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Avec ses 4 m et ses 75 kgkg pour les individus connus les plus imposants, le poulpe Haliphron atlanticus n'est pas ridicule à côté du géant officiel, l'octopode géant du Pacifique nord, Enteroctopus dofleini. Cependant, il vit loin sous la surface et n'a été vu que de rares fois. Que mange-t-il ? Les biologistes n'avaient que quelques contenus d'estomacestomac à leur disposition, montrant que cette pieuvre pélagiquepélagique apprécie les siphonophores, ces curieux organismes pouvant (exceptionnellement) atteindre les 40 m et qui sont en fait des colonies d'animaux. Un autre estomac contenait une petite méduse et une crevette.
C'est pourquoi les biologistes de l'aquarium de Monterey (Californie, États-Unis) ont été heureux que leur ROV (véhicule téléguidé), Doc Ricketts, rencontre en 2013 une femelle par 378 m de fond, dans le canyon situé près de l'aquarium. Pour voir la vidéo en anglais, cliquez ici.
La distinction entre les sexes est facile car, dans ce groupe, les mâles sont bien plus petits et un de leurs huit tentacules est de taille réduite et caché, enroulé dans une poche près de l'œilœil droit (l'organe leur sert au moment de l'accouplement à porter le spermatophore sur l'orifice génital de la femelle).
Le poulpe retient entre ses tentacules les restes d'une méduse, de couleur jaune (visible sur l'image de droite). Il n'a donc mangé que la partie centrale du cnidaire, conservant sur lui la couronne de filaments urticants, blanchâtres. © H. J. T. Hoving et S. H. D. Haddock, Nature
Une pieuvre mangeuse de méduses
Cette pieuvre-là retenait entre ses huit tentacules une curieuse forme jaunâtre. Dans un article tout juste paru dans Nature, deux chercheurs, dont l'un travaille à l'aquarium de Monterey, expliquent avoir identifié cette forme : c'est ce qui reste d'une grande méduse, Phacellophora camtschatica, large de 29 cm. Elle est aussi surnommée « œuf au plat », car la partie supérieure de son ombrelle, assez plate, est bombée au centre et l'intérieur est jaune...
C'est une méduse de ce genre qu'a mordue la pieuvre H. atlanticus. Elle en a dévoré la partie centrale, où se trouve la cavité digestive et, donc, les proies capturées par le cnidaire. Cependant, elle ne s'est pas contentée de ce repas. Le reste de l'ombrelle de la méduse, ainsi que la couronne de tentacules venimeuxvenimeux, est resté appliqué sur la face ventrale de l'octopode. Les scientifiques pensent qu'il y a là une astuce : le poulpe conserverait contre lui ces filaments dangereux, garnis de cnidocystes, l'arme des méduses.
La pieuvre de l’espèce Haliphron atlanticus a déjà été vue plusieurs fois. Ici, un individu rencontré en 2008 au large de Hawaï par Sylvia Earle. © Our Ocean, YouTube
La vie méconnue des abysses
Est-ce une stratégie pour se protéger ou bien pour chasser ? Les biologistes l'ignorent mais cette transformation d'une méduse en outil est connue d'autres octopodes. D'ailleurs, expliquent-ils, l'histoire ne dit pas comment la femelle a capturé cette méduse, qui vit plus près de la surface. Elle a pu la chasser vivante en montant la nuit à plus faible profondeur, mais elle a peut-être saisi le cadavre de la méduse qui descendait vers le fond.
Pour les océanographes, l'observation donne un nouvel éclairage sur les écosystèmes des abysses, si mal connus. Avec leur valeur nutritive ridicule, les méduses ne semblaient pas constituer des proies de choix. Pourtant, les poulpes les apprécient, peut-être pour leur contenu stomacal ou pour les nutrimentsnutriments qu'elles contiennent tout de même, ou encore parce qu'elles leur servent d'armes. Comme ces octopodes sont eux aussi des proies pour des grands poissons ou des cétacés, voilà les méduses davantage intégrées aux rouages de la vie abyssale.
Ce qu’il faut
retenir
- Une rencontre très rare avec un poulpe géant, au large de la Californie, a révélé un comportement inconnu chez cette espèce.
- Cet octopode consommerait des méduses et utilise peut-être pour son propre compte les cellules urticantes de sa proie, appelées « cnidocystes ».