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I. Qu'entend-on par "changements climatiques" ?
1. L'effet de serre
2. Le système climatique
3. La corrélation température-CO2
4. L'Homme et le système climatique
i - Quelles sont les causes des émissions anthropiques de gaz à effet de serregaz à effet de serre ?
ii - Quelles sont les tendances de ces évolutions ?
iii - Quelles sont les conséquences de cette accumulation de gaz dans l'atmosphèreatmosphère ?
iv - Quelles sont les conséquences sur les sociétés ?
v - Quels sont les moyens de diminuer les émissions ?
5. Entre faits et incertitudes
6. Conclusion
1. Qu'entend-on par "changements climatiques" ?
Commençons par quelques distinctions conceptuelles.
Tout d'abord, distinguons la notion de "climatclimat" de celle du "temps qu'il fait" : le "temps qu'il fait" se réfère à l'état climatique perçu d'une manière localisée, anthropocentrée, en un lieu donné, - le "beau" ou le "mauvais" temps - alors que "le climat" désigne l'ensemble des phénomènes météorologiques qui caractérisent l'état moyen de l'atmosphère. Le climat est donc envisagé non pas pour l'Homme, mais pour lui-même, de manière objective. Le "temps qu'il fait" au contraire est la perception subjective et passagère d'un état du climat en un lieu donné. Il peut donc donner des indications sur l'histoire du climat, mais avec un degré de fiabilité assez faible et très variable. Le climat, lui, met en oeuvre des facteurs physiques, chimiques et biologiques.
La seconde précision importante a trait à l'utilisation du concept de "changements climatiqueschangements climatiques" : pour les climatologuesclimatologues, ce concept se réfère à toute évolution du climat, qu'elle soit ou non influencée par l'Homme, étant donné que le climat évolue sans cesse de manière naturelle. A contrario, pour les analystes et pour les négociations sur le climat, il désigne exclusivement la partie de l'évolution climatique qui est induite par l'Homme. Pour ne pas provoquer de confusions, nous utiliserons le concept dans le second sens, y compris dans cette partie très descriptive de la dynamique du climat.
1. L'effet de serre
La planète Terre est pourvue d'une atmosphère composée principalement d'azote et d'oxygène, et d'une petite proportion de gaz dits "gaz traces".
Parmi ces gaz traces, on trouve le CO2CO2 et la vapeur d'eau, dont l'une des propriétés est de piéger l'énergie solaire. Agissant comme une sorte de couverture globale, ces gaz induisent un "effet de serre" naturel par lequel la température terrestre est accrue de 33°, permettant d'arriver à une température moyenne terrestre de +15°C, au lieu de -18°C. Cet effet de serre naturel est l'une des conditions de possibilité de la vie, puisqu'il n'y a pas de vie si l'eau reste gelée - au moins pour ce qui est des formes de vie connues
L'Effet de serre - Source : UNEP/ La voie verte 2000
La planète Terre reçoit en moyenne 342 W/m-2. Un tiers est réémis directement dans l'espace, alors que les deux tiers restants sont absorbés par différents éléments terrestres (eau, sols, nuagesnuages, atmosphère) puis finalement réémis plus tard dans l'espace sous forme de rayonnement infrarougeinfrarouge. Il y a donc un décalage temporel entre l'énergie reçue et l'énergie réémise.
Ce décalage correspond d'une part à la circulation terrestre de l'énergie solaire, le soleilsoleil étant le "moteur" principal des mouvementsmouvements de matièrematière et d'énergie dans la biosphèrebiosphère, et par là le moteur principal des écosystèmesécosystèmes, et d'autre part à la transparencetransparence variable de l'atmosphère aux différents rayonnements, les infrarouge étant davantage absorbés que les autres longueurs d'ondelongueurs d'onde. La biosphère est la région de la planète qui renferme l'ensemble des êtres vivants et dans laquelle la vie est possible en permanence. Certains auteurs donnent une définition plus étendue, incluant les zones dans lesquelles la vie n'est pas possible mais dans lesquelles transitent des éléments nécessaires à la vie - les éléments "biogènes" ou "biotiques". C'est par exemple le cas d'une partie de l'atmosphère.
Ce sont les gaz dits "gaz à effets de serre" qui absorbent ces rayonnements. Il y en a en proportion suffisante pour que la température terrestre moyenne reste comprise dans les limites connues de tolérance de la vie. Sur VénusVénus, par exemple, un taux de CO2 beaucoup plus élevé induit une température moyenne de 250°C, rendant toute forme de vie connue impossible.
Le CO2 et la vapeur d'eau ne sont pas les seuls gaz à effet de serre : il faut aussi compter avec le méthane (CH4), le protoxyde d'azoteprotoxyde d'azote (NO2) et les gaz artificiels de la famille des composés chlorés (CFCCFC, HCFCHCFC, etc.), qui sont par ailleurs des gaz destructeurs de la couche d'ozonecouche d'ozone.
Ces gaz à effet de serre (GES) n'ont pas tous le même "pouvoir de réchauffement global" (PRG). Le PRG est calculé en fonction de deux paramètres principaux : la quantité d'énergie que le gaz peut intercepter, et sa duréedurée de résidence dans l'atmosphère. Dans le tableau ci-dessous, les PRG sont calculés sur la référence du carbonecarbone; ainsi 1 kgkg méthane a-t-il un pouvoir de réchauffement de l'atmosphère équivalent, sur 100 ans, à 21 kg de CO2; mais il ne reste que 15 ans dans l'atmosphère.
Table 1 : Le pouvoir de réchauffement global de différents gaz à effet de serre.Source: GIEC 1995.
L'indice PRG est en partie arbitraire : la durée de résidence et la puissance d'absorptionabsorption des différents gaz ne sont pas des grandeurs physiques comparables. Le PRG a été élaboré par le GIECGIEC à la demande des décideurs, qui ont besoin d'établir des priorités et pour cela de rendre les gaz comparables. Il y a une teneur politique dans cet indice, puisqu'il établit la « culpabilité » de chaque gaz , et donc indirectement de chaque responsable d'émissions.
2. Le système climatique
L'atmosphère n'est pas quelque chose d'inerte, ni d'équilibré - pas plus que le reste de la biosphère d'ailleurs. Elle est au contraire composée de cycles et sans cesse en déséquilibre. C'est un système thermodynamiquethermodynamique non-linéaire, par quoi il faut entendre qu'à l'évolution progressive d'un facteur le système ne réagit pas forcément par une évolution linéaire.
L'eau s'écoulant d'un robinet est un d'exemple de système non-linéaire : lorsque le robinet est peu ouvert, le fluide s'écoule d'une manière régulière; c'est le "régime laminairelaminaire". Mais quand on ouvre le robinet en grand, alors l'eau s'écoule d'une manière désordonnée : c'est le "régime turbulent". Que l'on ouvre ou que l'on ferme le robinet aussi lentement que l'on veut, le passage de l'un à l'autre régime sera toujours brutal : le système est dit non-linéaire parce que quelle que soit la vitesse d'évolution de la commande (le robinet), la réponse n'est pas une fonction linéaire de la loi de la commande. Ce qui importe alors est le seuil au-delà duquel il y a basculement dans un régime ou un autre, chaque état étant stable à sa manière.
De la même façon, l'atmosphère et les courants océaniques sont maintenus en mouvement par des déséquilibres successifs. Ainsi, la rencontre entre un front d'airair chaud et un front d'air froid provoque une brutale condensationcondensation de la vapeur d'eau, qui est ainsi précipitée au sol sous forme de pluie. De même, le fameux anticycloneanticyclone des Açores n'est pas un anticyclone, mais un flux d'anticyclones en provenance du pôle Nord - un tous les 3 ou 4 jours.
La circulation océanique globale.Source : UNEP/GRID, 2000.
D'autre part, comme nous l'avons dit, l'énergie solaire est l'un des principaux moteurs des écosystèmes. Et à son tour la vie est un facteur essentiel au maintien de la composition chimique de l'atmosphère. Comme J. Lovelock l'a montré, la composition de l'atmosphère terrestre n'est pas à l'équilibre chimique. Ce sont les cycles biogéochimiques qui maintiennent cet équilibre en "pompant" les éléments d'un compartiment de la biosphère à l'autre.
La vie participe donc à la transformation de l'environnement, et ce à des échelles colossales, très supérieures à celles auxquelles le pouvoir humain a accès. Lovelock montre par exemple que la couche d'ozone stratosphérique, qui forme une pellicule empêchant le rayonnement solairerayonnement solaire ultra-violet nocif pour la vie d'atteindre le sol, a été créée par l'activité continue des bactériesbactéries océaniques lors du premier milliard d'années d'existence de la vie. Le rayonnement ne traversant pas l'eau, mais seulement l'atmosphère dépourvue de couche d'ozone, les organismes n'ont pu coloniser les terres émergées que lorsque ces terres ont été protégées. L'oxygène dégagé par les bactéries, et qui continue d'être dégagé par la vie en général, maintient la composition de l'atmosphère à 21% d'oxygène et 78% d'azote - à quoi s'ajoutent les gaz traces tels que les gaz à effet de serre.
Il est à noter que les gaz à effet de serre sont répartis de manière régulière dans l'atmosphère tout autour de de la planète. Si hétérogénéité il y a, elle est soit très temporaire (éruption volcaniqueéruption volcanique par exemple), soit radiale (stratificationstratification selon l'altitude). Le lieu de production des GES importe donc peu, ce qui a une conséquence politique importante : seule la quantité globale d'émissions importe; donc si l'on doit réduire ces émissions, d'un point de vue écologique le lieu de la réduction importe peu.
Le cycle de l'eau. Source : UNEP/ La voie verte 2000
Le carbone suit principalement trois types de chemins dans la biosphère, aux échelle de temps très différentes :
- le cycle "court" qui consiste en la fixation du carbone atmosphérique par les plantes (photosynthèsephotosynthèse) puis son relâchement dans l'atmosphère à la mort des plantes, lors de la décomposition. Ce cycle est de l'ordre du siècle.
- le cycle "moyen", par lequel le carbone des plantes est transformé en matières fossilesfossiles telles que le charboncharbon et le pétrolepétrole; ce cycle, en quelque sorte fortement raccourci par l'Homme, durait déjà depuis quelques dizaines de millions d'années.
- le cycle "long" qui concerne davantage les océans : le phytoplanctonphytoplancton et le planctonplancton, ainsi que différentes plantes et animaux marins, absorbent et fixent le carbone; à leur mort, ils tombent au fond de l'océan et accumulent ainsi une couche carbonée qui peut remonter dans l'atmosphère via les éruptions volcaniques. Ce cycle est plutôt de l'ordre de la centaine de millions d'années, voire du milliard d'années.
Le cycle du carbone.Source : UNEP/ La voie verte 2000
Le climat est donc déterminé par de nombreux facteurs, naturels ou d'origine humaine. Il résulte de la façon dont l'atmosphère redistribue l'énergie du soleil, mais des multiples interactions qui ont lieu dans la biosphère. Cette distribution est donc incroyablement complexe, et on est encore loin d'avoir comprise. Le climat et son évolution mettent en jeu un grand nombre d'échelles de temps et d'espace différentes. La NASANASA par exemple distingue 5 échelles de temps : le milliard d'années (tectonique des plaquestectonique des plaques, variation du champ magnétique terrestrechamp magnétique terrestre etc.), la centaine de millier d'années (âges glaciaires, évolution des espècesévolution des espèces etc.), le siècle (cycles biogéochimiques, courants marins, etc.), l'année (saisonssaisons, ventsvents etc.) et le jour (alternance jour/nuit). Aux échelles de temps se mêlent les échelles d'espace. On peut ici distinguer 3 échelles : l'échelle globale (circulation océanique, circulation atmosphériquecirculation atmosphérique, tectonique des plaques etc.), l'échelle régionale (types de climat tels que climat continentalclimat continental, types de vents tels le scirocco ou l'harmattanharmattan, quantité de végétation, latitudelatitude et longitudelongitude etc.), et l'échelle locale (où l'on prend en compte l'influence des petits éléments tels que les lacs, les vallées, le type de végétation ou les collines). On pourrait aussi ajouter ce qu'on appelle les "micro-climats", qui sont des conditions climatiques particulières sur des zones de l'ordre de quelques décamètres carrés.
On remarque par ailleurs que le cycle du carbonecycle du carbone est capable de supporter très facilement une activité humaine industrielle : on estime ainsi que la biosphère peut recycler 3GtC par an, essentiellement grâce à la biosphère terrestre et à l'activité océanique (phytoplancton). La "pollution" due au CO2 n'est donc pas une pollution "en soi". Elle ne devient une pollution que lorsque les activités humaines injectent davantage de gaz à effet de serre que la biosphère ne peut en recycler, et que l'excédent commence à s'accumuler dans l'atmosphère.
Bien entendu, l'autre moyen de perturber le cycle du carbone est de diminuer ou d'augmenter sa capacité de recyclagerecyclage, par exemple par la diminution de la couverture végétale terrestre (déforestationdéforestation). La capacité de la biosphère à recycler le carbone émis est alors amputée des deux côtés, si on peut dire : diminution du côté "puits" et augmentation du côté "source".
D'autre part, la biosphère est traversée et animée de cycles interdépendants; nous en avons déjà eu un exemple avec le cycle du carbone, mais pour donner une idée du fonctionnement du climat il faut en connaître encore quelques-uns :
- le cycle de l'eau : évaporation, vapeur d'eau sous forme de nuages, pluie et ruissellement sur les surfaces émergées pour retourner dans la mer. Le cycle peut durer quelques jours comme quelques millénaires, dans le cas d'un stockage de l'eau dans des neiges dites "éternelles" ou des glaciersglaciers par exemple.
- le cycle de l'azotecycle de l'azote : l'azote atmosphérique est fixé par les plantes, éventuellement mangées par les animaux, puis il retourne dans le sol via les excréments ou la décomposition, où des bactéries le libèrent et il retourne dans l'atmosphère.
On pourrait aussi ajouter par exemple les cycles de l'oxygène, du phosphorephosphore, du soufresoufre et du potassiumpotassium.
Tous les milieux et tous les vivants sont en permanence traversés par ces cycles : le corps humain a besoin d'oxygène (respiration), de carbone (moléculesmolécules "de constructionconstruction"), de phosphore (élément indispensable à la réplicationréplication de l'ADNADN) et bien sûr d'eau. Lorsque nous buvons et nous mangeons, nous maintenons un cycle qui nous permet de rester en vie et en bonne santé; la variabilité culturelle des modes d'alimentation cache donc une certaine régularité.
3. La corrélation température-CO2
J.-B. de Saussure eut l'idée de l'effet de serre, et Fourier celle du rôle du CO2 dans cet effet de serre. A partir de 1958, Charles Keeling, du Scripps Institute of Oceanography, observe l'augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère. Ses travaux aboutiront à une courbe aujourd'hui fameuse : la « courbe de Mauna Loa », du nom de l'observatoire hawaïen à partir duquel ont eu lieu les mesures (cf. Fig. 5).
La courbe de Mauna Loa
D'un autre côté, on a pu montrer que la température terrestre avait elle-même augmenté de quelques dixièmes de degrés au cours du siècle, et que cette augmentation est particulièrement rapide.
Moyenne des températures globales observées
Enfin, des carottagescarottages effectués dans les calottes polairescalottes polaires ont montré une étrange corrélation entre les courbes des températures moyennes terrestres et celle des taux de CO2. Ces courbes montrent que le taux de CO2 est resté compris entre 180 et 280 ppmv au cours des 160 000 dernières années, et n'a jamais dépassé 280 ppmv depuis 400 000ans. En outre, le taux est stable depuis environ 10 000 ans. Or, comme l'a montré la figure plus haut, nous en sommes aujourd'hui à plus de 360 ppmv.
D'autres types de mesures (roches sédimentairesroches sédimentaires etc.) montrent quand à elles que la planète a pu connaître des taux de CO2 beaucoup plus élevés (ou plus bas), et des températures elles aussi beaucoup plus élevées (ou plus bas) - avec des climats en rapport, c'est-à-dire très différents des climats actuels comme par exemple des niveaux de la mer inférieurs ou supérieurs de quelques centaines de mètres.
Variation de la température et de la concentration en CO2 au cours des 400 000 dernières années.
Le CO2 n'est en outre pas le seul gaz à effet de serre à avoir vu sa concentration augmenter au cours de ces 100 ou 200 dernières années : c'est aussi le cas pour le méthane (+145%), le protoxyde d'azote (+12%) et diverses variétés de gaz chlorés, fluorés et soufrés (CFC, HCFC, SF6, CF4 etc.) qui n'existent pas à l'état naturel. Certains modèles prennent en compte plus de 30 gaz à effet de serre artificiels.
Variation des taux de CO2 et de CH4 dans l'atmosphère depuis l'ère préindustrielle.Source : Hadley Center for Climate Prediction and Research.
Le rapport du GIEC affirme la chose suivante : "Cette évolution n'est vraisemblablement pas d'origine strictement naturelle. Les faits observés - les variations de la température moyenne mondiale de l'air à la surface et du profil spatial, saisonnier et vertical des températures de l'atmosphère en particulier - concordent pour indiquer une influence perceptible de l'homme sur le climat.", et ailleurs "Un faisceau d'éléments suggère qu'il y a une influence perceptible de l'Homme sur le climat global".
Le CO2 étant massivement injecté dans l'atmosphère par les activités humaines, c'est ainsi qu'ont commencé les changements climatiques, induits par le "forçage anthropique de l'effet de serre". Le GIEC estime aujourd'hui ce forçage radiatifforçage radiatif à environ +3 W.m-2, soit environ 1% du flux solaire reçu par la planète. Par ailleurs, tous les modèles affirment que si la causalité existe, ce n'est pas seulement un réchauffement moyen qui se produira, mais une déstabilisation du climat. Tous les modèles donnent alors à voir des conséquences que l'on peut qualifier de "graves", par quoi il faut entendre que l'on estime que beaucoup de "mal" sera fait.
Si la preuve, c'est le changement climatique effectif alors la question de la preuve semble être indissociable de l'existence d'un dommage. Et ce dommage sera irréversible : on ne pourra pas récupérer les GES ni re-stabiliser le climat. On a ici affaire à un risque de dommage grave et irréversible sur l'environnement naturel. C'est donc sur la base du principe de précautionprincipe de précaution que la communauté internationale s'est mobilisée.
Mais qui est le GIEC ? Quelles sont les interactions entre le système climatique et l'Homme ? C'est ce que nous allons examiner maintenant.
4. L'Homme et le système climatique
Le GIEC est un organisme qui ne fait pas lui-même de recherche. Sa mission est plutôt d'expertiser tout le savoir existant sur le climat. Les pays qui négocient des réductions de gaz à effet de serre, qui sont l'élément politique de ce dossier, mandatent le GIEC pour qu'il élabore des rapports d'expertise sur tel ou tel sujet - de la science du climat aux transferts de technologie en passant par les scénarios énergétiques.
Le premier rapport du GIEC, paru en 1990, traitait essentiellement de science du climat. Il a tout d'abord considéré qu'il s'agissait d'un problème d'environnement, un effet secondaire indésirable. Puis sa mission s'est considérablement élargie vers des sujets plus sociaux. Ainsi dans le second rapport paru en 1995, la partie consacrée aux aspects socio-économiques est plus importante, en nombre de pages, que celle consacrée à la science du climat.
i - Quelles sont les causes des émissions anthropiques de gaz à effet de serre ?
Les trois causes principales sont les suivantes : l'emploi des combustiblescombustibles fossiles, la modification de l'occupation des sols (déforestation etc.) et l'agricultureagriculture.
Concernant l'utilisation des combustibles fossiles par exemple, le GIEC estime que la demande mondiale en énergie s'est accrue de 2% par an depuis presque deux siècles. En 1990, elle s'élevait à 385 EJEJ d'énergie primaireénergie primaire consommée, entraînant le dégagement de 6GtC sous forme de CO2, avec la répartition suivante :
Tableau 1 : répartition des émissions de CO2 dans le monde en fonction de différentes activités.Source : GIEC 1995
Tableau 2 : répartition des émissions de CO2 dans le monde en fonction de différents secteurs.Source : GIEC 1995
Répartition des émissions de CO2 dus aux processus industriels dans le monde.Source : UNEP / GRID, 2000.
Répartition des émissions de CO2 dus à la déforestation dans le monde.Source : UNEP / GRID, 2000.
Notons qu'il subsiste de grandes incertitudes sur l'impact de la déforestation., de l'ordre d'un facteur 3, même si on sait que c'est la deuxième source de GES en quantité.
Tableau 3 : principales sources anthropiques de gaz à effet de serre. Source : GIEC 1995
Le cycle du carbone actuel.Source : UNEP / GRID, 2000.
On remarque que la contribution humaine est proportionnellement très faible dans le cycle du carbone : les échanges naturels entre les compartiments terrestres, océaniques et atmosphériques sont de l'ordre de 100 fois plus importants que les quantités émises par les activités humaines.
Par ailleurs, si le lieu d'émission importe peu au point de vue climatique, il importe beaucoup au point de vue de la responsabilité. L'espace géopolitique terrestre, les territoires humains, n'est pas l'espace biophysique. Et les émissions humaines sont très inégalement réparties dans le monde.
Les émissions par tête - monde.Source : GRID/UNEP.
On arrive donc à l'heure actuelle à 1,1 GtC en moyenne par an et par habitant, avec de fortes disparités. Et ceci ne prend pas en compte l'historicité du problème, à savoir que les changements climatiques sont causés par une accumulation de gaz à effet de serre, et non par les émissions directes : une partie du CO2 présent dans l'atmosphère a donc été émis pendant la révolution industrielle européenne... l'examen des causes du "manque de place" biosphérique ne peuvent ignorer cet aspect, que nous retrouverons plus loin.
ii - Quelles sont les tendances de ces évolutions ?
Bien entendu, connaître les chiffres et les faits en "instantané" ne permet pas pour autant de savoir ce qu'il est possible de faire - on ne saurait en déduire les "marges de manoeuvre". Il faut encore connaître les déterminants naturels et sociaux, ainsi que leur inertieinertie.
Le GIEC a donc procédé à une revue de quelques centaines de scénarios qui tentent de donner une image de l'avenir. Il a abouti à 6 scénarios assez contrastés. Ces 6 scénarios constituent la référence en matière de politique de lutte contre l'effet de serre. Ces 6 scénarios ont été réactualisés en 40 scénarios classés en 4 familles dans un rapport sorti dans l'année 2000. On arrive ainsi à certaines données clés :
Les scénarios du GIEC.Source : GIEC 2000.
Les scénarios du GIEC - détail des paramètres. Source : GIEC 2000.
Tous ces scénarios sont "contre-factuels", par quoi il faut entendre qu'il est fort improbable que l'un d'entre eux se réalise tel quel. Le scénario contre-factuel permet de hiérarchiser les priorités en "pesant" la "lourdeur" des décisions nécessaires pour atteindre tel ou tel but. Ce n'est pas de la "prévision sociale", et la science sur lequel il s'appuie n'est pas de la "physique sociale".
Le premier type de scénario est la famille de scénarios "business-as-usual", qu'on traduit usuellement par "scénarios de référence". On devrait plutôt les traduire par "scénarios tout-comme-d'habitude" : il s'agit simplement d'extrapolations à partir des tendances constatées au cours des décennies précédentes, en supposant qu'il n'y a pas de problème d'effet de serre, ni aucun autre problème d'environnement. Ils sont multiples parce qu'ils prennent en compte différentes combinaisons de valeur pour l'évolution des variables principales, à savoir la croissance économique, la population, et la composition de l'approvisionnement énergétique (solaire, combustibles fossiles, biomassebiomasse, etc.), elle-même basée sur des hypothèses sur l'évolution technique. Ces scénarios permet de peser "l'importance" de l'effort de correction nécessaire pour atteindre un objectif environnemental donné. Les autres scénarios sont donc plus ou moins "ambitieux" par rapport au scénario de référence.
Ce qui ressort tout d'abord de l'ensemble des scénarios est l'importance des inerties : on ne peut pas réorienter rapidement tout un système énergétique basé sur une énergie peu chère et dégageant d'importantes quantités de gaz à effet de serre. La durée de vie d'une infrastructure énergétique est de l'ordre de 50 ans, et il n'arrive jamais que l'on construise une infrastructure en une seule fois : la logique de l'infrastructure perdure donc au-delà de sa matérialité. De la même manière, on ne peut pas aisément freiner les tendances démographiques, ni la croissance économique. L'impact d'une nouvelle réglementation thermique sur un parc immobilier, par exemple la NRT française, qui vient d'entrer en vigueur sur les constructions neuves, n'a pas d'impact significatif sur les performances en carbone de ce secteur avant plusieurs décennies - d'où l'importance des mesures à prendre sur le parc ancien.
Ce qui ressort ensuite est le caractère "inquiétant" des tendances. Avec le scénario le plus ambitieux, on arrivera à des émissions de gaz à effet de serre en 2100 de 3 GtC (avec une pointe à 18 GtC en 2050, puis décroissance), et dans le moins ambitieux, les émissions seront encore en forte croissance à plus de 35 GtC, toujours en 2100 - soit 6 fois de taux d'émission actuel. On résume habituellement les déterminants sous la forme d'une équationéquation, dite "équation de Kaya" (ou "identité de Kaya") :
Impact environnemental = (Impact / Activité) x (Activité / PNB) x (PNB / Habitant) x Population.
Unités : CO2 = (CO2 / unité énergétique consommée) x (unité énergétique consommée / $) x ($ / habitants) x population.
Nous verrons que ces scénarios présentent de nombreuses faiblesses.
iii - Quelles sont les conséquences de cette accumulation de gaz dans l'atmosphère ?
Comme nous l'avons déjà souligné, les conséquences dépendent de la sensibilité du climat à l'élévation rapide du taux de CO2. En supposant qu'il y ait une causalité du CO2 à la température moyenne globale, les modèles climatiquesmodèles climatiques donnent, pour l'hypothèse d'un doublement du taux de CO2 en 2100, une fourchette de +1°C à +4,5°C voire +6°C; "Dans tous les cas de figure, le réchauffement se produirait à un taux moyen probablement plus élevé que ce qu'on a connu depuis 10 000 ans".
Au vu de ce que nous avons dit du système climatique, la conséquence la moins probable, pour ne pas dire impossible par principe, est que le réchauffement soit distribué de manière homogène à la surface de la planète. La "température moyenne" est un artefact de calcul que l'on ne voit jamais se produire en réalité. Si l'on suit les modèles, les conséquences devraient être les suivantes : montée du niveau des océans (de 15 à 95 cm), changement du régime des précipitationsprécipitations (plus ou moins de pluies au même endroit), intensification du cycle hydrologique (cycle évaporation-précipitation en moyenne plus rapide), réchauffement plus prononcé la nuit que le jour, l'hiverhiver que l'été, aux pôles et aux tropiquestropiques qu'aux moyennes latitudes, en altitude qu'au niveau de la mer à l'équateuréquateur, et l'inverse aux pôles, et sur les continents qu'au-dessus des océans. Compte-tenu de son inertie, en 2100 l'océan n'aurait progressé que de 50 à 90% vers son nouveau point d'équilibre thermique - donc le niveau continuerait à monter. Il pourrait en outre se produire un ralentissement du Gulf StreamGulf Stream, ce qui modifierait fortement le climat européen. Bien sûr, les glaciers et une partie des pôles fondrait, les courants marins seraient perturbés par le réchauffement global et les perturbations régionales produites par la fontefonte des glaces, les écosystèmes seraient soumis à des contraintes inhabituelles et s'adapteraient ou disparaîtraient. Il y aurait un déplacement des écosystèmes montagneux vers de plus hautes altitudes.
Les conséquences sur les milieux naturels dépendent fortement de la sensibilité des écosystèmes, qui reste très mal connue. Une évolution rapide des milieux est évidemment une menace directe sur la biodiversitébiodiversité. Ainsi les forêts, dont le rythme de migration est assez lent (de 4 à 200 km par siècle), pourraient être en partie détruites - et ceci ne sera pas sans conséquences pour les espèces animales qui en dépendent pour leur habitat. Dans tous les cas, le problème principal est la vitesse du changement, en rapport avec les inerties que nous avons mis en évidence.
Enfin, il faut ajouter le risque de "suprises climatiques", par définition imprévisibles, tant pour ce qui est de la probabilité et du lieu d'occurence qu'en ce qui concerne la magnitudemagnitude possible. Cet aspect du problème retiendra davantage l'attention des scientifiques dans le Third Assessment Report du Giec.
Les résultats des modèles climatiques. Source : Hadley Center for Climate Prediction and Research.
Les impacts potentiels. Source : GRID / UNEP.
iv - Quelles sont les conséquences sur les sociétés ?
La conclusion que le GIEC tire de tous ces changements est claire : "... les divers secteurs de la société doivent s'attendre à être confrontés à des bouleversements multiples et à la nécessité de s'y adapter".
Le premier secteur visé est l'agriculture, dont toutes les sociétés dépendent pour leur nourriture. Un changement dans la régularité des conditions climatique, quel qu'il soit, est rarement bon pour l'agriculture. Les paysans ont un savoir et une organisation largement adaptés à un certain climat, et la nourriture est un besoin primaire essentiel. Et même s'il semble que la production globale doive peu diminuer, il va de soi qu'importer n'est pas équivalent à produire localement : un pays placé dans la dépendance d'un autre au niveau alimentaire est sous l'épée de Damoclès de l'arme alimentaire. Les écosystèmes déjà fortement sollicités, tels que ceux qui sont en voie de désertificationdésertification, ceux qui sont fortement peuplés et/ou fortement pollués sont bien entendu les plus vulnérables. Il y a quand même une probabilité de conséquences positives au niveau agicole : certains pays pourraient voir le rendement de leurs cultures augmentées par l'augmentation du taux de CO2, qui agit comme un engrais pour un certain type de plantes - si les cultures ne soient pas atteintes par les sécheressessécheresses ou les inondationsinondations.
Les infrastructures matérielles devraient elles aussi souffrir, car elles sont elles aussi adaptées à des condition climatiques régulières et relativement prévisibles. Ainsi, si le permafrostpermafrost sibérien vient à fondre, les immeubles ne tiendront pas longtemps debout. De la même façon, tous les ponts, évacuations d'eau, régulation de l'approvisionnement en eau etc. sont construits pour faire face à une certaine régularité dans la variabilité naturelle du climat - pas pour les cas qui sortent de la "fourchette" habituelle, et encore moins pour les "surprises". L'aggravation des sécheresses et des inondations coûtera cher au monde de demain.
Ajoutons à cela que la montée des eaux maritimes devrait entraîner la disparition de certaines terres : 1% de l'Egypte, 17,5% du Bangladesh (cf. Fig 17) et 80% pour l'île Majuro, dans l'archipelarchipel Marshall. Il y aurait 92 millions de personnes menacées avec l'hypothèse d'une augmentation du niveau de la mer de 50 cm, et 118 millions avec l'hypothèse à 95 cm. Une montée du niveau des océans, même faible, aurait aussi pour conséquence la salinisation des deltasdeltas, régions soit très peuplées en populations humaines ou en populations animales parce que très fertiles - et ceci d'autant plus que l'eau des fleuves est pompée en amont pour l'agriculture intensive.
La majeure partie de ces conséquences induiront évidemment des tensions accrues entre les communautés humaines, du fait de ressources naturelles devenant rares, et les rivalités seront exacerbées : eau douceeau douce (trop ou pas assez), surfaces cultivables, etc. , le tout dans une biosphère déjà mise à mal par d'autres problèmes environnementaux : déforestation, désertification, pollution et épuisement des sols, etc. Les événements climatiques hors-normes, quant à eux, qu'il s'agisse de "surprises" ou non aux yeuxyeux des scientifiques, conduiront des secteurs entiers de populations à migrer, s'ils ne peuvent plus vivre sur place et s'ils ne reçoivent pas d'aide pour faire face aux difficultés. Il s'agit donc aussi de risques de déstabilisation des communautés humaines.
Impacts potentiels sur la santé. Source : UNEP / GRID, 2000.
Montée des eaux au Bangladesh.Source : UNEP / GRID, 2000.
Tableau 4 : Impacts sur les rendements agricoles selon les régions Source : GIEC
Les dommages éventuels par causalité directe du changement climatique sur la santé individuelle sont plus difficiles à entrevoir. Le climat ne tue pas directement. On peut néanmoins prédire que les vaguesvagues de chaleurchaleur feront augmenter la mortalité, et que les maladies infectieuses véhiculées par les insectesinsectes des pays chauds, telles que le paludismepaludisme, fièvrefièvre denguedengue, fièvre jaunefièvre jaune, remonteront vers le nord de quelques centaines de kilomètres. Les inondations et autres événements mal gérés ou mal gérables par les organisations humaines provoqueront ce qu'ils provoquent déjà aujourd'hui : malnutrition, épidémiesépidémies de choléracholéra par mélange entre eau potable et excréments, etc.
Au point de vue économique, et dans l'hypothèse d'un doublement du taux de CO2 en 2100, le GIEC estime que ces dommages coûteront entre 1 et 2,5% du PIBPIB mondial par an, entre -0,5 à 2% du PIB de l'OCDEOCDE (-60 à +240 milliards de pertes), entre 2 à 6% pour les pays en voie de développement. Ce sont les hypothèses les plus conservatrices : d'autres études montrent des tendances plus "inquiétantes", comme la courbe des coûts annuels liés aux dégâts dus aux tempêtestempêtes, qui pourrait conduire à un coût de 100% du PMB en 2065. Il faut bien dire cependant que cet aspect du problème n'est guère creusé, et seuls quelques équipes dans le monde travaillent dessus - la plupart sur des estimations économiques, et quasiment aucune sur l'anticipation des conséquences sociales ou politiques. En outre, nous le verrons plus loin, ces analyses présentent de nombreuses faiblesses.
Augmentation des pertes dues aux catastrophes naturelles.Source : UNEP / GRID, 2000.
v - Quels sont les moyens de diminuer les émissions ?
D'après le GIEC, il faudrait diminuer immédiatement de 50 à 70% pour stabiliser les concentrations à leur niveau actuel. Il est donc un peu tard pour l'envisager : il aurait fallu s'en inquiéter avant. D'autant que, comme on l'a vu, l'hypothèse était disponible depuis un siècle.
Les mesures techniques cependant ne manquent pas, même si les analystes sont assez loin d'être d'accord sur leur efficacité et sur le potentiel de chacune d'entre elles. Elles se répartissent en quatre catégories :
- les moyens permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre : économies d'énergie, changement du mix énergétiquemix énergétique (pour des énergies moins carbonées), dématérialisation de la production (moins de carbone par point de PNB produit), le progrès technique (rendements), des transports moins consommateurs et des infrastructures incitant moins au déplacement, efficacité énergétique, développement des énergies renouvelablesénergies renouvelables (solaire, biomasse, éolien, hydraulique, géothermique par exemple), etc.
- les solutions permettant de stocker les gaz à effet de serre : essentiellement d'une part la séquestration du CO2 dans les anciens gisementsgisements pétrolifères (il y a des expériences menées actuellement), et d'autre part le changement dans l'utilisation des sols et foresterie (les sols et arbresarbres stockent du CO2; on peut donc planter des arbres pour stocker le carbone par exemple), toutes deux fortement contestées - y compris sur le plan scientifique.
- la prospective : stimulationstimulation de la recherche-développement et de l'observation, etc.
- les politiques et mesures : réorientation de la fiscalité, accords volontaires, gestion de la demande en énergie, éducation, sensibilisation, information, et bien sûr la coopération internationale.
Pour ce qui est du cas particulier de la France, le Plan National de Lutte contre les Changements Climatiques (PNLCC) prévoit un certain nombre de mesures. Citons les principales : relance de la politique de maîtrise de l'énergie (augmentation du budget de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie à cet effet), une écotaxe (dans le cadre de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes), relèvement de la Taxe Intérieure sur les Produits PétroliersTaxe Intérieure sur les Produits Pétroliers pour ramener peu à peu le prix du gasoil à celui de l'essence, mesures. Il est aussi envisagé de mettre en oeuvre un marché de permis d'émission pour une partie du secteur industriel.
On notera la faiblesse du chapitre 'gouvernance' dans le PNLCC : l'approche est très technocratique, essentiellement par les taxes et la réglementation - de même que le rapport de GIEC. Alors qu'il semble que le problème soit de nature structurelle, presque rien n'est prévu pour permettre aux citoyens de s'approprier des problématiques, auxquelles ils seront pourtant tôt ou tard confrontés.
D'une manière générale, les modèles qui partent d'un inventaire des techniques sont en général très optimistes sur le potentiel de réduction des émissions; les modèles macro-économiques sont quant à eux assez pessimistes sur l'accessibilité de réductions d'émissions à moindre frais. En effet, les modèles techniques surestiment la "viscositéviscosité" sociale et la rapiditérapidité du changement, alors que les modèles macroéconomiques sous-estiment le changement technique et n'anticipent pas les ruptures.
Ainsi, il serait possible techniquement mais très coûteux de remplacer le système énergétique rapidement, et la plupart des analystes, mais pas tous, estiment que ce serait trop cher; mais d'ici 2100 le système énergétique mondial aura été remplacé deux fois, ce qui doit pouvoir laisser une marge de manoeuvre au fur et à mesure du remplacement des équipements.
Notons qu'il est possible que ce qui était "trop cher" aujourd'hui devienne accessible demain, par exemple si les catastrophes climatiques augmentent; on peut aussi douter de la possibilité de "remplacer" un système énergétique au motif que son taux de remplacement a été estimé à 50 ans : ceci témoigne d'une conception purement instrumentale de la technique, alors qu'il ne s'agit que des aspects techniques d'une organisation sociale et économique - et c'est bien cela qu'il faut modifier.
Au point de vue des rendements, les économistes estiment qu'on devrait pouvoir les augmenter au niveau mondial de 10 à 30%, voire même de 50 à 60% dans certains pays, pour un coût négatif ou nul. D'autres parlent de potentiels beaucoup plus élevés. Mais encore une fois, il ne faut pas perdre de vue que ce sont les émissions totales à l'échelle d'une communauté politique qui font problème, et seulement de manière seconde les émissions par outil singulier; il faut donc s'assurer par exemple que la fabrication de l'outil ayant un meilleur rendement ne produit pas elle-même davantage d'émissions.
Un exemple de ce genre de solution à courte vue : la "voiturevoiture à air comprimé", qui n'a rien d'une voiture "à air", sinon localement - il faut en effet de l'énergie pour comprimer l'air, à quoi on peut ajouter qu'avec un tel système il y a désormais deux transformations énergétiques (énergie -> air, air -> roues), donc un rendement inférieur, et donc vraisemblablement davantage d'émissions au total pour la même quantité de déplacement.
D'autre part, bon nombre de solutions sont loin de faire l'unanimité.
L'une des solutions les plus controversées est l'augmentation de la part d'énergie produite par le nucléaire. Le GIEC envisage ceci sous conditions : le passage au nucléaire est envisageable "si des réponses généralement acceptables peuvent être apportées à des préoccupations telles que celles qui concernent la sécurité des réacteurs, le transport et l'élimination des déchetsdéchets radioactifs et la prolifération des combustibles nucléaires". Ajoutons qu'une politique nucléaire n'aurait pas d'impact significatif sur le système énergétique mondial avant au moins 50 ans, et que les capacités permettant de produire massivement des réacteurs sont encore à construire. La tendance aujourd'hui est plutôt à un fort ralentissement de l'industrie du nucléaire, le cas français ne devant pas faire illusion.
L'utilisation des forêts et des sols comme "puits de carbonepuits de carbone" est elle aussi controversée : outre les doutes sur le plan scientifique (combien et pour combien de temps le carbone sera-t-il stocké ?), les pays du Sud craignent qu'on vienne leur dicter comment utiliser leurs forêts, les indigènesindigènes craignent qu'on ne les chasse de leur territoire, les environnementalistes craignent pour la biodiversité (si on remplace les forêts primaires par des plantations d'eucalyptuseucalyptus), etc.
Parmi les politiques et mesures proposées, si la plus controversée est sans doute le système des permis d'émission négociables, que nous examinerons plus loin, la plus problématique est sans doute l'idée selon laquelle les pays en voie de développement devraient choisir une "autre voie de développement". Nous reviendrons sur cet aspect ultérieurement.
Comme le commente un peu laconiquement le GIEC : "La mesure dans laquelle les possibilités technologiques et l'efficacité économique seront concrètement réalisées va dépendre d'initiatives visant à remédier à la pénurie d'informations et à surmonter les obstacles culturels, institutionnels, juridiques, financiers et économiques qui peuvent s'opposer à la diffusiondiffusion des techniques et à l'évolution des comportements" - ce qui témoigne d'une conception de la société pour le moins technocratique, comme nous l'avons noté plus haut dans le cas des scénarios.
Il faut aussi faire attention à ne pas résoudre une question en contribuant à accroître les problèmes dans un autre secteur : ainsi les "puits de carbone", en admettant qu'ils puissent avoir un effet significatif, pourraient accroître les problèmes liés à la déforestation, à la biodiversité et à la gestion de forêt. De même, le recours au nucléaire accroîtrait le risque d'avoir à négocier un "Kyoto nucléaire" dans quelques décennies. B. Dessus identifie ainsi quatre risques à conserver à l'esprit dans toute orientation des politiques énergétiques : le changement climatique, l'épuisement des combustibles fossiles, les déchets nucléairesdéchets nucléaires, et la concurrence dans l'utilisation des sols (le sol utilisé pour produire de l'énergie ne peut plus l'être pour produire de la nourriture par exemple) - à quoi nous ajouterions volontiers quelques autres aspects, comme la gestion durable des sols (pollution, épuisement, biodiversité etc.).
Notons enfin que toutes ces stratégies doivent pouvoir être révisables, compte-tenu des incertitudes : "le problème n'est pas de définir aujourd'hui la meilleure politique pour les 100 ans à venir, mais de choisir une stratégie avisée et de l'adapter ultérieurement à la lumièrelumière des progrès des connaissances."
5. Entre faits et incertitudes
Nous avons jusqu'ici exposé ce qui est reconnu comme étant "les faits", et laissé entrevoir les incertitudes. Pour présenter le problème d'une manière suffisamment complète, il faut davantage développer l'aspect incertain de toutes ces "données".
Notons encore une fois que "incertain" n'est pas synonyme de "risqué" : gagner à la loterie est incertain mais ne met en danger personne - sauf si la personne a vendu sa maison pour jouer. Le risque fait l'objet d'une évaluation morale et politique; sa gravitégravité est fonction à la fois de l'importance qu'on attache à ce qui est risqué, et de la nature de ce qui le menace (dommage ? destruction ?). L'incertain est de l'ordre du fait, quand le risque est de l'ordre moral de l'engagement, de l'action. Ainsi, on entourera d'un maximum de précaution une chose à laquelle on attache beaucoup d'importance, sans toutefois jamais réussir à éliminer tout risque. Exposer les incertitudes de la science du climat, ce n'est donc pas encore évaluer les risques que ces incertitudes peuvent masquer.
Les modèles mathématiques qui permettent de simuler l'évolution du climat, tout d'abord.
Rappelons qu'un modèle est une abstraction du réel : le comportement de la biosphère est ramené à un ensemble d'équations que l'on calibre (ce qui signifie qu'on leur donne une référence particulière) et que l'on fait artificiellement évoluer dans le temps (selon un "pas" de temps). Le modèle est alors d'autant plus "fidèle" au réel qu'il le représente avec précision.
Un certain nombre de faiblesses permet cependant de douter de la qualité de cette fidélité.
Tout d'abord, les modèles sont particulièrement myopes, ce qui résulte de la précision de la "discrétisation" : par cette opération, l'atmosphère, voire les océans, sont arbitrairement découpés en parallélépipèdes (presque) rectangles, appelés "mailles", aux angles desquels on va calculer les paramètres climatiques tels que la température, la vitesse du vent, etc. L'intérieur des mailles est régi par des équations de mécaniques des fluides, de thermodynamique, ce qui permet de passer d'une maille à l'autre en calculant la variation des paramètres à chaque fois. Mais voilà : avec les ordinateursordinateurs les plus puissants, l'utilisation d'une maille de quelques centaines de kilomètres de côté pour une simulation sur un siècle, ce qui est quand même un minimum en termes d'horizon temporel, conduit quand même à un calcul qui prend plusieurs mois pour être effectué. Et autant dire qu'une telle maille ne permet pas de prendre en compte les reliefs, ni la végétation, ni les nuages, facteurs qui sont cependant d'une grande importance pour "le temps qu'il fait" en local - le seul qui nous intéresse, finalement. En un mot, les modélisationsmodélisations globales, avec ou sans couplage océanique, sont encore trop grossières. Elles permettent de saisir uniquement les phénomènes globaux, et ont peu de sensibilité pour les détails plus locaux. La conséquence est qu'une prévision locale des changements climatiques est impossible.
Ensuite, certaines rétroactions pourraient avoir été négligées. Citons quelques hypothèses à ce sujet. Il se pourrait ainsi que le méthane contenu dans le permafrost soit brutalement relâché, entraînant une rétroaction positive par injection massive de gaz à effet de serre dans l'atmosphère; le cas est similaire avec les conséquences de la destruction d'écosystèmes à cause des changements des milieux, et donc relâchement de CO2 par décomposition. La modification de la circulation océanique pourrait de même déstabiliser l'AntarctiqueAntarctique, et entraîner une fonte massive des glaces - et par voie de conséquence une remontée du niveau des mers de quelques mètres de plus. Les immenses incertitudes sur la circulation océanique profonde pourraient elles aussi se révéler désastreuses. Il est par contre possible qu'il y ait des rétroactions négativesrétroactions négatives aussi - et que le climat soit moins sensible qu'on ne le pense. Compte-tenu des connaissances actuelles, toute hypothèse en ce domaine relève plus de l'intuition, de l'indice, comme dans une enquête policière, que de la science. Notons enfin dans ce chapitre que la science du climat et les hypothèses de travail sont en gros la même pour tout le monde : les modèles pourraient donc être tout simplement faux; il pourrait y avoir "unanimité dans l'erreur".
Il y a incertitude aussi sur les différents paramètres utilisés pour calibrer les différents facteurs de causalité dans les modèles. On a habituellement recours à des observations pour calibrer et vérifier les modèles, y compris climatiques; mais dans le cas du climat on se heurte à deux problèmes de principe : tout d'abord, comme nous l'avons déjà montré, le climat n'est pas linéaire et a une histoire - ce n'est donc pas une "mécanique" prévisible -; ensuite, l'expérience que l'Homme est en train de mener avec la biosphère n'a pas d'équivalent observable dans le cosmoscosmos : la planète Terre est unique, et toute expérience ne peut être dissociée d'un risque que l'on fait peser sur elle. De nombreux paramètres restent donc incertains faute d'observation, et sont davantage issus de calculs dont les experts jugent les résultats "probables et réalistes" que d'observations rigoureuses. Ci-dessous l'exemple de la mesure de la contribution des différents gaz au forçage radiatif.
Le pouvoir de forçage radiatif des gaz et les incertitudes. Source : UNEP / GRID, 2000.
Les données actuelles sur les sociétés humaines sont elles aussi assez lacunaires - les inventaires des émissions actuelles par exemple. Le GIEC a commencé à travailler pour mettre au point des méthodes homogènes afin que les inventaires soient comparables. Remarquons qu'il se mêle ici un facteur politique : identifier qui "pollue" revient facilement à désigner le coupable; il y a donc des tensions politiques importantes dans ce genre d'étude, comme nous le verrons plus loin.
Un quatrième type d'incertitude a trait aux caractéristiques de certaines rétroactions - et cette incertitude cependant ne recoupe pas tout à fait le premier type examiné plus haut. En effet, c'est une chose de dire que certains facteurs pourraient avoir été négligés, ou simplement être inconnus, et c'en est une autre de dire que l'effet de certaines rétroactions est tout simplement impossible à modéliser, pour cause de non-linéarité. C'est ce qu'on nomme "l'effet papillon", exemple imagé d'un battement d'ailes de papillon en Australie qui provoquerait, par suite d'un "hasard" d'amplifications successives, un cyclonecyclone en Floride. Il ne s'agit pas ici d'un cas impossible : comme nous l'avons déjà souligné, le climat évolue normalement par déséquilibres successifs. Pour arriver à modéliser le climat, il faudrait donc en théorie une précision infinie des modèles - ce qui ne sera évidemment jamais le cas. Les chercheurs avouent d'ailleurs que les modèles ne devraient pas apporter grand-chose de plus d'ici 10 ans pour ce qui est de la précision des prévisions globales. Du reste ceci est une caractéristique très commune des systèmes thermodynamiques : "en cas de forçage rapide, les systèmes non-linéaires sont particulièrement susceptibles de comportements imprévisibles".
Un cinquième type d'incertitudes porteporte sur les différents scénarios mis au point par le GIEC ou d'autres organismes tels que l'IIASA ou le CMECME. Les hypothèses sur les scénarios visant à donner une image du futur et des marges de manoeuvre et des efforts pour y arriver varient fortement selon les auteurs, en particulier les hypothèses sur l'évolution technique et les capacités des économies à continuer de croître tout en réduisant leurs émissions. Les opinions vont des techno-optimistes (ex : Ausubel, Grübler) et économico-optimistes (GIEC) aux techno-pessimistes (Agarwal) et économico-pessimistes (les assureurs !), en passant par ceux qui nient toute réalité au changement climatique (Fred Singer) - un exemple d'état des lieux détaillé en la matière peut être trouvé dans un article de l'institut étasunien Resources for the Future.
Ces hypothèses sont centrales pour évaluer le coût des des impacts et les politiques. Le GIEC par exemple a délibérément exclu les scénarios de type "catastrophe" ou "surprise climatique", considérés comme marginaux et donc "non-représentatifs". Et pourtant : avec la chute de l'URSS, l'Ukraine émet aujourd'hui 60% de CO2 en moins par rapport à 1990, et les îles Marshall, lorsqu'elles auront disparu sous les flots, n'émettront plus rien. Si les surprises sont difficiles à anticiper, il reste indispensable d'essayer de les penser afin de mettre en oeuvre des moyens techniques réalistes : le cas paradigmatique ici est l'énergie nucléaire, qui fait implicitement le pari de la perennité d'un confinement matériel et politique des déchets (que les générations futures devront assurer) - or quand on voit ce que l'Europe est devenue en deux siècles, politiquement parlant, il y aurait toutes les raisons d'être moins optimiste... Quant au confinement matériel définitif, on ne peut pas dire qu'il soit encore en vue - pas plus que la désintégration rapide des déchets.
Il est à noter aussi que la focalisation sur l'aspect économiques des coûts conduit à de nombreuses impasses : l'impossible 'valeur' des écosystèmes, les controverses sur le coût de la vie humaine, l'incapacité à prévoir des coûts autres que marginaux, etc.
Nous reviendrons en détail sur ces aspects ultérieurement.
6. Conclusion
A travers cette présentation du changement climatique, sous un aspect consensuel, nous avons déjà commencé à voir apparaître bon nombre de controverses. Le changement climatique est en effet un problème socialement construit, et ceci à plus d'un titre.
C'est l'Homme qui en est la cause, tout d'abord - ou, plus exactement, ce sont différentes sociétés qui en sont la cause, et ceci à des titres différents. Ce sont les sociétés qui l'observent, ensuite, et qui observent aussi qui est cause de quelle quantité d'émissions. Chacun est donc toujours quelque peu enclin à sous-estimer sa contribution et dénigrer son voisin. En outre, les sociétés sont inégalement pourvues des moyens d'observation du climat. Ce sont les sociétés qui vont y faire face, et qui auront à le résoudre, enfin, et là aussi toutes ne sont pas également armées. Ce n'est pas un hasard si la plupart des études d'impact, d'adaptation et de dommages prennent les Etats-Unis pour objet d'analyse.
Ajoutons en outre que le changement climatique n'est pas le seul aspect de la crise environnementale dans laquelle sont entrées nos sociétés.