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Le métier de gemmeur ou résinier
Ce métier de résinier exigeait-il de posséder d'importantes connaissances techniques ou reposait-il plutôt sur un grand savoir-faire ?
Surtout sur un grand savoir-faire. Pour savoir correctement aiguiser un hapchòt par exemple, il fallait compter au moins trois ans. Certains n'y parvenaient d'ailleurs jamais et préféraient arrêter le métier.
Pour savoir correctement aiguiser un hapchòt, il fallait au moins trois ans.." © Claude Courau - Collection privée - Tous droits réservés
Ce savoir-faire se retrouvait également dans la bonne gestion des arbresarbres. Il fallait faire les piques aux bons moments, afin que le pin gemme dans les meilleures conditions. Déterminer à quel moment le pin devait se reposer était aussi très important pour un bon gemmeur, et les exemples de pins ayant pu ainsi être résinés pendant plus de cent ans ne sont pas rares.
Il ne faut pas oublier qu'à la grande époque du gemmage, le fait pour un propriétaire forestier d'être obligé de couper un pin qui ne résinait plus, ou mal, était ressentie comme une diminution de son patrimoine, même si le boisbois était vendu. Il fallait en effet attendre plus de 30 ans avant qu'un pin nouvellement planté puisse être résiné ! Le savoir-faire des bons gemmeurs était donc très apprécié et recherché.
Vous avez évoqué le rôle des femmes à plusieurs reprises ; peut-on dire que l'activité du gemmeur engageait aussi le plus souvent l'ensemble de sa famille ?
Résiniers et résinières - Comme le montre cette carte postale ancienne, le gemmage des pins n'était pas réservé aux seuls hommes © Claude Courau - Collection privée - Tous droits réservés
Tout à fait ; le rôle des femmes a toujours été très important, au point que l'on parlait fréquemment de "couple de résiniers". Il faut savoir que pour gagner sa vie, un résinier devait gemmer environ 6000 à 7000 pins par semaine. Dans ces conditions, le ramassage de la résine incombait très souvent à la femme du résinier, ou même parfois à sa mère, lorsqu'il était encore célibataire.
Est-ce grâce au gemmage que le pin fut surnommé pendant longtemps "l'arbre d'or" ( La formule est due à Alexandre Léon, qui fut président du Conseil général de la Gironde au début des années 1870.) ?
En grande partie, mais pas uniquement. Cette appellation "d'arbre d'or" englobait en réalité l'ensemble des revenus que le pin était susceptible de générer pour un propriétaire forestier ; et il est vrai que ceux-ci étaient multiples.
Les jeunes pins coupés lors des éclaircies étaient par exemple utilisés comme poteaux de mines, ou servaient aux ostréiculteurs pour délimiter leurs parcs. Devenus adultes, ils pouvaient ensuite être résinés pendant de longues années et assuraient de ce fait des revenus réguliers et importants. Enfin, lorsqu'il n'était plus possible de les gemmer, ils étaient vendus comme bois de coupe et venaient ainsi grossir une nouvelle fois la cagnotte de leur propriétaire. C'était tout cela "l'arbre d'or", et l'on peut constater que les pins ont effectivement fait la fortune de très nombreux propriétaires surtout des propriétaires qui possédaient de grandes surfaces de forêt.
Les résiniers ont-ils également profité de cette richesse résultant de la récolte de la résine ?
Cette chanson devint l'hymne des gemmeurs lors de la longue grève de 1919 © Claude Courau - Collection privée - Tous droits réservés
Contrairement aux propriétaires forestiers, je n'ai jamais entendu parler d'un seul gemmeur qui ait fait fortune avec la résine, et je pense qu'il n'y en a pas eu d'exemple. Ce constat est d'ailleurs à l'origine de toute l'histoire sociale du gemmage, qui elle, en revanche, fut fort riche.
Pouvez-vous nous parler de cette histoire sociale du gemmage ?
Pour bien comprendre cette histoire, il faut savoir que lors d'une campagne de gemmage, les résiniers ne percevaient leur première paye qu'à l'issue de la première récolte, c'est-à-dire en général vers le début du mois de mai !
Or ainsi que je l'ai indiqué précédemment, ces campagnes débutaient dès la fin du mois de janvier ! De ce fait, les résiniers et leurs familles se trouvaient dans l'obligation d'économiser pendant la campagne précédente ou pendant les mois d'hiverhiver pour arriver à "tenir".
De surcroît, le montant de leur salaire dépendait non seulement de l'importance de leur récolte, mais aussi très souvent du cours des produits de la gemme au moment de la paye !
Dans ces conditions, il est naturel que les gemmeurs aient cherché à obtenir de meilleures conditions de travail et une plus grande sécurité financière, alors surtout qu'ils voyaient de nombreux gros propriétaires s'enrichir considérablement grâce aux fruits des récoltent successives.
Les actions menées par les gemmeurs ont donc été nombreuses, et parfois fort rudes. On peut par exemple citer les émeutes qui se sont déroulées à Sabres en 1863, où plusieurs gemmeurs ont été arrêtés puis condamnés à de la prison ferme avant d'être graciés par Napoléon III. La célèbre manifestation de Mont-de-Marsan du 18 mars 1934, qui a réuni plus de 30 000 gemmeurs et petits propriétaires à une époque où la ville ne comptait que 12 000 habitants ; ou bien encore les grèves très dures de 1919 et de 1937 qui ont duré près d'un mois.
Ces luttes entre propriétaires et gemmeurs se retrouvaient aussi parfois dans les villages, où lors des élections municipales, la liste menée par les uns s'opposait à celle conduite par les autres. La vie des habitants en était parfois affectée. J'ai ainsi connu le cas d'une fille de propriétaire qui a été obligée de quitter le domicile familial parce qu'elle fréquentait un résinier !
Ces luttent ont-elles permis d'améliorer la situation des gemmeurs ?
Les avancées sociales furent très lentes, même si la création de syndicats de gemmeurs ou celle de groupements réunissant l'ensemble des acteurs de la filière ont pu parfois faire avancer un peu les choses. Il fallut cependant attendre 1968 pour qu'une convention collective vienne réglementer la profession et mette ainsi un terme à certains abus. Mais il était sans doute trop tard, car déjà à cette époque, la mort du gemmage était programmée et organisée en coulisse par l'Etat et les gros propriétaires forestiers.