La vie est apparue dans les océans, mais comment ? Une nouvelle étude suggère qu’elle aurait émergé des cheminées hydrothermales en profondeur, ces mystérieux fumeurs, d’où elle se serait ensuite échappée…

Les profondeurs des océans cachent bien des mystères. Il se pourrait même que ce qui se passe à plus de 4.000 m de profondeur soit à l'origine de la vie ! À proximité des dorsales océaniques, sous l'effet de la tectonique des plaques, se forment des sources hydrothermales, souvent nommées fumeurs. Ce sont des sortes de cheminées qui éjectent un fluide très chaud, porté à plus de 350 °C. Deux types de fumeurs existent, les noirs et les blancs : une distinction due à la nature du fluide qu'ils éjectent. À une telle profondeur, il n'y a pas de lumière, donc pas de photosynthèse. Pourtant, en 1977, le submersible américain Alvin découvrait que la vie abonde autour de ces fumerolles.

Cette découverte avait à l'époque profondément chamboulé les connaissances de la biologie. Il était alors difficile d'envisager que la vie macroscopique puisse se développer sans lumière. Depuis, la recherche a avancé et ces fumeurs sont désormais au centre des recherches sur l'origine de la vie. De la roche, de l'eau, un fluide basique (d'un pH supérieur à 7) et riche en hydrogène : c'est une excellente recette pour que la vie puisse apparaître, d'après quelques laboratoires de recherche. Nick Lane de l'University College London (Londres, Royaume-Uni) et William F. Martin de l'université de Düsseldorf (Allemagne) avancent que les premières cellules vivantes sont apparues autour des fumerolles et se sont échappées par la suite pour se développer dans le reste de l'océan.

L'étude, publiée dans le journal Cell, se base sur l'analyse de bactéries et d'archées qui vivent dans des conditions extrêmes. « Leur biochimie semble émerger des conditions de vie au niveau des fumeurs », explique Nick Lane. Les deux chercheurs pensent que la vie est apparue grâce aux pompes ioniques des cellules, des protéines qui régulent le flux d'ions à travers la membrane de la cellule.

Un fumeur noir, <em>The Brothers</em>, situé au large de la Nouvelle-Zélande et observé en 2007 par le robot américain Quest 7. La vie abonde autour de ces sources thermales, malgré l’absence de lumière. © NOAA

Un fumeur noir, The Brothers, situé au large de la Nouvelle-Zélande et observé en 2007 par le robot américain Quest 7. La vie abonde autour de ces sources thermales, malgré l’absence de lumière. © NOAA

Un mécanisme naturel de variation ionique

L'énergie dont a besoin un organisme pour vivre est issue de l'adénosine-5'-triphosphate (ATP). Cette molécule centrale du métabolisme cellulaire représente un vecteur d'énergie. Pour la produire et la stocker, il existe dans les cellules une enzyme, l'ATP synthase, que l'on trouve chez les bactéries, les archées, ainsi que dans les mitochondries des cellules d'eucaryotes et des chloroplastes des végétaux. Elle catalyse la synthèse d'ATP en se servant de l'énergie tirée de la différence de concentration d'ions de part et d'autre d'une membrane. Mais pour qu'il y ait un flux, il faut qu'il y ait un gradient, une différence de concentration, entre le milieu extérieur et la cellule. La présence d'un gradient de concentration nécessite des protéines capables de pomper activement les ions dans la cellule, faute de quoi l'équilibre ionique entre le milieu extérieur et l'intérieur de la cellule serait vite atteint. 

Nick Lane et Bill Martin pensent que lorsque l'eau à pH basique à proximité des cheminées entre en contact avec l'eau plus acide de l'océan, une variation naturelle de la concentration en protons se produit. Sur les parois des fumeurs, on trouve de fines couches minérales poreuses riches en sulfures de fer et aux propriétés catalytiques. Cette multitude de cavités microscopiques fournirait de bonnes conditions pour convertir du dioxyde de carbone et de l'hydrogène en molécules organiques. Ces dernières peuvent réagir entre elles pour former des molécules clés de la vie, comme les nucléotides ou les acides aminés. Les cavités favoriseraient des variations du taux de protons et concentreraient les molécules organiques simples, permettant ainsi la synthèse de structures organiques plus complexes.

Ces protocellules, minérales, auraient donc abrité les premiers signes de vie sur Terre. Elles auraient conduit à la mise en place des réactions biochimiques de base exploitant un gradient de concentration ionique pour la formation de l'ATP. Ce mécanisme aurait ensuite pu fonctionner de part et d'autre d'une membrane, ces protocellules pouvant alors se passer des fumeurs. Les bactéries et les archées vivant en conditions extrêmes utilisent justement des protéines qui contiennent du sulfure de fer pour convertir l'hydrogène et le dioxyde de carbone en molécules organiques.