autres ruées...
Il y en eut d'autres en Russie, en Sibérie, moins connues : l'Altaï, la TaïgaTaïga des Mari en 1830, le Ienisseï, près de Miask on a découvert un bloc d'or de 36 kgkg en 1842, la Léna en 1850 et le Priamouré en 1899, l'Ortossala en 1923... Les Chinois de Mandchourie apportaient l'opium...
Et, en 1928, Staline créa le trust de l'or. Cet or là, de l'Oural au Pacifique, est connu depuis très longtemps : 2.000 à 3.000 avant notre ère, on exploitait l'or, et les tablettes de Mésopotamie font état des régions de l'Oxus produisant l'or que travaillaient les artisans de Sumer et de Babylone. Le Turkestan, la Boukharie, la Varche, l'Amou-Daria, les Tatars, les Samoyèdes, les Mongols tous ces mots contiennent une part de mystère.
Mais en cent ans, au XIXe siècle, l'Oural a produit 450 tonnes d'or ! Ce n'est rien à côté de ce que promet la Sibérie. Le trust de l'or envoie, en 1929, Littlepage aux États-Unis pour y débaucher 10 ingénieurs des mines, Américains de première classe.... C'est une époque de pionniers, même dans la grande industrie, et les biographies de ces hommes hors du commun valent leur pesant d'aventures.
Il y eut encore l'Afrique du Sud, qui, dans les premières années du XXe, s'inscrit en tête des pays producteurs. Tout commence par une ruée vers l'or dans la région du Rand suite à une découverte de Walker. Le 20 septembre 1886, le vaste campement s'organise en commune et devient Johannesburg en hommage au Président Krüger, héros de l'insurrection contre les Anglais et fondateur de la République du Transvaal. Mais très vite, tout s'organise et les grandes sociétés (de diamantdiamant !) investissent en masse. Si en 1890, il y a 13 tonnes, en 1899 moins de 10 ans plus tard, il y en a 110 tonnes ! Les bas salaires octroyés aux mineurs étrangers (Extrême-Orient, Rhodésie, Angola etc.) font du Witwatersrand un territoire terriblement rentable.
En Amérique latine aussi, un deuxième Eldorado en janvier 1980 : la serra Pelada au Brésil, au fond de la jungle. Un nouvel enfer. Tous les fleuves prennent leur source sur le haut plateau central du Brésil, ce bouclier d'or qui s'étend sur 5.000 km, entre les Andes et l'Atlantique. En 1958, sur un affluent du Tapajos, le rio Pacù, des pépites vont déclencher une ruée au royaume des serpents, des moustiquesmoustiques, des pluies torrentielles et des fièvres pernicieuses !
Le monde végétal emprisonne la vapeur d'eau, il faut tailler un sentier à la machette, dans la touffeur de l'airair, les insectesinsectes vous pondent sous la peau, la moindre plaie devient gangrènegangrène mais... des milliers d'hommes accourent : l'état de garimpeiro est une autre façon de conjurer ce destin voué à la misère. Ils sont 3 à 400.000 au Brésil, une armée anonyme qui vit dans le garimpo (le campement, à l'origine) de planches, de tôles et de tentes. Au début de 1959, ils se retrouvent à 20.000 dans le Para où les crocodiles et les piranhas sont plus fréquentables que le pium, un moustique qui détient tous les records de malignité et de malfaisance ! De bons gisements, Canta Gallo, Pacu, Mamoal, Sao Domingo, Patrocinio entre 1959 et 1962 et en 1980 la Pelada... modeste montagne de 300 mètres de haut. Ils seront 50.000 fourmisfourmis accrochées aux pentes, sortant de leur trou, glissant dans la boue avec sur le dosdos leur propre poids de gravatsgravats, de pierraille et de glaise qu'il faudra laver trier. Ces schistesschistes qui recèlent des pépites... Julio en sort une de 63 kg, mais il est journalier, elle ne lui appartient pas : de quoi devenir vraiment fou cette fois.
Très vite, et c'est la loi de ces endroits, quelques-uns réduisent à merci les gueux et les va-nu-pieds et les font passer sous leur fourche pour en faire des journaliers corvéables à merci. Salgado nous en donne un témoignage époustouflant avec ses images, mais « Il n'y a rien de nouveau sous le soleilsoleil », disait le philosophe de l'Ecclésiaste.
Il reste encore de l'or à découvrir… au fond de la mer, beaucoup d'or !
Ce ne sera pas une ruée au sens de ce que l'on vient de lire mais quand même une belle aventure ! Les « wreckers », en français les chercheurs d'or sous la mer, ont de beaux jours devant eux, tout à fait pacifiques et relativement peu dangereux ceux-ci. L'archéologie sous-marine s'appuie sur des archives, écrits ou images : il faut absolument obtenir les meilleurs renseignements possibles avant la recherche, c'est une question de coût. Cette discipline s'appuie aussi sur des technologies de pointe : la localisation n'est plus seulement visuelle, elle est aussi aérienne. Le sonarsonar, les relevés magnétiques le GPSGPS, l'interférométrieinterférométrie... Puis vient l'exploration après la mise en place d'un corroyage souple avec des techniques comme la stéréophotogrammétrie par exemple, puis la récupération peut nécessiter l'emploi de suceuses pour enlever le sédimentssédiments, de marteaux-piqueurs, etc. Une fois récupérés souvent à la main par des plongeurs, les objets doivent être inventoriés, réparés soumis à expertise et restaurés avant d'être répartis entre les différents protagonistes : gouvernements, musées, sponsors... et découvreurs. Mais dans un cadre précis du point de vue technologique et économique, il y a encore bien de la place pour l'imprévu : ce n'est plus la flibuste, on est au XXIe siècle, à chaque époque ses techniques, mais ça reste l'aventure.
De l'or, il y en a tout le long de la route espagnole des Indes occidentales, de la route portugaise des Indes orientales, de la route hollandaise des Indes orientales, puis des routes maritimes anglaises, de la route espagnole du Pacifique ! Partout des navires par le fond, du galion commercial au navire de guerre... en voici quelques-uns tirés du livre de Surcouf.
- Le Flor do Mar, navire portugais coula en 1511 au large de Sumatra avec le trésor de Malacca en Malaisie avec 20 tonnes d'or environ et deux cents caisses de pierres précieusespierres précieuses...
- Le Nuestra Senora de Atocha, galion de deux ans appartenant à la flotte de la Nouvelle Espagne ramenait une cargaison depuis la Havane quand il coula, éventré par un récif. Mel Fisher, en 1963, vendit tout ce qu'il avait pour chercher l'épave et, après bien des péripéties retrouva le trésor et la vente aux enchères d'une partie de celui-ci rapporta trois millions de dollars. Le produit total des fouilles approche les 100 millions.
- Le Geldermalsen quitta Canton en 1752 rempli de soies, de 200.000 pièces de porcelaine chinoise, d'or et d'épices... récupérés en 1985 par Hatcher (qui avait déjà récupéré une cargaison d'étainétain qui l'avait enrichi). La vente des pièces eut lieu en 1986 et rapporta 110 millions de francs à notre aventurier qui, malheureux, n'a retrouvé que 125 des 148 lingots d'or figurant sur le manifeste du navire !
- Le Central America coula, lui en 1849, faisant la navette entre Panama et New York rapportant entre autres les trésors des chercheurs d'or de Californie et quand même 450 passagers. Cinq tonnes d'or officiel disparurent et peut-être 15 tonnes embarquées secrètement, on en retrouva trois tonnes en 1989 !
- Pour le Laurentic de la White Star Line, on a récupéré 43 tonnes d'or pour un coût d'exploration représentant seulement 2,5 % de la rentabilité de l'opération. Il y a décidément beaucoup d'or au fond de la mer...