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Apogée au 19e siècle
Avec l'instauration d'un régime protectionniste, la première moitié du 19e siècle voit une lente montée en puissance de l'industrie marbrière jurassienne, qui se concentre autour de trois centres principaux : Molinges (en aval de Saint-Claude), Saint-Amour et Damparis (près de Dole).
L'histoire de chacun de ces centres pourrait commencer par « il était une fois une carrière », tant il est vrai que c'est la présence de la matière première qui a commandé l'installation de chaque marbrerie. A l'exception de la région de Dole, où sa présence est connue depuis le 16e siècle au moins et où la commune de Sampans compte 15 carrières en 1812 et celle de Damparis 17, la découverte du marbremarbre semble relever du hasard ou d'observations fortuites.
Front de taille de la carrière des Escherolles, Sampans - Photo : Inv. Y. Sancey - © Inventaire général, ADAGP, 1997
Elle n'est pas le fait d'hommes de l'art mais plutôt d'esprits curieux, éclairés et entreprenants. Ainsi, la découverte de brocatelle (une sorte de marbre bréchique) à Chassal en 1768 est-elle due au curé du lieu, Jérôme Clerc. De même, la réintroduction de la marbrerie à Saint-Amour en 1815, au moulin Rentreux, est-elle l'oeuvre du percepteur du canton, Louis-Nicolas Chambard.
La seconde moitié du 19e siècle représente l'âge d'or de la marbrerie jurassienne. L'expansion économique, la rénovationrénovation des grandes villes - à commencer par le Paris du baron Haussmann - et l'évolution des constructionsconstructions avec l'apparition du « confort moderne », incluant la cheminéecheminée, favorisent son développement. La construction des voies ferrées (ligne Dijon-Besançon via Dole en 1855-1856, ligne Lyon-Besançon via Saint-Amour en 1864, percement du tunnel du Mont-Cenis donnant accès à la Suisse et à l'Italie en 1871) permet l'ouverture de nouveaux marchés mais, simultanément, entraîne la fermeture de la plupart des carrières locales, dont le matériau ne peut concurrencer les marbres étrangers, de bien meilleure qualité.
Vue d'ensemble de la marbrerie de Molinges dans le 1er quart du 20e siècle. Carte postale, C. Lardier éd., Besançon. Collection particulière : Robert Le Pennec, Saint-Claude - Repro. Inv. Y. Sancey - © Inventaire général, ADAGP, 1999
A Molinges, près de Chassal, une première usine bâtie dans les années 1770 disparaît à la Révolution. Une deuxième société se crée en 1822 mais l'entreprise ne prend réellement son essor qu'après 1849, avec la société Dargaud et Compagnie fondée par le parisien Joseph Dargaud, et, plus encore, à partir de 1865, avec la Compagnie de la Marbrerie de Molinges d'Emile Gauthier, chef de division à la préfecture de l'Ain. Son fils, Nicolas (1852-1924), développe encore l'exploitation de la brocatelle mais acquiert aussi, ou loue, des carrières à Pratz et Viry (Jura), Uchentein et Balacet (Ariège), Cazedarnes et Cessenon (Hérault), Baixas (Pyrénées-Orientales) et Cesana Torinese (en Italie, face à Briançon). Employant jusqu'à 120 ouvriers, la société propose à ses clients le choix entre 140 variétés de roches différentes. Outre les objets et le mobilier, elle fournit, par exemple, des éléments pour le décor du casino de Cannes, de la basilique de Lisieux et du théâtre de Caracas.
A Saint-Amour, l'industrie marbrière redémarre avec l'arrivée, en 1864, de Maurice Célard, auparavant contremaître à Lyon puis à Paris. Célard modernise les installations qu'il loue ou qu'il achète et privilégie les marbres de qualité, importés. D'autre part, vers 1865, une nouvelle usine est construite par Pierre Mourlot dans le village voisin, Balanod. Ces deux communes vont ainsi totaliser une quinzaine d'établissements, occupant plus de 120 personnes (sans compter les carriers ni les polisseuses à domicile) : six scieries, modernisées durant les décennies 1880-1890 et localisées dans d'anciens moulins, et une dizaine de marbreries.
Carte de localisation des marbreries de Saint-Amour et de Balanod sur le cours du ruisseau le Besançon et de son canal de dérivation - Dessin : Inv. A. Céréza - © Inventaire général, ADAGP, 2001
Dans la région doloise, les nombreuses carrières, exploitées artisanalement, fournissent surtout des blocs ébauchés. Deux établissements se distinguent au 19e siècle : l'entreprise Ragoucy, de Belvoye (commune de Damparis), et la Société d'Exploitation des Carrières de Tinseau, fondée en 1857, d'une autre envergure.
Alphonse et Paul de Tinseau font de leur château de Saint-Ylie le siège de cette société et ouvrent à Belvoye des carrières d'une pierre qui va faire le bonheur des architectesarchitectes parisiens : un calcairecalcaire très pur, ingélif et qui possède une très grande résistancerésistance à l'écrasement alliée à la faculté de prendre le poli.
Ainsi, comme celui de Sampans qu'ils extraient également, ce matériau pourra au choix être utilisé comme pierre de construction ou comme marbre. Desservie par le canal du Rhône au Rhin puis par la voie ferrée, leur affaire est reprise en 1870 par un parisien, Adolphe Violet, qui la développe. Elle emploie jusqu'à 500 personnes avant de disparaître au cours de la décennie 1890.
Vue d'ensemble de l'usine de la Société d'Exploitation des Carrières de Tinseau depuis le canal du Rhône au Rhin, Damparis- Photo : Inv. Y. Sancey - © Inventaire général, ADAGP, 1997
Si les de Tinseau avaient fourni la pierre utilisée à Paris pour des édifices aussi divers que le bassin de la fontaine Saint-Michel, les colonnes monolithesmonolithes soutenant les voûtes de l'église de la Trinité, le pont au Change ou le soubassementsoubassement et diverses colonnes et balustres du Palais Garnier, Violet citait comme référence dans la capitale le soubassement de l'Hôtel de ville et le dallage de la cathédrale Saint-Denis, le monument des Girondins à Bordeaux, le théâtre de Genève ou le piédestal de la statue de la Liberté.