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Le mont Gerbier de Jonc dont nous venons de parler est situé sur les communes de Saint-Martial et Sainte-Eulalie en Haute-Ardèche. Nous allons parler un peu de sainte Eulalie, pas de la commune mais de la sainte et de sa Cantilène.
Sainte Eulalie
Sainte Eulalie, vierge et martyre vénérée :
- sainte Eulalie de Mérida, vierge martyre.
- sainte Eulalie de Barcelone, vierge martyre sous Dioclétien et Maximien, patronne de Barcelone, vénérée aussi dans le midi de la France.
- Eulalie de Barcelone et Eulalie de Mérida sont souvent confondues et on ne sait pas s'il s'agit de deux saintes, ou s'il s'agit de la même personne, morte et enterrée à Mérida, dont des reliques auraient été apportées à Barcelone.
Villes de France portant ce nom :
- Sainte-Eulalie, commune française de l'Ardèche ;
- Sainte-Eulalie, commune française de l'Aude ;
- Sainte-Eulalie, commune française du Cantal ;
- Sainte-Eulalie, commune française de la Gironde ;
- Sainte-Eulalie, commune française du Lot, intégrée à Espagnac-Sainte-Eulalie ;
- Sainte-Eulalie, commune française de la Lozère ;
- Sainte-Eulalie, commune française de Tarn-et-Garonne, intégrée à Lapenche ;
- Sainte-Eulalie-d'Ans, commune française de la Dordogne ;
- Sainte-Eulalie-de-Cernon, commune française de l'Aveyron ;
- Sainte-Eulalie-d'Eymet, commune française de la Dordogne ;
- Sainte-Eulalie-d'Olt, commune française de l'Aveyron ;
- Sainte-Eulalie-en-Born, commune française des Landes ;
- Sainte-Eulalie-en-Royans, commune française de la Drôme.
Communes dont le nom vient de Sainte-Eulalie (déformé par l'usage !) :
- Saint-Araille, commune française de la Haute-Garonne ;
- Saint-Arailles, commune française du Gers ;
- Saint-Aulaire, commune française de la Corrèze ;
- Saint-Aulais-la-Chapelle, commune française de la Charente ;
- Saint-Aulaye, commune française de la Dordogne ;
- Saint-Éloi, commune française de l'Ain ;
- Sainte-Alauzie, commune française du Lot ;
- Sentaraille, commune française de l'Ariège ;
- Xaintrailles, commune française de Lot-et-Garonne.
Cette longue liste de communes qui portent son nom vous donne une idée de la vénération portée à cette sainte ! Durant la persécution qui avait lieu à Mérida (Estramadura, Espagne), elle quitta à 12 ans sa maison pour aller dire au magistrat la honte qu'il y avait à martyriser les gens. Celui-ci la fit brûler vive le jour même. Dès le Ve siècle, son culte était répandu à travers l'Afrique, l'Italie, la Gaule et l'Angleterre.
Cantilène de sainte Eulalie
Le premier texte littéraire écrit en français, alors nommé roman, est vraisemblablement la Cantilène de sainte Eulalie. On le date de 880 ou 881, il est inclus dans une compilation de discours en latin de saint Grégoire, avec d'autres poèmes. Une telle séquence, ou poésie rythmique, était chantée lors de la liturgie grégorienne. Celle-ci l'a vraisemblablement été à l'abbaye de Saint-Amand (près de Valenciennes) où elle a été écrite. Cette séquence est dédiée à sainte Eulalie de Mérida ; elle s'inspire d'un hymne du poète latin Prudence qu'on peut lire dans le Peristephanon.
La séquence comporte vingt-neuf vers.
En roman (ancêtre de l’ancien français et du français)
Buona pulcella fut Eulalia.
Bel auret corps bellezour anima.
Voldrent la ueintre li d[om] Inimi.
Voldrent la faire diaule seruir.
Elle nont eskoltet les mals conselliers.
Quelle d[om] raneiet chi maent sus en ciel.
Ne por or ned argent ne paramenz.
Por manatce regiel ne preiement.
Niule cose non la pouret omq[ue] pleier.
La polle sempre n[on] amast lo d[om] menestier.
E por[ ]o fut p[re]sentede maximiien.
Chi rex eret a cels dis soure pagiens.
Il[ ]li enortet dont lei nonq[ue] chielt.
Qued elle fuiet lo nom xp[ist]iien.
Ellent adunet lo suon element.
Melz sostendreiet les empedementz.
Quelle p[er]desse sa uirginitet.
Por[ ]os suret morte a grand honestet.
Enz enl fou la getterent com arde tost.
Elle colpes n[on] auret por[ ]o nos coist.
A[ ]czo nos uoldret concreidre li rex pagiens.
Ad une spede li roueret toilir lo chief.
La domnizelle celle kose n[on] contredist.
Volt lo seule lazsier si ruouet krist.
In figure de colomb uolat a ciel.
Tuit oram que por[ ]nos degnet preier.
Qued auuisset de nos xr[istu]s mercit.
Post la mort & a[ ]lui nos laist uenir.
Par souue clementia.
En français
Bonne pucelle fut Eulalie.
Beau avait le corps, belle l'âme.
Voulurent la vendre les ennemis de Dieu,
Voulurent la faire diable servir.
Elle, n'écoute pas les mauvais conseillers :
« Qu'elle renie Dieu qui demeure au ciel ! »
Ni pour or, ni argent ni parure,
Pour menace royale ni prière :
Nulle chose ne la put jamais plier
À ce que la jeune fille toujours n'aimât le service de Dieu.
Et pour cela fut présentée à Maximien,
Qui était en ces jours roi sur les païens.
Il l'exhorte, ce dont ne lui chaut,
À ce qu'elle fuie le nom de chrétien,
Qu'elle réunit son élément [sa force].
Mieux soutiendrait les chaînes
Qu'elle perdît sa virginité.
Pour cela elle fut morte en grande honnêteté.
En le feufeu la jetèrent, pour qu'elle brûle tôt :
Elle, coulpe n'avait : pour cela ne cuit pas.
Mais cela ne voulut pas croire le roi païen.
Par 1 épée il ordonna qu'on lui enlève le chef
La demoiselle cette chose ne contredit pas,
Veut le siècle laisser, si Christ l'ordonne.
En figure de colombe, vole dans le ciel.
Tous implorons que pour nous daigne prier,
Qu'ait de nous Christ merci,
Après la mort, et qu'à lui nous laisse venir,
Par sa clémence.
La traduction littérale montre les liens entre roman et français mais il suffit de prendre pour chaque mot son acception étymologique, ce qui rend assez aisée la compréhension du poème, par ex : coulpe : « péché », chef : « tête », siècle : « vie dans le monde »...
Le texte est écrit en une forme de picard-wallon il utilise les articles ce qui n'est pas une remarque anodine dans ce contexte :
- li inimi : « les ennemis » ;
- lo nom : « le nom » ;
- enl : agglutinationagglutination pour « en lo » ;
- la domnizelle : « la demoiselle », etc.
Les articles sont inconnus du latin qui a des cas et donc pas l'utilité des articles. Le texte montre aussi la diphtongue de certaines voyelles :
- latin bona > roman buona : « bonne » ;
- latin toti > roman tuit, etc.
C'est ici qu'est attesté le premier conditionnel de la langue française : sostendreiet : « soutiendrait », mode inconnu du latin.