Pourquoi y a-t-il tant de variétés de couleurs et de formes chez les oiseaux, les mammifères ou les insectes ? A cause de la sélection sexuelle, répondait Charles Darwin. Pas seulement, affirment aujourd'hui Gregory Grether et Christopher Anderson, de l'Université de Californie.

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    Une demoiselle mâle de l'espèce Hetaerina occisa avec des marques colorées à la base et à l'apex de ses ailes. © UCLA

    Une demoiselle mâle de l'espèce Hetaerina occisa avec des marques colorées à la base et à l'apex de ses ailes. © UCLA

    Les deux chercheurs ont étudié le comportement d'espèces de demoiselle du genre Hetaerina, pour découvrir finalement que la coloration des robes des mâles ne relevait pas d'une affaire de coquetterie visant à séduire les femelles. Elle leur permet aussi de distinguer les mâles de leur espèce, donc leurs concurrents, de ceux d'autres espèces qui ne tenteraient pas de séduire leurs femelles. Inutile en effet de se fatiguer, donc de s'affaiblir, à chasser ces simples étrangers. Mieux vaut se consacrer entièrement à la séduction et à la compétition avec les vrais Don Juan.

    Déjà en 1962, le zoologistezoologiste et éthologiste Konrad LorenzKonrad Lorenz avait énoncé que l'incroyable diversité de couleurscouleurs des poissons des récifs coralliens devait provenir de mécanismes de sélection mis en place pour éviter de lutter contre les mauvais concurrents. « Cette idée n'a jamais réellement attiré le niveau d'attention qu'elle méritait en biologie de l'évolution » souligne Gregory Grether, de l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA), co-auteur de l'étude.

    Un habit qui fait le moine

    Les travaux de ces scientifiques américains ont montré que les mâles se comportaient moins agressivement avec des mâles de leur espèce lorsque leurs ailes étaient artificiellement colorées pour imiter des mâles d'une autre espèce présente sur leur territoire. Les demoiselles se reconnaissent donc à leurs ornements colorés. Selon Gregory Grether, « que cette capacité ait évolué en conséquence d'une sélection contre les agressions interspécifiques est fortement suggéré par le fait que dans les lieux où les autres espèces n'étaient pas présentes, les mâles ne faisaient pas la distinction [entre leurs concurrents et ceux qui étaient artificiellement travestis] ».

    <em>Hetaerina titia</em> mâle, dont l’apparence a été utilisée pour berner des mâles de <em>Hetaerina occisa</em>. © UCLA

    Hetaerina titia mâle, dont l’apparence a été utilisée pour berner des mâles de Hetaerina occisa. © UCLA

    En effet, s'il n'y a pas de relations de prédation ou de concurrence pour les ressources, il n'y a aucune raison d'interagir agressivement entre espèces. L'évolution devrait donc, selon les chercheurs, favoriser des mécanismes pour que ces espèces puissent se différencier. Ce mécanisme sélectif favoriserait par conséquent la différenciation morphologique (ici la couleur) entre les espèces.

    Pour généraliser ces observations, Gregory Grether, Christopher Anderson et le modéliseur Kenichi Okamoto ont élaboré un modèle mathématique pour prédire les conséquences de la rencontre d'espèces aux mêmes caractères sexuels secondaires. Ce modèle, dont les résultats sont publiés dans le journal Biological Reviews de novembre 2009, montre une évolution rapide de ces caractères et comment les animaux identifient leurs concurrents.

    Pour Gregory Grether, ce processus évolutif est un élément important de l'évolution des espècesévolution des espèces mais l'agressivité interspécifique est encore trop peu étudiée. Peut-être parce que ce mécanisme est difficile à différencier d'un autre processus, la sélection pour éviter non pas d'agresser une autre espèce mais de s'accoupler avec elle. Faire l'amour, pas la guerre, mais avec la bonne espèce !