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Il existe un lien entre la température de formation de la neige et sa composition isotopique. De ce constat est né la notion de « thermomètrethermomètre isotopique », qui permet de prendre la température qu'il faisait il y a 3.000 ou 800.000 ans.
Le profil de composition isotopique de la glace est analysé de façon continue et détaillée en fonction de la profondeur et donc de l'âge de la glace, ce qui permet de reconstituer la courbe climatique de référence des forages profonds.
Pour les projets Vostok et Dome C (voir page 4 de ce dossier), l'obtention de la courbe climatique est prise en charge par l'équipe de Saclay, en France, qui privilégie l'analyse du deutérium, en partie parce qu'elle dispose de spectromètres de masse dédiés à l'analyse de cet isotope, grâce aux équipes techniques du service d'Étienne Roth qui en ont assuré le développement et la fabrication. Pour des raisons similaires, l'oxygène 18 sert de référence pour les forages réalisés au Groenland, le laboratoire de Willi Dansgaard ayant construit un spectromètre de masse très performant pour l'analyse de cet isotope.
La base antarctique Concordia n'est accessible qu'en avion. La liaison est interrompue pendant l'hivernage lorsque les températures descendent à -80 °C. © Esa, Ipev, PNRA
Température de formation de la neige et composition isotopique
La relation étroite entre la température de formation de la neige et sa composition isotopique (deutérium ou oxygène 18) dans les précipitationsprécipitations récentes (voir la figure 1 de la page 2 de ce dossier) a donné naissance à la notion de « thermomètre isotopique ». De façon empirique, l'hypothèse est faite que cette relation, observée pour le climatclimat d'aujourd'hui, s'applique à un enregistrement obtenu en un site donné, et donc pour des climats éloignés de nous dans le temps. Mais cette hypothèse mérite d'être confirmée : il suffit que l'origine ou la saisonnalité des précipitations se modifie au cours des âges pour qu'elle devienne caduquecaduque. La seule façon de lever cette ambiguïté, et plus généralement d'exploiter la richesse des informations isotopiques dans tous les contextes (formation des précipitations, hydrologiehydrologie, paléoclimatologie...), est d'être en mesure de modéliser les processus de fractionnement isotopique des molécules d'eau à chaque étape du cycle de l’eau.
Les deux premières étapes concernent l'évaporation à la surface de l'océan et la formation des précipitations dans les différents systèmes nuageux (convectifs ou stratiformesstratiformes). Leur modélisationmodélisation a été l'objet de nombreux développements au LGI (Laboratoire de géochimie isotopique), les nuagesnuages à grêle constituant un cas d'école extrêmement intéressant, car différentes composantes y cohabitent et se modifient isotopiquement : gouttelettes, gouttes et cristaux de glace. Mais il fallait franchir une troisième étape tenant compte de la complexité de la dynamique de l'atmosphèreatmosphère ; elle l'a été grâce à l'introduction des formes isotopiques de l'eau dans les modèles de circulation générale de l'atmosphère, qui intègrent cette complexité. Ces modèles isotopiques donnent accès non seulement à la répartition des précipitations, mais aussi à leur contenu en isotopes, qui peut-être comparé aux analyses isotopiques réalisées en de nombreux points du globe.
La notion de « thermomètre isotopique » justifiée en Antarctique
La voie a été ouverte par Sylvie Joussaume qui, au début des années 1980, a mis au point une version isotopique du modèle du Laboratoire de météorologiemétéorologie dynamique. Cette approche aux multiples applicationsapplications a depuis été adoptée par la plupart des équipes de modélisation de l'atmosphère. Elle est particulièrement intéressante en paléoclimatologie, car il est aisé de réaliser des simulations isotopiques pour des climats différents - climat actuel, climat du DMG (dernier maximum glaciaire) il y a 20.000 ans - et de tester la validité de la notion de « thermomètre isotopique ». Celle-ci s'est révélée justifiée en AntarctiqueAntarctique : dans la région du Dome C ainsi que dans celle de Vostok, la diminution de la teneur en deutérium entre la période actuelle et la période glaciairepériode glaciaire est très proche de celle observée dans les neiges de surface pour une même différence de température.
Le continent antarctique et la position de la station scientifique Concordia Dome C. Maintenir la station en activité pendant l’hiver polaire nécessite sept personnes. © Esa, Ipev, PNR
En revanche, ces valeurs diffèrent jusqu'à un facteur 2 au centre du Groenland, ce qui signifie que, lorsqu'on utilise les observations de surface pour évaluer le refroidissement du DMG, on sous-estime ce dernier de ce même facteur. Les simulations isotopiques indiquent que cette différence est liée à une modification de la saisonnalité des précipitations, fortement influencée par la présence au DMG d'une calotte glaciairecalotte glaciaire sur l'Amérique du Nord. De tels changements de saisonnalité n'affectent pas notablement les précipitations en Antarctique car, au DMG, la topographie de ce continent n'était pas notablement différente de celle d'aujourd'hui.