Sais-tu quel animal, petite fusée de plumes aux couleurs flamboyantes, est le cauchemar des poissons ? Aujourd’hui, on va parler du martin-pêcheur d’Europe, dans Bêtes de Science.
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Prends tes jumelles et des chaussures étanches, aujourd'hui, on va se balader en zone humide ! Même si, par le passé, les humains en ont effacé plusieurs du paysage car ils les trouvaient gênants, ces espaces bien particuliers, qu'ils soient mares, marais ou bras de rivières, sont des réserves de biodiversité à protéger. Ils servent de refuge à une multitude de plantes et d'animaux qui dépendent entièrement de la quantité d'eau qui s'y trouve.
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Nous sommes en Bretagne, au marais de Pen Mané, à Locmiquélic, non loin de Lorient. Sitôt passé le panneau de ce site naturel protégé, qui rappelle quelques règles de bonnes conduites, nous avançons sur un chemin aménagé. Ce sentier a été tracé pour éviter que nous ne mettions les pieds n'importe où. Là bas, au loin, ce trait bleu horizontal que tu vois ; c'est la mer, et de part et d'autre, où nous avançons, c'est un marais qui nous entoure. En plus de l'étendue d'eau, on voit des petits îlots recouverts de végétation, et au-delà, c'est la forêt !
Autant te dire que c'est le paradis ici pour de nombreux oiseaux. Les migrateurs y font escale : en hiver, avocettes, vanneaux huppés, spatules et canards variés y reposent leurs ailes fatiguées. En été, ce sont de nouveaux habitants que l'on peut y croiser ! Des hautes plantes émergentémergent de l'eau, comme les joncs ou les roseaux. Ces végétaux prêtent leur nom à ce paysage typique, que l'on appelle... une roselière. Et là ! Tu vois ces petits oiseaux qui bondissent entre les grandes tiges ? Il y en a plein !
Regarde, comme ils sont agiles. Si leur petite taille et leur couleurcouleur plutôt fade ne les fait pas sortir du lot, c'est une autre affaire avec leurs noms à rallonge : rousserolles effarvattes, panures à moustachesmoustaches et autres phragmites de joncs règnent en maître ici ! Tiens, tu l'entends ? Lui, c'est la marotte des fans d'oiseaux ; c'est un mâle gorgebleue à miroirmiroir qui donne de la voix ! Regarde aux jumelles ! Il est juché tout en haut du roseau et chante aussi fort qu'il le peut en montrant son beau plastron bleu et orange pour attirer les femelles. On ne peut pas le louper !
Beau comme un joyau
Notre héros du jour, toutefois, n'est pas la gorgebleue mais un petit oiseau, lui aussi paré d'une tenue éclatante. Avançons légèrement, pour sortir des roseaux, et nous approcher de l'eau. Il adore les coins poissonneux et il a ses petites habitudes. Une fois qu'il a repéré un bon perchoir, c'est facile de l'y retrouver. Je l'ai vu il y a quelques jours, si l'on attend un peu, il devrait repasser ! Oh ! tu l'entends ? Ce cri strident c'est lui. Il défend son territoire et vole à pleine vitessevitesse au-dessus de l'eau pour rappeler à tout le monde qu'il est chez lui. Il faut un bon coup d'œilœil pour le voir car il file comme un bolidebolide. Là, tu le vois ? La mini-fuséefusée bleue au ras de la surface ? Et hop, comme prévu, il s'est perché sur une branche d'arbrearbre mort, juste au-dessus de l'eau. Tiens, profitons qu'il soit posé pour mieux l'observer. Prends les jumelles pour apprécier ses couleurs d'un peu plus près.
Pour sûr, le martin pêcheur d'Europe, de son nom latin Alcedo atthis ne passe pas inaperçu ! Avec ses couleurs chatoyantes, on croirait voir un oiseau exotiqueexotique ! C'est le seul membre de sa famille, les Alcedinidae, à vivre ici, en Europe. Et si certains de ses cousins américains ou africains sont plutôt costauds, notre petit martin-pêcheur européen ne mesure que 16 centimètres de long, en moyenne, la taille de ma main ! Avec sa forme ronde et sa queue courte, on dirait une petite boule hyperactive ! Son corps trapu est d'un bleu turquoise étincelant, et le dessous de son cou et de son ventre apparaissent d'un roux lumineux. Et si tu regardes bien, tu pourras apercevoir une tâche blanche sur son cou de chaque côté de sa tête ainsi que sur sa nuque. Tu as vu aussi comment son plumage brille ?
Aussi étrange que cela puisse paraître, il y a bien des pigments roux dans ses plumes, mais pas de bleu. C'est l'architecture microscopique de ses plumes qui joue avec la lumièrelumière pour lui donner une teinte tantôt bleu ciel, turquoise ou vert. On appelle ça une couleur structurelle et on la retrouve chez pas mal d'animaux qui présentent du bleu. C'est dingue, non ? Et regarde un peu son becbec, qui ressemble à la lame d'un poignard. Si tu l'étudie avec attention, tu pourras connaître le sexe de son porteur. Si le bec est entièrement noir, c'est un Martin, si le dessous de son bec est orange, c'est une Martine ! Pratique !
Un pêcheur hors-pair !
Mais ce petit oiseau n'est pas uniquement beau, c'est aussi un pêcheur hors pair ! C'est de là qu'il tient son nom : nos voisins britanniques l'appellent même kingfisher, le roi pêcheur ! Regarde-le, il tend le cou et fixe la surface de l'eau. Il a dû repérer son futur repas... Hop, il décolle et plonge en piqué ! Il ressort quelques instants plus tard, et se repose sur la même branche, avec un petit poissonpoisson dans le bec. Mais ne crois pas que l'affaire soit bouclée pour autant. Même s'il est petit, l'écailleuxécailleux n'a pas vraiment envie de finir dans le gosier de l'oiseau et il se débat comme il peut. Notre martin passe donc aux choses sérieuses. Il tape le poisson contre son perchoir pour l'étourdir. Une fois, deux fois, trois fois ! Et paf ! Ensuite, il doit veiller à l'orienter dans la bonne direction, la tête dirigée vers son gosier pour réussir à l'avaler sans dommages et en une seule fois. Et gloups, englouti !
Notre oiseau ne fait pas le difficile et mange tous les poissons qu'il peut attraper : perches, gardons, ombres, vairons... et même des brochetsbrochets, les prédateurs des rivières ! Mais bien sûr, il ne pêchepêche que des petits formats ! Impossible pour lui d'avaler un poisson de plus de 10 centimètres de long. La majorité de ses trophées mesurent entre 4 et 7 centimètres seulement. S'ils sont plus petits, sa langue est trop courte pour les pousser vers son gosier, et plus gros, c'est l'étouffement assuré ! Il doit donc compenser la petite taille de ses repas par une pêche... soutenue. Plus de 10 poissons par jour en moyenne ! Et à la mauvaise saisonsaison, ça peut être plus. Pour résister au froid, il lui faut manger la moitié de son poids chaque jour, quel boulot !
Pour arriver à ses fins, il lui faut bien viser. Tout comme le poisson-archer dont je t'ai déjà parlé, qui doit ajuster son crachat quand il est sous l'eau pour atteindre les insectesinsectes à la surface, le martin-pêcheur, lui, doit repérer finement ses proies sous-marines. Et en étant placé au-dessus de la surface, il voit toujours les poissons un peu décalés par rapport à leur position réelle. À lui de calculer le bon angle pour frapper efficacement ! Il doit aussi faire vite, car il ne peut pas rester sous l'eau longtemps. Une fois sous la surface, une paupière spéciale, opaque et légèrement bleutée, vient recouvrir son œil. Elle le protège mais réduit aussi considérablement ce qu'il voit. Il frappe donc à l'aveuglette et attrape tout ce qui se trouve à la portée de son bec.
Heureusement pour lui, vu qu'il vise bien, c'est souvent un poisson ! Grâce à l'airair emprisonné sous ses plumes, il remonte rapidement à la surface, comme un ballon. Impossible pour lui de plonger profondément, comme le fou de Bassanfou de Bassan ou le cormoran. Il ne pêche qu'à 1 mètre de profondeur, grand maximum, et se limite souvent à 25 ou 30 centimètres d'eau. Tiens, d'ailleurs, notre plongeur repart pour un tour. Et plouf ! Il replonge. Dommage, cette fois, il remonte bredouille... Ça ne marche pas à tous les coups. Il décolle à nouveau comme une fusée et s'éloigne à toute vitesse en poussant un petit cri perçant. Il doit sûrement visiter un autre de ses reposoirs. Bonne chance, petite flèche bleue !
Comme tu as pu le voir, et même s'il peut aussi grignoter quelques insectes ou têtardstêtards, le martin-pêcheur européen dépend énormément de la quantité de poisson disponible. Pour lui, la période la plus compliquée de l'année est sans aucun doute l'hiver. Car oui, il ne part pas en migration, contrairement à d'autres oiseaux qui passent la mauvaise saison au chaud. En restant sur place, les individus conservent leur territoire, qui est une ressource précieuse pour se trouver des amoureux et des amoureuses, et fonder une famille au printemps suivant. Le hic, c'est que, si l'hiver est très froid, les cours d'eau peuvent geler, et les poissons deviennent alors inaccessibles. Même l'automneautomne peut être compliqué ! S'il pleut beaucoup, l'impact des gouttes d'eau trouble la surface et il devient impossible d'observer les poissons. Si les conditions sont trop rigoureuses, ces chasseurs pourtant hors pair peuvent tout simplement mourir de faim ! Même s'il est protégé partout en France et en Europe, et que sa population semble stable depuis les années 2000, ce petit oiseau reste très dépendant de l'état des rivières et marais où il vit. Or, comme je te le disais, ces écosystèmesécosystèmes sont très sensibles aux activités humaines et à la pollution de l'eau. Il faut donc rester vigilants pour garder les zones humides en bonne santé, et pour que les martins-pêcheurs continuent longtemps leurs courses-poursuites au ras de l'eau !
Un terrier en guise de nid
Pêcheur talentueux, mini-fusée colorée, le martin-pêcheur est plutôt du genre solitaire. Il défend farouchement son territoire contre les intrus et ne tolère la compagnie de ses congénères que quand il s'agit de faire des bébés. Et crois-moi, en la matièrematière, notre martin est un champion de séduction ! Pour charmer sa belle, le mâle lui offre de délicieux poissons, qu'il lui tend, la tête vers l'extérieur, pour qu'elle les déguste facilement. Si elle accepte son offrande, c'est comme s'ils se disaient « oui » ! Le couple ne part pas du tout en lunelune de miel mais il se met aussitôt à l'ouvrage pour creuser dans les berges... un terrier. Eh oui ! Nos oiseaux ne font pas de nid, ils jouent les terrassiers !
Et tu t'en doutes, ce n'est pas franchement pratique de creuser un tunnel sans pouvoir se poser ! Les martins volètent sur place, comme des colibris, pour entamer la rive et retirer de la terreterre ; et ce n'est qu'une fois qu'ils peuvent poser les pattes au sol qu'ils se mettent à creuser un long couloir en ligne droite. Le couple pousse le surplus de terre vers l'extérieur en faisant marche arrière et en utilisant leur petite queue comme une pelle. Et hop ! Ils évacuent les gravatsgravats. Il leur faut parfois creuser pendant près de deux semaines, sans arrêt pour aménager leur refuge. Ça en fait du travail ! D'autant qu'être chef de chantierchef de chantier, ça ne s'improvise pas. Bien choisir l'emplacement de l'abri est vital : s'il est trop haut, les prédateurs pourront atteindre l'entrée du tunnel depuis le haut de la rive, et s'il est trop bas, l'eau risque de monter et de l'inonder. Tout le monde risquerait de se noyer. Au bout du couloir, les parents creusent une chambre à coucher où ils installent leurs petits. Mais attention à ce que les œufs ne roulent pas en dehors du nid ! Il faut aménager un tunnel bien droit ou incliné de la bonne façon pour éviter qu'ils ne tombent. La femelle pond directement sur le sol de la chambre entre 5 et 7 œufs tous blancs par couvéecouvée. Chez les martins, on a forcément des familles nombreuses !
Une vie de famille intensive
Les parents se relaient pour les couver, puis pour les nourrir, une fois qu'ils sont sortis de l'œuf, avec de minuscules poissons d'à peine un ou deux centimètres, adaptés à leur gabarit riquiqui. Les bébés martins adoptent une stratégie unique : ils s'adossent les uns contre les autres, et forment un cercle qui tourne sur lui-même comme un drôle de manège. L'oisillon qui se trouve en face du tunnel d'entrée d'où arrive le parent reçoit à manger. Il se retourne, le croupion vers l'extérieur, et hop, expulse un jet de fientefiente, qui dévale l'entrée du tunnel. D'ailleurs, c'est aussi comme ça que l'on peut repérer un nid de martins-pêcheurs. Les crottes blanches des petits finissent par habiller la rive ! Le poussin, une fois ses besoins satisfaits, reprend sa place dans le cercle et fait un pas de côté. Le poussin suivant, situé à sa gauche, se décale en même temps et se trouve à présent en bonne position pour se faire nourrir à son tour. Ainsi, tout le monde obtient sa ration, sans dispute, ni chamaillerie ! Bien joué !
Le terrier des martins n'est pas franchement du genre rutilant. Outre la coulée de fiente qui s'accumule avec le temps, les petits gourmands laissent des traces de leurs repas. Comme les rapacesrapaces qui recrachent des boulettes formées des poils et des os de leurs proies, les martins-pêcheurs expulsent des pelotes remplies d'arêtes de poissons. Ça peut nous paraître peu ragoûtant, mais ces restes sont très utiles pour les scientifiques ! Ils permettent de mieux connaître leur menu. Les espècesespèces de poissons choisies, leur quantité mais aussi des indices plus inquiétants comme les micro-plastiquesplastiques, qui apparaissent petit à petit dans ces boulettes...
Mais, ce qui est tout à fait surprenant, c'est que bien souvent, la maman martin s'éclipseéclipse alors que ses bébés sont encore au nid. Le père assure seul le ravitaillement. Je te laisse imaginer le boulot quand il faut nourrir 7 bébés affamés en continu ! Où va-t-elle ? Est-ce qu'elle goûte un repos bien mérité, les pattes en éventail ? Pas du tout ! Elle aménage un autre terrier et pond une nouvelle fournée d'œufs ! Quand la première génération de poussins devient indépendante, le père rejoint sa compagne et l'aide à nourrir les nouveaux bébés. Les martins-pêcheurs sont extrêmement productifs. En une saison, de mars à septembre, ils peuvent ainsi enchainer 3 à 4 nichées, ce qui fait plus de 20 bébés au total ! Mais ils sont aussi intransigeants. Les jeunes martins qui savent voler sont rapidement chassés du territoire de leurs parents, car leurs nouveaux bébés ont besoin de poisson, et deux nichées ne peuvent pas être nourries en même temps. Ils sont ainsi virés sans ménagement : ouste ! Les jeunes ados doivent souvent errer, chassés par tous les adultes du coin qui ont leurs propres petits à nourrir jusqu'à espérer trouver un territoire libre. Dur, dur, la vie d'adulte.
On pourrait penser qu'avec de telles familles, les martins-pêcheurs pullulent dans nos cours d'eau. Mais il n'en est rien ! Le taux de survie des petits est très faible. La moitié d'entre eux meurt malheureusement dans les deux semaines qui suivent leur sortie du nid. Certains se noient en pêchant, se font attraper par des prédateurs ou n'arrivent pas à se nourrir correctement. C'est pour cela que les martins font plein de bébés plutôt que de passer beaucoup de temps à s'en occuper ou à les former. Pas le temps de flâner ! Le petit oiseau bleu est toujours pressé !