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Quel outil utiliser pour faire parler les glaces ?

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Les éléments oxygène et hydrogène possèdent chacun plusieurs isotopes stables (oxygène 16 et 18 - O16 et O18- et hydrogène et deutérium - H et D- respectivement; ils diffèrent par leur nombre de neutrons. Ainsi la molécule d'eau possède-t-elle plusieurs formes selon q'un atome d'oxygène 18 remplace un atome d'oxygène 16 ou bien qu'un atome de deutérium remplace un atome d'hydrogène.

Camp de forage sur le glacier sommital du San Valentin, au fond le San Lorenzo. Pour la première fois, plusieurs carottes de glace ont été extraites d'un glacier patagonien, le San Valentin (Chili, 47 degrés sud) culminant à 3900 m, dans le cadre du projet Sanvallor soutenu par l'ANR où sont impliqués l'unité de recherche Great Ice de l'IRD, le LSCE, le LGGE, le LMTG et notre partenaire chilien, le CECS.<br />© Patrick Ginot - IRD

Camp de forage sur le glacier sommital du San Valentin, au fond le San Lorenzo. Pour la première fois, plusieurs carottes de glace ont été extraites d'un glacier patagonien, le San Valentin (Chili, 47 degrés sud) culminant à 3900 m, dans le cadre du projet Sanvallor soutenu par l'ANR où sont impliqués l'unité de recherche Great Ice de l'IRD, le LSCE, le LGGE, le LMTG et notre partenaire chilien, le CECS.
© Patrick Ginot - IRD

Ces différentes formes de la molécule d'eau ont des masses et des symétries différentes, ce qui induit un comportement différent lors des changements de phases qui ont lieu au cours du cycle de l'eau atmosphérique (évaporation de la surface des océans, condensation le long de la trajectoire des nuages depuis les tropiques jusqu'aux pôles, formation de cristaux de glace en altitude ou au-dessus des pôles, recyclage de la vapeur d'eau via la transpiration par la végétation sur les continents, etc).

Ainsi, lors d'un changement de phase, les molécules d'eau vont se redistribuer entre les différents réservoirs (vapeur, gouttes d'eau, cristaux), c'est ce qu'on appelle le fractionnement isotopique. Par exemple, en s'évaporant, la surface de l'océan crée une vapeur d'eau légèrement enrichie en molécules d'eau légères (H2O16) par rapport aux molécules lourdes (HDO ou H2O18) qui restent préférentiellement dans la phase condensée.

Au cours de son voyage, cette masse d'air va se refroidir en s'élevant lors des ascendances liées aux systèmes convectifs, et par conséquent son contenu en vapeur d'eau va se condenser. A chaque condensation, la vapeur d'eau s'appauvrit encore un peu plus en molécules lourdes, qui quittent la masse d'air définitivement emportées par la précipitation. Ainsi comprend-on que plus les pluies sont intenses au cours du voyage de la masse d'air, plus les neiges précipitant sur les sommets andins sont appauvries en molécules lourdes.

L'équipe franco-chilienne de forage au sommet du San Valentin. De gauche à droite : Patrick Ginot, Marko Rodrigues, Patrick Wagnon, Robert Gallaire, Stephan Houdier et Gino Casassa. Pour la première fois, plusieurs carottes de glace ont été extraites d'un glacier patagonien, le San Valentin (Chili, 47 degrés sud) culminant à 3900 m, dans le cadre du projet Sanvallor soutenu par l'ANR où sont impliqués l'unité de recherche Great Ice de l'IRD, le LSCE, le LGGE, le LMTG et notre partenaire chilien, le CECS.<br />© Patrick Ginot - IRD

L'équipe franco-chilienne de forage au sommet du San Valentin. De gauche à droite : Patrick Ginot, Marko Rodrigues, Patrick Wagnon, Robert Gallaire, Stephan Houdier et Gino Casassa. Pour la première fois, plusieurs carottes de glace ont été extraites d'un glacier patagonien, le San Valentin (Chili, 47 degrés sud) culminant à 3900 m, dans le cadre du projet Sanvallor soutenu par l'ANR où sont impliqués l'unité de recherche Great Ice de l'IRD, le LSCE, le LGGE, le LMTG et notre partenaire chilien, le CECS.
© Patrick Ginot - IRD

L'intérêt, pour nous climatologues, est que ces fractionnements sont régis par les conditions de température et d'humidité qui règnent lors de ces changements de phase et qui contrôlent aussi les quantités de précipitation disponible. Ainsi, en connaissant bien la physique des fractionnements nous pouvons retracer les conditions climatiques dans le passé en étudiant la composition isotopique des précipitations passées, soient des glaces et des glaciers, c'est à dire le rapport entre le nombre de molécules lourdes et de molécules légères dans un échantillon d'eau.

Pour comprendre la finesse des fractionnements isotopiques et obtenir des relations exploitables entre la composition isotopique des glaces et les paramètres climatiques, nous utilisons une hiérarchie de modèles dans lesquels le cycle atmosphérique des isotopes de l'eau est représenté à travers les lois du fractionnement isotopique. Les modèles les plus simples simulent l'appauvrissement en molécules d'eau lourdes des masses d'air comme une simple distillation de Rayleigh. Les modèles les plus complexes sont les modèles de climat couplés océan-atmosphère utilisés pour les prévisions du climat futur et dans lesquels nous avons ajouté le cycle des isotopes. Entre ces deux types de modèles, nous utilisons des modèles adaptés aux régions que nous étudions qui représentent plus précisément l'orographie par exemple ou alors des modèles conceptuels qui décortiquent l'influence des divers processus locaux (voir dans la section suivante le modèle représentant les systèmes convectifs tropicaux).

L'analyse de la composition isotopique des carottes de glace se réalise <br />par spectrométrie de masse. Bénédicte Minster (à gauche) et Françoise <br />Vimeux (à droite) discutent devant un des spectromètres de masse du <br />LSCE des résultats de l'analyse des échantillons de la glace du San <br />Valentin en oxygène 18.

L'analyse de la composition isotopique des carottes de glace se réalise
par spectrométrie de masse. Bénédicte Minster (à gauche) et Françoise
Vimeux (à droite) discutent devant un des spectromètres de masse du
LSCE des résultats de l'analyse des échantillons de la glace du San
Valentin en oxygène 18.

Enfin, la méthode que nous utilisons pour mesurer la composition isotopique des glaces est la spectrométrie de masse. Cet appareil utilise le principe de la loi de Lorentz qui dit qu'un champ magnétique appliqué sur des molécules chargées est capable de les dévier suivant leur masse. Ainsi, nous distinguons les molécules lourdes des molécules légères et pouvons déduire le rapport isotopique d'un échantillon. Nous n'introduisons pas directement l'eau des glaciers dans ces appareils. Pour la mesure du rapport H2O18/ H2O16, nous utilisons l'échange isotopique connu entre l'eau et le dioxyde de carbone. Une fois ce dernier équilibré isotopiquement avec l'eau, il est introduit dans le spectromètre de masse. L'échange isotopique entre l'eau et le dioxyde de carbone ne dépend que de la température, que nous contrôlons, il nous est donc facile de remonter à la composition de l'eau initiale à partir de la composition isotopique du dioxyde de carbone mesurée par le spectromètre. Pour la mesure du rapport HDO/ H2O16, nous réduisons l'eau sur de l'uranium chauffé. C'est le gaz hydrogène résultant qui est introduit dans le spectromètre de masse puis le principe est le même.

Les rapports isotopiques sont mesurés par rapport à un standard international et sont donnés en pour mille d'appauvrissement par rapport à ce standard. Pour l'eau, le standard international appelé V-SMOW est la composition isotopique moyenne de l'eau de mer, par définition à zéro pour mille.