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De nouveau, une étude montre que les singes peuvent, dans une certaine mesure, articuler des sons. Comme le rappellent les articles développés ci-dessous, les analyses de l'appareil vocal des macaques et les prouesses sonores de Koko, le gorille femelle apprivoisée, avaient mis à mal l'hypothèse classique qui veut que la physiologie empêche les primates non humains de parler. La position du larynxlarynx, explique-t-on, est basse chez l'Homme alors qu'elle est haute chez nos cousins et même chez les bébés ainsi que chez l'Homme de Néandertal.
Une équipe française vient de la bousculer une nouvelle fois avec une étude minutieuse sur des babouins, en analysant 1.400 vocalisations chez 15 animaux de la Station de primatologie du CNRS à Rousset-sur-Arc, près d'Aix-en-Provence. Les résultats, publiés dans la revue Plos One, indiquent que les babouins font davantage que pousser des cris. Ils savent prononcer distinctement cinq voyelles, ou du moins cinq vowel like segments, ou VLS, des sons ressemblant à nos voyelles et correspondant à peu près à a, è, i, o et ou.
Quelques-uns des babouins observés durant cette étude, à la Station de primatologie du CNRS à Rousset-sur-Arc, où les animaux vivent en semi-liberté. © Caralyn Kemp et Julie Gullstrand, Laboratoire de psychologie cognitive (CNRS, AMU).
Les babouins savent dire waouh
Mieux, les singes sont capables d'en prononcer deux successivement : ils savent dire « waouh »... Par ailleurs, l'analyse par dissection de la langue de deux babouins (morts de causes naturelles, précise l'équipe) a démontré que sa musculature est très semblable à celle d'une langue humaine, ce qui doit bien lui permettre de prononcer des « VLS » malgré un larynx haut.
Ce n'est donc pas la position de cet organe chez Homo sapiens qui a enclenché l'apparition de la parole. Elle aurait pu apparaître plus tôt. La préhistoire du langage parlé doit donc être revue. « Les données suggèrent des liens évolutifs entre les vocalisations des babouins et les systèmes phonologiques humains. Plus généralement, les langues parlées auraient pu évoluer à partir d'anciennes compétences articulatoires déjà présentes chez notre dernier ancêtre commun Cercopithecoidae, il y a environ 25 millions d'années », explique un communiqué de presse du CNRS. En 2012, Joël Fagot, qui fait partie de ces chercheurs, avait montré, avec d'autres collègues, que les babouins présentent d'étonnantes capacités à analyser le langage écrit. Il reste manifestement encore beaucoup à apprendre sur l'assemblage du puzzle qui a donné à l'espèce humaine le don de parler.
Les singes pourraient parler. D'ailleurs, écoutez-les.
Article de Jean-Luc GoudetJean-Luc Goudet publié le 14/12/2016
Un dogme tombe : si les singes ne parlent pas, ce n'est pas à cause d'un larynx inadapté. C'est donc parce que leur cerveaucerveau n'est pas câblé pour le langage articulé. Pourtant, certains savent manipuler un vocabulaire, une syntaxe (en captivité et à l'état sauvage) et la notion d'abstraction autour d'un mot ne leur est pas étrangère. L'histoire du langage dans la lignée humaine reste mystérieuse.
D'où vient cette assertion selon laquelle l'appareil vocal des singes leur interdit tout langage articulé, à la différence de celui des humains, avec ses cordes vocalescordes vocales ? « D'analyses post mortem, rappellent les auteurs de cette étude qui vient de paraître dans la revue Science. Et elles sous-estiment fortement les capacités vocales des primates ». Cette équipe, pour la première fois, semble-t-il, a observé aux rayons Xrayons X des macaques durant 99 « configurations de l'appareil vocal » : l'émissionémission de vocalisations, par exemple, mais aussi des mouvementsmouvements des lèvres ou des expressions du visage impliquant la bouche.
Avec cet ensemble de données, les chercheurs ont créé un modèle numériquemodèle numérique reproduisant cet appareil vocal -- ce qui avait déjà été fait mais à partir d'un moulage post mortem. L'idée est d'en explorer les capacités, puisqu'il n'est pas certain que les singes les exploitent toutes.
« Will you mary me ? », « voulez-vous vous marier avec moi ? » demande cette voie synthétique construite à partir d’un modèle numérique reproduisant l’appareil vocal d’un macaque. La voix est bien différente de celle d’un humain mais l’expérience montre qu’un singe pourrait articuler des mots si son cerveau en était capable. © Fitch et al. Sci. Adv. 2016
L'étonnante capacité des macaques
Résultat : les performances possibles de vocalisations des macaques, exprimées en fréquences et en variations de fréquences, sont bien plus étendues que ce qu'avait indiqué le précédent modèle. Les graphiques publiés dans Science montrent une comparaison avec une voix humaine féminine. Les deux diffèrent largement en tonalité mais les capacités des macaques apparaissent vastes. Bien plus qu'on ne le pensait et, surtout, davantage que ce qui est observé dans la nature. Conclusion : s'ils le voulaient, les macaques pourraient s'exprimer avec un langage articulé.
Devant le bruit d'un dogme qui tombe, le scientifique s'enthousiasme et son esprit entre en ébullition. De nouvelles questions se posent et il faut maintenant les résoudre. En effet, pour supporter l'idée que la physiologie du tractus vocal doit être le facteur limitant pour l'apaprition d'un langage chez nos cousins primates, il y avait de bonnes raisons. Il apparaît que les primates sont bien capables d'abstractions, de manipulations de mots et même d'une syntaxe (voir les expériences et les observations rapportées dans l'article ci-dessous pour en savoir plus).
Des observations aux rayons X de macaques en train de grimacer ou d'émettre des vocalisations a permis de mieux étudier leurs capacités vocales. Manifestement, ces singes sont loin de toutes les exploiter. © Fitch et al. Sci. Adv. 2016
Les primates non humains savent s'exprimer
La gorille femelle Koko connaît 2.000 mots, exprimés avec le langage des signes, qu'elle utilise en fabriquant des petites phrases. C'était justement l'étude de cette primate, vivant avec les humains depuis son enfance, qui avait déjà mis les scientifiques sur la piste de capacités insoupçonnées du système vocal des singes. Le lecteur intéressé pourra revenir à l'histoire de la pionnière, la guenon Washoe, à laquelle nous avions rendu hommage au moment de son décès, en novembre 2007, et à celle des chimpanzéschimpanzés qui ont participé aux expériences de Roger Fouts et des époux Premack dans les années 1970.
Nous avons aussi rapporté le cas de cercopithèques qui disposent d'une petite syntaxe, utilisant des suffixes. Ainsi, pour eux, Krak signifie « attention, léopardléopard », Hok « attention, aigle » et Boum « pas de prédateur ». Mais Hok-oo veut dire « il y a quelque chose en haut tout près » et Krak Hok-oo « attention, il y a un léopard en haut ». Pour annoncer l'éloignement définitif de ce dangereux chasseur, un cercopithèquecercopithèque prononcera Krak Boum-Boum.
Koko en 2000 avec sa chatte Smoky, la troisième. La précédente, All Ball, est morte fauchée par une voiture, il y a plusieurs années. Pour son 44e anniversaire, le 4 juillet 2015, Koko a demandé un nouveau chat. © Gorilla Foundation
Si, donc, plusieurs espèces de singes ont à la fois ces capacités cognitives et physiologiques, pourquoi ne parlent-ils pas ? Pour les auteurs de l'étude, la réponse se trouve dans le cerveau où il manquerait les circuits neuronaux commandant les muscles de l'appareil vocal. De la même manière que nous ne savons que très mal bouger nos oreilles, les singes ne parviennent que trop imparfaitement à contrôler leur musculature de la bouche, de la langue et du larynx. Affaire à suivre, sans doute...
Les singes ne parlent pas... mais n’en seraient pas si loin
Article de Jean-Luc Goudet publié le 16/8/2015
Koko, le célèbre gorille femelle qui utilise le langage des signes, sait aussi contrôler en partie ses productions sonores et son souffle. C'est ce qu'affirment deux chercheurs qui ont étudié la gestualité de cet animal sur d'anciennes vidéos. Inconnue chez les singes, cette capacité est un des éléments du langage parlé. L'observation a de quoi enrichir nos connaissances sur l'histoire de l'apparition de la parole au sein de la lignée humaine.
La célébrissime Koko étonne encore. Née en 1971, cette gorille femelle vit parmi les humains pour une longue expérience menée par Francine Patterson. Koko utilise le langage des signes (connaissant un millier de mots d'après l'équipe qui s'occupe d'elle) et comprendrait 2.000 mots. Elle n'a pas été la première à utiliser l'ASL (American Sign Language). La pionnière du genre fut Washoe, une femelle chimpanzé, qui apprit ses premiers mots à la fin des années 1960. Koko a été longuement filmée en de multiples occasions, études scientifiques ou moments particuliers, comme sa rencontre avec l'acteur Robin Williams ou sa réaction à l'annonce de la disparition de la chatte qui était son animal de compagnie.
Un jeune chercheur, Marcus Perlman, a entrepris (à partir de 2010) d'étudier la gestualité de Koko sur des bandes vidéos anciennes (car l'animal mène désormais une vie tranquille) réalisées à la Gorilla Foundation, créée pour faire vivre Koko. C'est cependant dans un autre domaine qu'il a observé un phénomène surprenant : les productions sonores de Koko semblaient parfois contrôlées, en fréquence et en puissance.
Koko souffle dans une flûte. La personne avec elle lui demande « Louder », c’est-à-dire « plus fort ». Et Koko s’exécute. © UW-Madison Campus Connection
L’apparition du langage s’étendrait sur une longue période
Au total, Marcus Perlman et Nathaniel Clark ont observé 439 « comportements liés à la respiration et à la vocalisation » (vocal and breathing-related behaviors), ou VBB. On est très loin de la parole et il faut être éthologiste pour s'intéresser, par exemple, à cette séquence où Koko tousse sur commande, donc volontairement. Pour un humain, cela n'a rien de surprenant mais, expliquent les chercheurs, l'opération exige de fermer le larynx, ce qu'un singe n'est pas supposé faire. Koko a également éternué comme on le lui demandait, désembué un verre de lunettes en soufflant dessus et mimer une conversation téléphonique en chuchotant.
L'équipe décrit quelques-uns de ces comportements dans un communiqué de l'université de Wisconsin-Madison et vient de publier ses résultats dans la revue Animal Cognition. Des dizaines de vidéos sont disponibles sur YouTubeYouTube montrant Koko en action. Les auteurs de l'étude citent celle où elle joue de la flûte (présentée ci-dessus) et se met à souffler plus fort lorsque la personne à côté d'elle le lui demande. En tout, neuf « VBB » différents ont été repérés parmi les 71 heures de vidéos étudiées.
Que peuvent nous apprendre ces observations ? Que les capacités nécessaires au langage parlé ont peut-être commencé à apparaître non pas dans la lignée humaine mais bien avant, chez nos ancêtres communs avec les grands singes. « L'idée actuelle est que rien de ce qui touche au langage parlé n'existe chez les singes, commente Marcus Perlman dans le communiqué de l'université. Donc que le langage parlé a évolué entièrement au sein de la lignée humaine, après la séparationséparation d'avec les chimpanzés. » Selon lui, les orangs-outans sont capables eux aussi de prouesses de ce genre. Cette capacité à contrôler son souffle et ses vocalisations serait donc partagée par tous les grands singes.
D'autres observations de ce genre ont été faites au-delà des anthropoïdesanthropoïdes, menant à la même conclusion d'une grande ancienneté des capacités liées au langage parlé, par exemple après la découverte que les singes-écureuils sont sensibles à la musique. En 2009, des chercheurs découvraient même un embryon de syntaxe chez des cercopithèques.