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L'homme d'église, la lettre et le chiffre
Il y a une spécificité de l'Amérique latine en histoire du climatclimat issue de son histoire coloniale : le poids des religieux en sciences ; l'importance du secteur minier qui s'installa souvent en haute montagne près des gisementsgisements d'or, d'argent et de pierres précieusespierres précieuses ; l'intérêt des récits d'explorateurs, etc. Nous ne développerons ici que le premier point de vue, certes pour des raisons de place, mais aussi parce qu'il nous paraît le plus intéressant.
Gravure de Cieza de León montant le Potosi de la fin des années 1540, la première connue et publiée en 1553.
Fonds de l'Archivo y Biblioteca Nacionales de Bolivia.
© Alain Gioda / IRD, avec l'autorisation de l'ABNB. - Reproduction et utilisation interdites
Suite légende : C'est le boom de l'argent qui va faire créer une série de villes-champignonschampignons dont Potosi à 4000 mètres d'altitude. L'Europe va voir décupler son volume d'argent et donc connaître le décollage économique. Pour se faire, les Espagnols importèrent ou mirent au point le meilleur de la technologie de l'époque. L'amalgamation de l'argent nécessitant beaucoup d'eau, ils firent creuser canaux et barrages pour alimenter l'industrie minière. D'où, une source importante d'informations car si cette eau venait à manquer, la production argentifère aurait été en danger et il y avait un échange de correspondance entre les différents corps dont ceux de l'Etat qui était, en premier chef, intéressé par la production monétaire dans toutes les cités produisant aussi de l'or et des pierres précieuses.
Le quasi-monopole des religieux jusqu'au XVIIIe siècle dans le domaine des études est la caractéristique de ce monde pouvant sembler fermé sur lui-même mais on aurait tort de faire trop de simplification et d'émettre des jugements de valeurs définitifs sur le rôle des Indiens, des religieux ou des scientifiques en Amérique du Sud.
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Cette carte de la Province de Potosi datée de 1787 est l'oeuvre de l'historien et administrateur paraguayen de l'empire espagnol Cañete. Le nord est situé au bas de la carte car son auteur a mis bien sa carte orientée vers le Pôle Sud. Elle montre particulièrement tous les chemins qui reliaient la grande cité de l'argent au monde tant vers l'Océan Pacifique la ville d'Arica ou la route du poisson, la route vers La Paz, puis Cusco, et ensuite Lima classiquement la route de l'argent, du mercure et de la coca, la route de Cochabamba qui fournissait les vivres et enfin celle de l'Argentine jusqu'à Buenos-Aires d'où venaient particulièrement le bois et les mules. Fonds de l'Archivo y Biblioteca Nacionales de Bolivia.
© Alain Gioda / IRD, avec l'autorisation de l'ABNB.
L'exemple de la quininequinine sera choisi pour montrer le fil d'Ariane qui les relie. Les Indiens s'étaient rendus compte par l'expérimentation des vertus contre les fièvresfièvres (du paludismepaludisme) de l'écorce de quinquina, un petit arbrearbre poussant sur les versants orientaux de la cordillère des Andes. Les jésuites, lors de leurs missions, reconnurent son pouvoir curatifcuratif et, par le biais de leurs entrées à Rome et par le grand renom de la plante, à la suite des soins apportés à la marquise de Cinchon, l'épouse du vice-roi des Indes de Lima en 1638, il l'introduisirent en Europe et ailleurs sous les tropiquestropiques sous le nom d' « herbe des jésuites ».
Carte datée de 1887 du franciscain Nicola Armienta de l'ensemble du réseau fluvial du Béni (bassin de l'Amazonie) dont la colonisation par les Boliviens est essentiellement due au boom du quinquina puis à celui du caoutchouc après l'épisode des missions jésuites du XVIIIe siècle.
© Cliché de Jean-Claude Roux / IRD. - Reproduction et utilisation interdites
A partir du XVIIIe siècle; les scientifiques s'en emparèrent et la quinine permit la colonisation par les nations occidentales de la zone intertropicale en améliorant de façon drastique la santé des populations. Il y eu un boom du quinquina entre 1820 et 1870 dans les Andes pour la récolte des écorces des spécimens sauvages, cela avant son pillage par les Occidentaux qui créèrent des plantations homogènes loin des boisbois à quinquinas de l'Amérique Latine, son berceau. La quinine permit la colonisation européenne de toutes les zones tropicales et sub-tropicales basses à la fin du XIXe siècle.
L'explorateur Luigi Balzan quelque part en brousse avec ses compagnons (vraisemblablement au Paraguay à la fin des années 1880). Il est au centre et porte chapeau.
© Cliché : fonds du Musée Municipal de Badia Polesine (Vénétie, Italie).. Reproduction et utilisation interdites
1 - La lettre - L'histoire du climat au travers des archives paroissiales
Au Mexique et à partir de son expérience espagnole, mon Collègue Gustavo Garza du groupe ARCHISS a distingué pour la ville de Mexico et ses environs, 5 types différents de sécheressessécheresses, classées en ordre croissant, selon le degré de manifestations religieuses :
- petite sécheresse avec prières silencieuses ou à voie basse dans une seule église de la ville ;
- sécheresse plus importante caractérisée par des prières à haute voix haute dans une ou plusieurs églises ;
- sécheresse notable avec neuvaine sans procession de foi dans le sanctuaire de la Vierge des Remèdes ou dans la cathédrale de Mexico ;
Schéma montrant l'importance et l'utilisation scientifique d'un type spécifique de prière la rogation qui sollicite l'intervention du Très Haut pour la reprise des pluies, lors des sécheresses.
© Gustavo Garza, UNAM - Reproduction et utilisation interdites
- sécheresse très importante causant neuvaine et procession dans le sanctuaire de la Vierge des Miracles ou procession sans neuvaine dans la capitale ;
- sécheresse exceptionnelle marquée par le transfert du sanctuaire de la statue de la Vierge des Miracles jusqu'à la capitale du Mexique et une procession solennelle de la paroisse de Santa Vera Cruz jusqu'à la cathédrale de Mexico.
Schéma montrant tout ce que l'on peut extraire des différents types des rogations, des prières spécifiques qui sollicitent l'intervention de Dieu pour la reprise des pluies, lors des sécheresses.
© Gustavo Garza, UNAM - Reproduction et utilisation interdites
Pareil travail reste à effectuer dans les Andes à partir du dépouillement déjà avancé des archives du sanctuaire de Guapulo de Quito (Equateur).
2 - Le chiffre - Les observatoires jésuites et la météorologie moderne
Peut-être, le premier scientifique sud-américain de valeur fut le jésuite argentin Buenaventura Suarez qui bâtit un observatoire astronomique performant avec les moyens du bord dans la mission paraguayenne de Cosme et Damien dès la première décennie du XVIIIe siècle et, qui pendant quarante ans, mena une correspondance avec les savants du monde entier. Mais, la météorologiemétéorologie moderne ne coïncida qu'avec le retour des jésuites dans la seconde moitié aux Amériques, après leur expulsion de 1767.
Aucune tendance n'apparaît dans l'évolution des pluies annuelles pendant plus d'un siècle de La Paz selon la batterie de tests statistiques du logiciel KhronoStat. Le test de Pettitt (dérivé de celui de Mann-Whitney), la statistique U de Buishand et les ellipses de contrôle font apparaître pour chaque test que l'hypothèse nulle (absence de rupture) est acceptée aux trois seuils de confiance retenus de 90, 95 et 99%. Une rupture donc un changement du régime annuel des précipitations correspondrait à la sortie des enveloppes d'une partie de la courbe.
© Données de l'Observatoire jésuite de San Calixto avec la permission du R. P. Drake. Elaboration : Yann L'Hôte / IRD. Reproduction et utilisation interdites
Une kyrielle d'observatoires s'égrena du Nord au Sud et, pour ne rester que dans le monde andin, citons ceux de Bogota, de Quito, de La Paz et SucreSucre. Celui de La Paz en Bolivie offre une série continue d'observations de qualité depuis 1891. On peut en déduire l'absence de changement du régime des précipitationsprécipitations depuis plus d'un siècle puisque les totaux annuels de pluies appartiennent toujours à la même population statistique et le poids aussi fort du phénomène La NiñaLa Niña (ou anti-El NiñoEl Niño marqué par le renforcement du courant froid de Humboldt) que celui de El Niño lors des périodes de sécheresses c'est-à-dire que toute anomalieanomalie climatique, au niveau régional de l'Amérique du Sud, entraîne un déficit de pluies plus ou moins sévère dans cette région des Andes centrales.